Dans une industrie ayant cessé de rêver depuis belle lurette et qui se contente d’appliquer vainement de la nostalgie partout, Ready Player One avait tout du projet opportuniste. C’était sans compter sur Steven Spielberg, dont la lucidité et le recul auront vite fait de transformer ce divertissement en un tour de force technique doublé d’un cri du cœur (subversif) à son public : les rêveurs.
A la vue de Ready Player One, certains ne se priveront pas pour maugréer que Steven Spielberg a joué la carte de l’opportunisme, en transposant à l’écran ce que Stranger Things tente de faire sur Netflix ; a savoir un concentré hardcore de référence aux 80’s pour appâter le chaland et admettre en sous-texte la déchéance d’idée qui sévit sur le milieu. Ce que ces mêmes gens ignorent en affirmant une telle idée, c’est bien deux choses : la première, c’est que Spielberg n’a pas grandi avec les références évoquées dans le best-seller à l’origine du film. Pour certaines, il les a même créées. La deuxième, c’est qu’en bon conteur qu’il est, ses films ne sont pas que de simples divertissements bien troussés. Un constat d’autant plus vérifiable avec son récent Pentagon Papers (tourné pendant la longue post-production de Ready Player One), dont l’existence même agit en réponse aux fake news colportées par Donald Trump. Dès lors, difficile de voir en cette adaptation une quelconque volonté de surfer sur la vague, voire même un regard de fan de la part de Spielberg mais plutôt un regard SUR les fans avides des images qu’il a lui-même façonnées il y a de ça 30 ans avec l’avènement d’Amblin.
Le divertissement Amblin des années 2010’s
Ça n’est d’ailleurs pas un hasard si le film, dans une sobriété étonnante, s’ouvre avec le logo du studio phare de Spielberg. Car derrière, se cache encore l’envie pour le réalisateur de 71 ans de divertir, qui plus est au biais d’une recette ayant déjà fait ses preuves. Amblin, après tout, c’est la figure enfantine qui se rebelle, la camaraderie, l’optimisme, l’espoir, le tout enrobé dans un cocktail fluide et dynamique qui exalte le petit spectateur qui réside en chacun de nous. De quoi directement instaurer sur l’histoire, bien qu’écrite par un tiers – Ernie Cline – un parfum spielbergien. Quasi idiosyncrasique. Après tout, il y est question d’un jeune garçon obligé de mûrir (comprendre ici se rebeller) pour lutter face à une figure totalitaire – IOI – contre laquelle il va user de sa meilleure arme : l’imagination. Mieux encore, la culture populaire. Et dans un sens, ça rejoint toute l’ambition de Spielberg qui, dans un récit que d’aucuns s’accorderaient à dire balisé, cultive le sens de l’oxymore avec une rare acuité. Il mêle dystopie et utopie dans un même élan, étant persuadé que la première n’existe que pour être combattue par la seconde. Un constat d’autant plus vrai à la vue de son premier morceau d’action – une course poursuite motorisée – mettant à l’amende 95% de ce que produit Hollywood.
Scène virevoltante si elle en est car conjuguant dans une énergie vivifiante autant trop-plein de références, lisibilité que jouissance, elle est surtout l’occasion pour le natif de Cincinnati de montrer qu’il n’a non seulement pas perdu la main pour divertir la masse mais surtout qu’il a bien l’intention d’éblouir si ce n’est de révolutionner le médium cinéma. Cela se voit dans l’usage qu’il fait de l’OASIS, véritablement monde de tous les superlatifs, ou l’on peut devenir qui l’on veut et qui, à ce titre, embrasse toutes les embardées de son récit sans jamais tomber dans le travers de l’univers puant le fond vert. Mais aussi soigné puisse être la résolution de cet OASIS, il n’est après tout qu’un simulacre servant à alimenter le vrai propos de Ready Player One : le poids des rêves à l’ère du divertissement doudou.
Un cri du cœur subversif de Spielberg à son public
Car là où beaucoup aimeraient y voir un réalisateur trop content d’user des marques établies par ses pairs (King Kong, Last Action Hero, Akira), d’autres y verront un cinéaste soucieux de l’héritage qu’il laisse et plus encore du poids de celui-ci. On l’a dit, Spielberg n’a pas grandi avec les références largement usitées dans son film, au pire il les as crées. Et ce détail a une importance capitale ici en ce qu’il peut oser émettre un regard si ce n’est une critique sur ce courant. Loin de réfuter l’image qu’il a auprès du public (après tout il signe encore une fois un divertissement référentiel et populaire), il met surtout en garde contre ce qui fait la substance de l’OASIS. Il a beau ne pas la dénigrer en terme d’entité, puisqu’il met en scène des personnages de sexualité/nationalité différente du tout venant du blockbuster, mais il délivre un message pour le moins subversif à l’égard de ce qui fait le fonds de commerce de l’OASIS : les souvenirs. C’est d’autant plus vrai à la vue de la première scène d’action du film ou certains piliers de la pop-culture en viennent non pas à agrémenter un décor d’un New-York dystopique mais à inquiéter physiquement voire menacer les joueurs. Là se pose finalement le regard subversif de Spielberg : il est conscient de l’héritage qu’il laisse, d’où le qualificatif de film somme qui plane sur ce Ready Player One, mais il sait tout aussi bien que les souvenirs et les références sont dangereuses à l’heure où le monde n’a jamais été aussi mal. Difficile donc à la fin du visionnage de RPO de ne pas voir dans ce monde de 2045 un univers dystopique dangereusement plausible dans lequel Spielberg, non dénué de malice, invite, voire incite fortement son audience à dépasser ces références. A s’en créer de nouvelles, à regarder vers le futur en somme et non plus le passé. Et finalement à stimuler/développer ce qui est le propre de l’OASIS : les contacts humains. Après tout, comme tous les personnages ont l’air de le dire de manière implicite via leur actions : ceux qu’on aime sont plus importants que ce qu’on aime.
Outre de convoquer un plaisir d’une intensité/fluidité tel qu’il renvoie le reste d’Hollywood à sa propre médiocrité, Ready Player One se double d’une lucidité et d’une générosité qui l’installe non seulement comme l’un des blockbusters les plus euphorisants de ces dernières années mais comme l’un des plus réfléchis et personnels de son auteur. Chef d’œuvre !
Ready Player One : Bande-annonce
Synopsis : 2045. Le monde est au bord du chaos. Les êtres humains se réfugient dans l’OASIS, univers virtuel mis au point par le brillant et excentrique James Halliday. Avant de disparaître, celui-ci a décidé de léguer son immense fortune à quiconque découvrira l’œuf de Pâques numérique qu’il a pris soin de dissimuler dans l’OASIS. L’appât du gain provoque une compétition planétaire. Mais lorsqu’un jeune garçon, Wade Watts, qui n’a pourtant pas le profil d’un héros, décide de participer à la chasse au trésor, il est plongé dans un monde parallèle à la fois mystérieux et inquiétant…
Ready Player One : Fiche technique
Réalisateur : Steven Spielberg
Scénario : Ernest Cline et Zak Penn, d’après Player One d’Ernest Cline
Casting : Tye Sheridan, Mark Rylance, Olivia Cooke, Ben Mendelsohn, Simon Pegg, T.J Miller, Lena Waithe, Hannah John-Kamen, Letitia Wright, McKenna Grace…
Direction artistique : Mark Scruton
Décors : Adam Stockhausen
Costumes : Kasia Walicka-Maimone
Photographie : Janusz Kaminski
Montage : Michael Kahn
Musique : Alan Silvestri
Production : Steven Spielberg, Donald De Line, Dan Farah et Kristie Macosko Krieger ; Adam Somner (associé)
Sociétés de production : Amblin Partners, Amblin Entertainment, De Line Pictures, Farah Films & Management, Reliance Entertainment, Village Roadshow Pictures et Warner Bros.
Société de distribution : Warner Bros.
Format : couleur
Genre : science-fiction
Durée : 140 minutes
Dates de sortie : 28 mars 2018
États-Unis – 2018