Étant donné que le cinéma chinois peine parfois à dépasser sa frontière, il convient de chérir ces œuvres qui portent en eux cette force tranquille qui, une fois les turbines lancées, naviguent dans une grâce solennelle. Only The River Flows fait partie de ceux-là, de ceux qui cherchent et qui ne trouvent pas toujours un sens aux questions. Et ce film noir ne laisse que des indices en surface, car il invite les spectateurs à remonter une piste inattendue, aux côtés d’un homme qui fusionne peu à peu avec les propres incertitudes.
Synopsis : En Chine, dans les années 1990, trois meurtres sont commis dans la petite ville de Banpo. Ma Zhe, le chef de la police criminelle, est chargé d’élucider l’affaire. Un sac à main abandonné au bord de la rivière et des témoignages de passants désignent plusieurs suspects. Alors que l’affaire piétine, l’inspecteur Ma est confronté à la noirceur de l’âme humaine et s’enfonce dans le doute…
Abonné des grands rendez-vous au festival de Cannes (Quinzaine des cinéastes, puis Un Certain Regard), le public de Reims Polar peut se régaler de découvrir le savoir-faire de Wei Shujun, un cinéaste en pleine exploration de son art. Du portrait de la jeunesse chinoise (Courir au gré du vent) à une comédie noire la veille d’un tournage (Ripples of life), il s’essaie à présent au film policier tout en adoptant une approche hallucinée de l’intrigue. Il adapte ainsi une nouvelle de Yu Hua, dont on a déjà vu l’un de ses romans adaptés pour le cinéma par Zhang Yimou (Vivres !). Dans la même veine surréaliste qu’un Maupassant, la célèbre peinture du Cri d’Edvard Munch ou encore L’Échelle de Jacob d’Adrian Lyne, le cinéaste chinois nous invite dans son antre de la folie.
Le vrai voyageur ne sait pas où il va
Dès la première scène d’ouverture, intrigante jusque dans ce dernier plan où des jeunes enfants jouent aux gendarmes et aux voleurs dans un immeuble en ruine. Celui qui tient l’arme débouche sur une porte donnant sur le vide et sur la cité de Banpo et sa banlieue. Démarre alors une série de meurtres où les pistes sont maigres et les suspects trop nombreux, même dans un petit village d’une cinquantaine d’habitants à peine. La police investit alors un cinéma local en faillite pour leur prochaine opération, preuve qu’il n’est plus possible de s’épanouir culturellement et que des fous errent un peu partout. Mais personne ne se doutait qu’elle serait aussi laborieuse, surtout du point de vue de l’inspecteur Ma Zhe (Zhu Yilong), également chef d’une brigade. Sous son aile, un jeune apprenti détective peine à garder toute son attention dans cette affaire sordide. Pourtant, les cadavres continuent de s’empiler sans qu’un témoignage soit radicalement décisif.
Et malgré avoir tiré la sonnette d’urgence, Ma Zhe perd peu à peu ses alliés dans cette enquête. Les scènes de crime, les suspects et la pression de son supérieur finissent ainsi par le hanter et l’obséder. Il tient alors la solitude pour seul refuge et ce sont dans ces moments-là que Wei Shujun s’amuse à brouiller la frontière entre le rêve et le réel avec sa caméra. Le grain de la pellicule 16mm capture magnifiquement les fantômes qui tourmentent cette Chine aux abois, car ce sont eux qui peuplent cet environnement pluvieux où rien ne se passe, mais où tout va de travers. Comme le cycle de l’eau qui s’écoule dans la rivière et qui retombe par le ciel, Shujun met ainsi en évidence le fait que l’on ne puisse contrôler son destin. Tout l’enjeu du long-métrage consiste alors à observer si ces âmes vagabondes peuvent l’accepter.
Danse avec les fous
Ma Zhe ne cesse d’observer des coïncidences sans pouvoir joindre les deux bouts et valider un rapport d’enquête parfaitement rationnel, comme le désire son supérieur hiérarchique. Mais la mort le suit et la mort le guette même dans ses rêves les plus fous. Entre les faits et le spectacle paranoïaque qu’il nous est donné de voir, difficile d’y voir clair dans ce dédale mental. Et si on ne le voit pas tout le temps, il pleut à l’intérieur des personnages, il pleut sur ces visages éteints, qui traduisent le désespoir qui les empêche de vivre. Y a-t-il donc véritablement un tueur dans cette histoire ? La réponse est oui, mais son identité peut vous surprendre. Non pas parce qu’il s’agit d’un twist comme les romans d’Agatha Christie en sont remplis, mais parce que la clé du mystère n’est pas forcément palpable.
Épatant visuellement et stimulant intellectuellement, Only The River Flows est un film noir en surface et une étude ténébreuse de l’âme humaine dans son sous-texte. La descente aux enfers des personnages, qui courent après des titres honorifiques qui n’existent pas, est insufflée d’une aura fantastique, un peu comme si le monde misérable qu’on y décrit constitue une passerelle entre la vie et la mort. Rien qu’à la vue d’un puzzle, miraculeusement résolu, où une mère est représentée avec son enfant suffit à démontrer que Shujun préfère jouer avec les symboles, qui jalonnent tout le film et qui mutent dans l’esprit de Ma Zhe. Le metteur en scène incite ainsi le public à les assimiler, sans quoi il ne verra qu’un verre à moitié plein ou à moitié vide.
Fiche technique
Réalisateur : WEI Shujun
Scénaristes : KANG Chunlei, WEI Shujun (Adapté de la nouvelle de YU Hua)
Chef étalonneur : David RIVERO
Monteur : Matthieu LACLAU
Cheffe costumière : SU Chao
Chef décorateur : Zhang Menglun
Son : TU Tse-Kang, TU Duu-Chih
Directeur de la photographie : Chengma
Co-producteur : LIANG Ying, WAN Jun
Producteurs : HUANG Xufeng, LI Chan, SHEN Yang, WANG Caitao
Une production : KXKH Film
Produit par : TANG Xiaohui
Pays de production : Chine
Année de production : 2023
Ventes internationales : Mk2 Films
Distribution France : Ad Vitam
Genre : Policier
Durée : 1h42