La Fièvre vient d’être diffusée sur Canal Plus. La série d’Eric Benzekri, déjà derrière Baron Noir, étudie dans ses moindres détails le chaos de la société française actuelle. Une série qui divise autant les critiques, c’est assez révélateur pour parler de fragmentation de la société, de sa polarisation surtout. Plongée dans un univers à la Borgen où la moindre prise de parole est analysée, scrutée et … manipulée. Tout tourne autour de la catastrophiste mais lucide Sam Berger et de l’habile mais dangereuse Marie Kinsky. Deux actrices qui se régalent à jouer leurs personnages qui s’affrontent jusqu’au point de non retour.
La Fièvre se distingue avant tout pour ses deux premiers épisodes vampiriques, rythmés et cataclysmiques dans lesquels l’acte raciste et violent d’un joueur de foot star se transforme en une « tempête de merde ». Derrière cette scène qui tourne en boucle sur les réseaux se joue une crise identitaire qui n’a pas dit son dernier mot et qui se présente comme irréconciliable. Sam Berger tente d’éteindre l’incendie entre sa parano à gérer et ses connaissances des mécanismes de crise. De son côté, Marie Kinsky se délecte de l’huile qu’elle jette sur le feu. Les deux femmes ont un passé commun d’amitié, leur présent est celui d’un défi permanent. Sam craint Marie, quand Marie tente d’écraser Sam et sa déprime communicative. Au milieu de ça, une histoire de foot et de racisme qui voudrait n’être « que du foot » mais qui devient une affaire politique.
Autour de cette polémique naissante et explosive gravitent des personnages associés à des camps identitaires et militants qui tentent de faire entendre leurs voix, d’écraser les autres voix. Souvent, on a l’impression de voir lus des publications de réseaux sociaux tant la polarisation est maîtresse des dialogues. Dialogues polarisés donc mais nettement mieux écrits (trop?) que sur la plupart des réseaux sociaux. L’analyse est creusée au fil des épisodes où la crise passe par toutes les couleurs politiques et sociales ou plutôt change de visage. Voilà qu’une menace de guerre civile pointe le bout de son nez. La série pourrait paraître poussive tant chacun est obligé d’être son propre cliché pour crier plus fort que le voisin. C’est pourtant bien le reflet de la société française actuelle, épidermique et incapable de penser toute seule. Rien qu’à voir les dernières polémiques (autour d’une certaine chanteuse et des JO, autour d’une projection d’un film lesbien récemment dans un festival en Belgique) ou à suivre certains comptes sur les réseaux, les prises de positions sont radicales (enfin devenues acceptables voire raisonnables… Overton sort de cet texte !), et les coups pleuvent.
La Fièvre prend tout de même le temps d’exposer ses idées, Sam ne fait qu’expliquer le fond de sa pensée, que se justifier et tenter d’arrêter le feu. Elle passe son temps à raisonner les autres, tout en affrontant la crise en face, et à avoir peur dans le même mouvement. A ce jeu, Nina Meurisse déjà impressionnante partout où elle passe, est parfaite. Son jeu est assez halluciné pour paraître catastrophiste, assez ancré pour avoir l’air de raconter un futur possible. Quant à Ana Girardot, qu’on ne perdra pas de temps à présenter (parce que ça aussi c’est une polémique dans la polémique, le casting très « fils/fille/neveu de … »), elle surprend dans ce rôle un poil diabolique d’une fille qui fait un virage à 180 degrés pour la joie de manipuler ses petits jouets, seul problème : ses jouets sont des humains et des comptes Twitter. Une simple soif de pouvoir ? Beaucoup de personnages le laissent penser, à commencer par le président du club de foot, pas prêt lui non plus à tout perdre, quitte à s’enfoncer dans la tourmente. On pense aussi à un ministre sensible, en apparence seulement, à Stephan Sweig et surtout, surtout à un certain Président de la République dont l’apparition laisse présager que Baron Noir n’est (vraiment) pas si loin.
L’autre force de La Fièvre tient dans ses deux personnages féminins qui, pour le coup, échappent à une écriture trop cliché : jamais n’est posée la question de leur genre ou de leur statut social. Elles sont là, elles foncent, elles refusent de renoncer. Ce sont des personnages qui maitrisent le langage, la manière dont on peut jouer avec, l’impact des images, des symboles et des souffrances. L’embrasement de la société (quelques crises passées l’ont démontré) ne tient qu’à un fil, et La Fièvre entend bien être au cœur du chaos, sans oublier de prendre le temps de penser la fabrique de l’opinion. Qu’est-ce que l’opinion fait d’autre que d’être fabriquée, remaniée, entraînée ? On lui dit d’être blasée, elle détourne le regard. On lui murmure d’être indignée, elle s’indigne. Jusqu’à ce qu’on lui suggère, enfin croit-elle, d’être fatiguée et de ranger les armes. Soudain, on lui rappelle la colère, la rage… l’envie de tout renverser ! Bientôt, on demande à l’opinion de voter, de se positionner, de choisir et si elle est indécise, qu’importe, le challenge est d’autant plus galvanisant.
Bande-annonce : La fièvre
Créée par Eric Benzekri
Avec Nina Meurisse, Ana Girardot, Benjamin Biolay…
Depuis 2024 | 52 min | Comédie dramatique