La musique a une place importante dans le cinéma et même si composer une bande originale pour un nouveau film est devenu une étape presque systématique, certains réalisateurs préfèrent choisir des morceaux déjà existants. Une mode relativement récente qui peut être assimilée à la nostalgie mais témoigne parfois d’un manque d’initiative de la part des réalisateurs.
Au début du 20e siècle, des musiciens accompagnaient en direct les projections de films muets. Un pianiste ou bien un orchestre enrichissait l’expérience par le son, même si le principal but était de camoufler le bruit envahissant des projecteurs. On utilisait déjà des morceaux classiques de compositeurs bien connus pour accompagner ces séances. C’est à partir des années 1920 avec l’arrivée de films de plus en plus ambitieux comme Nosferatu ou Metropolis qu’on commence à composer des morceaux spécifiques aux œuvres projetées, une habitude depuis maintenant près d’un siècle.
Pourtant, certains films exploitent uniquement des morceaux déjà existants, une manœuvre qui, ces dernières années, se démocratise à l’image de Watchmen, Mr. Nobody, Les Gardiens de la Galaxie, Suicide Squad et Ready Player One. Tous sont sortis il y a moins de dix ans.
En utilisant des morceaux célèbres qu’on assimile très facilement à une certaine émotion, une certaine ambiance ou un certain contexte, on s’assure de toucher le spectateur. De plus, ces œuvres, très fréquemment utilisées, témoignent généralement de la période à laquelle elles ont été composées. Ainsi, un morceau d’Elvis Presley, même sans images, nous plonge instantanément dans les années 1950 et 60 et c’est cette facilité qui pousse à en abuser, notamment dans les biopics et films historiques.
Certains morceaux évoquent énormément de choses à la fois et se retrouvent ainsi dans de nombreux films. Nous avons choisi d’en présenter six et de comprendre ce qu’ils apportent ou non aux différents long-métrages qui les utilisent.
Pour cette sélection, nous avons choisi de ne pas prendre en compte les utilisations parodiques à l’image de You Can Keep Your Hat On ou Spandau Ballet. De la même manière, nous ne citerons pas de morceaux trop spécifiquement assimilés à certain films (Eye of the Tiger, Johnny B. Goode ou Stayin’ Alive).
The Chordettes – Mr. Sandman
The Chordettes sont connues pour les fabuleux accords a capella et Mr. Sandman a été un de leurs plus grands succès. Le morceau rappelle instinctivement les années 1950, un atout qui justifie sa forte présence au cinéma. Et c’est notamment l’idée de Robert Zemeckis qui avec Retour vers le Futur (1985) nous fournit, à chaque voyage de Marty McFly, une bande son appropriée. L’impression de décalage temporel en est accrue et nos oreilles découvrent, autant que nos yeux, le Hill Valley de 1955 grâce à ce fond sonore de Mr. Sandman. Quatre ans plus tard sort Retour vers le futur II et l’on est nourrit de la même bande sonore, lorsque Marty retourne en 1955, un détail subtil mais ingénieux pour intensifier l’impression de déjà vu avec le premier film.
Un autre usage mémorable du morceau vient de la saga Halloween. Mr. Sandman est une mélodie innocente et joyeuse, pourtant John Carpenter a décidé de l’ajouter à son film d’horreur pour un effet marquant. Accompagnant le générique d’ouverture, l’usage est ironique et choque le spectateur mais apporte une toute autre tonalité à la chanson. Les paroles symbolisent la naïveté, l’espoir et le rêve (« Mr. Sandman, give me a dream ») face au cauchemar auquel on va assister.
Hormis cette appropriation si particulière, le morceau a principalement servi à symboliser les années 50 mais aussi la nostalgie, comme dans Mr. Nobody (2010). Son aspect chic, encouragé par les harmonies, offre également un potentiel comique, exploité dans Philadelphia (1993) ou Cry-Baby (1990) qui se moquent d’une aristocratie condescendante et select en nous montrant des boys band pompeux reprendre la mélodie.
Creedence Clearwater Revival – Fortunate Son
Cette chanson rock sortie en 1969 est rapidement devenue un hymne pacifiste, un symbole de contre-culture en opposition à la mobilisation américaine au Vietnam. Durant ce conflit, la musique a joué un rôle important dans la motivation des troupes américaines. Énormément de soldats écoutaient la radio lors de leurs pauses, plusieurs heures par jour et le rock des années 1960 a très vite été assimilé à cette guerre. Mais s’il n’y avait qu’un responsable à compter pour la présence de ce morceau à chaque coin de rue, c’est Forrest Gump, l’un des rares films familiaux à aborder le conflit.
Après quarante minutes de récit, Forrest arrive au Vietnam en hélicoptère, sur fond musical de Fortunate Son, une scène qui influencera le cinéma de guerre à jamais. Robert Zemeckis avait décidé d’uniquement utiliser des artistes américains dans ce film, qui deviendra culte et un modèle pour tous. Suivent les films d’actions comme la comédie Tonnerre sous les Tropiques (2008), Die Hard 4 : Retour en enfer (2007), Battleship (2012), War Dogs (2016) et Logan Lucky (2017) qui, chacun, utilisent ce morceau pour illustrer une situation glorieuse, où les protagonistes sont confiants, fiers ou héroïques.
A l’origine, la chanson qui critique le système américain n’abordait pas tant le sujet de la guerre que des inégalités sociales. Fortunate Son fait référence à David Eisenhower, petit-fils de l’ancien président Dwight D. Eisenhower qui venait d’épouser Julie Nixon, fille de l’actuel président Richard Nixon, des personnages privilégiés qui n’avaient pas à subir les conséquences de cette guerre comme le reste des américains.
Buffalo Springfield – For What It’s Worth
Les années 1960 étaient une bonne période pour sortir un single. Enregistrée en 1967, cette protest song avait été écrite en réaction à la fermeture d’un club à Los Angeles suite à des violences entre jeunes et forces de l’ordre. Mais le morceau a pris une nouvelle envergure, lorsque des opposants au conflit vietnamien l’ont utilisé pour protester jusqu’en 1975. Il est depuis cela assimilé aux mouvements pacifistes des années 1960 et 70. De la même manière que Fortunate Son et bien d’autres, de nombreux morceaux rock sont devenus de réels symboles en cette période engagée. All Along the Watchtower de Jimmy Hendrix entendue dans Forrest Gump, American Beauty (2001), Watchmen (2009) et Rush (2013) aurait également mérité une place dans cette sélection pour sa représentation du conflit mais nous avons préféré parler de l’œuvre de Buffalo Springfield.
Cette fois-ci Forrest Gump n’a pas été le premier à introduire le morceau mais l’intention d’Oliver Stone avec Né un 4 juillet (1989) était la même. La thématique du Vietnam, mais plus largement de la guerre, semble attachée à ce morceau tellement les utilisations en ont été nombreuses. Toutefois, la dynamique est différente. Finies les scènes glorieuses en hélicoptères. Ce morceau plus calme est principalement utilisé pour illustrer une introspection, une remise en question de la part des personnages. Lorsqu’arrive cette musique, Forrest Gump vit des conditions difficiles, loin de ce qu’il espérait en s’engageant pour le Vietnam tandis que Lord of War (2006) nous expose, avec son introduction mémorable, la triste réalité du commerce d’armes. On a également pu l’entendre dans Les Rois du Désert (1999), Jarhead (2005), Tonnerre sous les Tropiques ou encore Las Vegas Parano (1998).
Norman Greenbaum – Spirit In The Sky
L’introduction suffit à reconnaître ce morceau mythique de la fin des années 1960. Écrite par Norman Greenbaum, en 15 minutes selon ses dires, Spirit In The Sky est un savoureux mélange de rock et de gospel qui ne serait rien sans son accompagnement si particulier obtenu (et jamais égalé) grâce à une guitare trafiquée. Ce morceau devenu synonyme de bonne humeur est indémodable, un bon point si l’on souhaite l’insérer à un film.
S’il a été spécifiquement sur-utilisé ces dernières années avec Les Gardiens de la Galaxie (2014) puis Suicide Squad (2016) juste avant Life (2017), on s’en souvient tout particulièrement dans Ocean’s eleven (2001), lorsque Reuben Tishkoff, interprété par Elliott Gould, raconte à Danny Ocean les trois tentatives de braquages les plus fructueuses de l’histoire de Las Vegas mais également pour la scène impressionnante du décollage de Saturn V dans Apollo 13 (1995). Pour l’anecdote, cette utilisation du morceau revient à de la reconstitution de la part du réalisateur Ron Howard puisque Fred Haise, pilote du module lunaire avait réellement emporté le morceau à bord, en 1970.
Spirit In The Sky est également apparu dans des films comme Contact (1997) de Robert Zemeckis ou Evan Tout Puissant (2007).
Simon & Garfunkel – Mrs. Robinson
Le duo folk avait composé ce morceau pour leur quatrième album mais c’est dans Le lauréat (1967) qu’on a d’abord pu l’entendre. Mike Nichols qui réalisait le film, venait de découvrir les deux artistes et leur avait demandé de composer pour lui quelques chansons. Mais après plusieurs semaines, leur travail ne convenait pas à la vision du metteur en scène. C’est alors que le duo lui proposa Mrs. Roosevelt, un projet pas complètement terminé. Le premier couplet, notamment, n’avait pas encore été écrit et le duo ne s’était toujours pas décidé sur le titre.
« Dee de dee dee de dee dee dee. » Sans paroles, voilà à quoi ressemblait le début du morceau. Une idée qui a plu à Nichols et s’est retrouvée dans la version finale, intitulée Mrs. Robinson en référence au personnage du film.
Si le morceau est principalement assimilé à ce film qui a révélé Dustin Hoffman, il a pourtant été fréquemment réutilisé. La chanson se détache d’ailleurs du reste de cette sélection car elle ne représente pas réellement une émotion ou une période distincte. C’est pourquoi elle peut être utilisée non seulement à but comique, comme dans Wayne’s World 2 (1993) ou American Pie (1999) pour une référence très peu subtile au film de Mike Nichols, mais aussi par certains des plus grands réalisateurs, à l’image de Martin Scorsese dont l’usage de la reprise du morceau, par le groupe Lemonhead, signe la chute de l’empire de Jordan Belfort dans Le Loup de Wall Street (2013).
On entend également le duo chanter lorsque Forrest Gump rencontre le président Lyndon B. Johnson.
Beethoven – 7ème Symphonie 2nd Mouvement
En utilisant un morceau populaire, le réalisateur est certain de toucher son audience. C’est pourquoi tant d’œuvres cultes accompagnent nos films préférés. Mais un bon usage de la musique n’est pas pour autant évident. Le second mouvement de la septième symphonie de Beethoven en est l’exemple parfait. L’émotion que dégage cet extrait n’est pas aussi explicite que le reste de cette sélection. Le calme et la violence, funèbre mais grandiose, de quoi facilement perdre le réalisateur qui voudra l’insérer à son film.
Alex Proyas nous propose le morceau à deux reprises dans Prédictions (2009), un film catastrophe, mais son usage est inutile. Dans les deux situations, l’extrait est accéléré et coupé grossièrement pour convenir à la durée des séquences. Les scènes, bien trop basiques, ne justifient pas un tel accompagnement, une exploitation abusive qui découle directement de cette habitude à utiliser, encore et encore, la même musique.
Dans d’autres films, comme X-Men : Apocalypse (2016), son usage peut être assez superficiel mais on trouve, malgré tout, de bons élèves. Irréversible (2002) se clôt sur cet air doux mais magistral, à l’opposé (même musicalement) de la violence maladive et de l’ambiance oppressante à laquelle on assistait dès les premières minutes, une fausse happy end au goût amer. Dernier usage mémorable en date, Le Discours d’un Roi (2011). Dirigé par son orthophoniste à la manière d’un orchestre, le roi George VI prend progressivement confiance à mesure que la musique s’intensifie. Ce n’est qu’un homme devant un micro, pourtant la scène est d’une gravité saisissante et Beethoven y joue son rôle. George VI triomphe finalement face à son handicap, mais annonce la guerre à son peuple par la même occasion, nous sommes en 1939. Une dualité d’émotion nous envahit alors, un mélange d’effroi et de soulagement qu’illustre parfaitement cette septième symphonie.
D’autres films ont utilisé le morceau sans pour autant se distinguer par ce choix d’accompagnement mais méritent d’être cités, comme The Man From Earth (2007) qui réalise un bel hommage à Beethoven, ou The Fall (2006) et son générique à la photo impeccable.