L’univers de Spawn s’étend un peu plus, puisqu’une nouvelle série intitulée Gunslinger Spawn vient s’ajouter à King Spawn, The Scorched ou Sam & Twitch. Todd McFarlane et Brett Booth y mettent en scène le Pistolero, un suppôt de l’enfer venu du passé, en rupture avec son environnement immédiat, lancé dans une irrésistible vendetta.
Déjà à l’œuvre chez Marvel ou DC, où il a notamment officié sur les séries X-Men et Flash, Brett Booth s’est ensuite parfaitement fondu dans l’univers graphique de Spawn, où l’horrifique le dispute au spectaculaire, la perdition à l’esprit de vengeance.
À certains égards, Gunslinger Spawn pourrait se réclamer de Sam Peckinpah : l’urbanité sépulcrale originelle fait en effet place nette à un Pistolero mû par le besoin de vengeance, capable de trahisons et peinant à trouver sa place dans un environnement dont il ne maîtrise pas les codes (les séquences amusantes où il découvre, pantois, les WC ou l’essence, sa condition maintes fois répétée d’entité démoniaque diminuée). Mais si le cadre change, Brett Booth reste fidèle à ses modèles : il dépoussière le Violator ou le Clown, met en vignettes un alter ego de Spawn, tempère les élans super-héroïques, mais conserve toutefois l’apparat graphique, la science de l’image, ainsi que cette capacité, sans cesse réaffirmée, de porter à incandescence violence, mouvements ou effroi. Et tout y passe : des dinosaures aux mini-clowns, des balles infusées de sang aux visages scalpés.
Le personnage du Pistolero est un prolongement presque naturel d’Al Simmons. Ses actes sont eux aussi conditionnés par une histoire familiale douloureuse, il est confronté aux mêmes monstres que le « premier » HellSpawn, il fait montre d’une pareille obstination doublée de violence. Le récit de Gunslinger Spawn, qui propose plusieurs sauts temporels, notamment dans son épilogue, est haletant, gorgé de sang et structuré de telle sorte que ce Spawn tout droit sorti du Far West évolue de pair avec des protagonistes finement caractérisés, apparaissant en alternance sans rien perdre de la cohérence d’ensemble (d’abord Taylor, ensuite le Clown). Ces deux derniers possèdent de puissants ressorts dramatiques : le premier vit en rupture consommée avec un père agissant clandestinement, le second rêve d’accéder au trône des Enfers et n’hésite pas à manipuler ses sbires à cette fin. Dans ce premier tome de Gunslinger Spawn, les uns et les autres redoublent de duplicité, la ruse l’emporte sur la force, les brèches spatiotemporelles offrent à la fois opportunités et traumatismes.
Projeté de l’Old West des années 1860 à nos jours, dans un contexte où la violence demeure à peu près le seul liant, le Pistolero doit faire preuve de capacités de résilience et d’adaptation. Les mystères de son passé restent épais, mais l’on sait néanmoins que l’assassinat de sa sœur a partie liée avec la famille Bartlett, dont il s’apprête à croiser certains descendants. Ses pérégrinations, rythmées et iconiques, donnent ce qu’il faut d’ampleur à ce personnage impétueux, machiavélique et solitaire. Pour le reste, si la magie opère, c’est avant tout grâce à l’expertise de Todd McFarlane et Brett Booth, qui gèrent avec maestria les séquences d’exposition et d’action, qui rationnent l’information autant qu’ils prodiguent la fougue et la fureur. Et le résultat est tellement probant qu’on en vient à se demander, presque gêné, si l’on ne tient pas là le meilleur Spawn.
Gunslinger Spawn, Todd McFarlane et Brett Booth
Delcourt, novembre 2022, 192 pages