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Lieux et Cinéma : les capitales au cinéma

Comment ne pas parler des villes lorsque l’on parle de lieux au cinéma ? Et quel meilleur moyen de revenir sur celles sublimées par la caméra que de s’attarder sur les capitales, villes de pouvoir et d’Histoire ? Le Mag du Ciné vous emmène dans son journal de bord et vous fait découvrir tous les recoins cachés, ou non, des capitales de cinéma.

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Seoul, ville plurielle

Séoul est architecturalement pluriel, socialement disparate, cinématographiquement fascinant. Cette année, le Festival de Cannes a couronné Parasite, lequel investit deux Séoul antinomiques : la ville des classes populaires, parfois misérable, et celle des classes supérieures, nantie de villas luxueuses et de quartiers embourgeoisés. Dans The Host, du même Bong Joon-ho, c’est le fleuve Han qui se voit mis à l’honneur à travers l’avènement d’un monstre, tandis que Dernier train pour Busan plante sa caméra dans la salle des pas perdus de la gare de la capitale. Déjà dans les années 1930, la ville faisait l’objet de tous les fantasmes : dans Fisherman’s Fire (1939), d’Ahn Chul-yeong, l’exploitation des femmes provinciales et la prostitution s’inscrivent en toile de fond. La ville apparaît alors à la fois comme une menace et une opportunité. Plus tard adviennent des films d’espionnage – Séoul n’est qu’à quarante kilomètres de la Corée du Nord – et des œuvres telles que Madame Freedom (1956) ou Les Fleurs de l’enfer (1957), où les  femmes au foyer soumises, mais aspirant à l’émancipation, tiennent lieu d’héroïnes . Les mutations urbaines ensemenceront quant à elles les années 1960-1980, avec des films tels que The Insect Woman (1972).

De prime abord, Séoul se manifeste à l’esprit comme une ville de béton et d’acier, par ses gratte-ciels titanesques, son absence d’horizon, son centre urbain tentaculaire, ses ponts imposants et ses échangeurs routiers inextricablement enlacés. La représentation mentale ne fait pas un pli : Séoul, c’est le quartier animé de Jongno-gu, ni plus ni moins. On en oublierait presque les villes-satellites de Uijeongbu (Oasis, Délinquant juvénile) ou de Paju (Old Boy). Mais aussi le village traditionnel de Bukchon Hanok (Hill of Freedom, The Day He Arrives), les temples bouddhistes, le canal de Cheonggyecheon ou encore le marché de Myeong-dong. Ville de contrastes, Séoul possède une identité multiple, fait cohabiter modernité et tradition, riches et pauvres, joies et douleurs. Des buildings de Gangnam aux habitats modestes de Ssangmun en passant par le cosmopolite Itaewon, des ensembles paupérisés de Barking Dog Never Bite au Séoul labyrinthique de Na Hong-jin, la capitale sud-coréenne arbore une pluralité de visages et une plasticité (décors, tonalités, situations) qui n’ont d’égal que la richesse d’« Hallyuwood ». Et si la période récente a vu Séoul s’imposer comme une métropole du polar, de la vengeance et de l’action, personne ne sait de quoi ses lendemains cinématographiques seront faits.

Paris, lumières d’une ville éternelle

Chacun a son Paris. Mettez-y dix visiteurs curieux, et vous en ressortirez avec dix récits différents de la ville. Berceau du romantisme, ville folle de par sa vie nocturne, territoire de musée et de culture, repaire d’emmerdeurs, Paris est tout à la fois. Alors il était logique que quand le cinéma s’en empare, Paris ne soit jamais la même ville. Rappelons qu’il s’agit de la ville la plus filmée au monde et que l’histoire même du cinéma est intimement liée à la vieille Lutèce. La première projection cinématographique publique était réalisée à Paris en 1895. En 2013, par exemple, la ville accueillait 113 longs-métrages, 116 fictions télévisées, 145 courts-métrages, 60 documentaires, 200 spots publicitaires et 170 films d’école. Le Paris carte postale, celui qui fait ruer les touristes, a été exporté à l’international par Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet qui sublimait les petites ruelles de Montmartre. Woody Allen utilisait la capitale dans son Midnight in Paris pour raconter la nostalgie et le romantisme à travers des balades dans le temps et sur les ponts de la ville. Moulin Rouge de Baz Luhrmann en prenait le lieu emblématique pour en faire un spectacle anachronique rythmé par les mouvements du french cancan. Mission Impossible : Fallout filmait le Paris qui n’avait jamais été autorisé à ses locaux pour en pousser les limites de l’adrénaline à travers une virée en moto mémorable. Si la Tour Eiffel est à la fenêtre de tous les appartements dans le cinéma étranger, dans notre 7ème art hexagonal l’évocation touristique de Paris se fait plus discrète. La plupart du temps, les appartements hausmanniens ne servent que de décor à un cinéma qui a oublié de se délocaliser et de raconter autre chose que sa capitale. Sa dimension historique n’est cependant pas oubliée, dans La Traversée de Paris de 1956, Autan-Lara délivrait un récit sur l’occupation dans la capitale (même si tout était quasiment tourné en studio). Divines de Houda Benyamina et La Haine de Matthieu Kassovitz sortaient un peu de la ville pour placer leur récit en banlieue et raconter une certaine misère sociale. Car Paris est tout à la fois, on peut tout raconter avec Paris. Un grand complot international dans Da Vinci Code, un drame choral dans Paris de Cédric Klapisch, la lutte entre les polices dans 36 quai des Orfèvres. Ce que finit par représenter Paris, c’est la force de l’évocation d’une ville. D’un lieu où chacun a su y terrer des souvenirs, de par les voyages, les films ou les cartes postales de Montmartre et des Champs-Elysées. Une ville où tout peut se raconter vu que tout s’y passe. Avec des si, on mettrait Paris en bouteille disait Jean-François Alata. On a fini par la mettre sur l’écran pour l’éternité.

Rome, ville de cinéma

Paris n’a pas le monopole du romantisme, Rome est aussi ancrée dans cette représentation. Pour saisir chaque recoin secret d’une ville, rien ne vaut les déambulations hasardeuses et les rencontres heureuses avec des lieux historiques par leur beauté ou leur passé. Benigni fait vagabonder son taxi dans Night on Earth de Jim Jarmush, Audrey Hepburn déambule à bord d’un Vespa dans Vacanze Romane, et Vittorio de Sica y fait se déplacer Antonio à vélo dans Le Voleur de Bicyclette. Errer dans les rues, en découvrir les places et les fontaines, autant de chemins et de directions que l’on serait prêt à prendre l’avion dès demain après avoir contemplé les allers et venues des personnages dans les rues de la capitale italienne. Comme toute grande ville, Rome a ses monuments et le cinéma le lui rend bien. Nanni Moretti s’empare du Vatican, lieu si à part de cette cité, dans Habemus Papam et fait partir Michel Piccoli à nouveau dans les ruelles romaines où l’on retrouve encore ce gout de l’errance, et de la découverte des lieux. Plus récemment, The Young Pope avait également occupé le lieu sacré le temps d’une série portée par Jude Law. La fontaine de Trévi, lieu emblématique de la capitale italienne y verra quant à elle les amoureux de Fellini se désirer dans La dolce vita dans une scène devenue mythique grâce à la baignade interdite et sensuelle d’Anita Ekberg. Mais des promenades entre les grands monuments, il ne ressort parfois que l’envie de rester cultiver son amour dans une chambre et de sentir l’air sensuel italien jusqu’à travers les draps. Dans Room in Rome, la sensualité débordante en ferait presque oublier le cadre merveilleux qu’est Rome autour de ces deux femmes auxquelles la ville éternelle ajoute un peu de romantisme. Dans To Rome with love, l’amour croise les murs extérieurs de la ville pour conquérir un peu d’éternité à travers des histoires pourtant parfois éphémères.

Rome est aussi marquée par son histoire. De l’époque antique caractérisée par les gladiateurs dont le Colisée devient le théâtre dans le film de Ridley Scott au nazisme de la Seconde Guerre Mondiale dans Rome, ville ouverte ou encore La Ciociara, Rome a, comme beaucoup de capitales, une histoire qu’elle porte chaque jour et dont le paysage actuel en est encore empreint avec les vestiges notamment du forum romain et du si célèbre Colisée. Rome est ville de cinéma et mériterait bien davantage de références pour saisir toute la richesse de sa représentation au cinéma mais l’on s’arrêtera sur une image notable qui liera à jamais la ville à cet art : la Cinecitta montré dans Le Mépris annonçant les difficultés rencontrées par le cinéma italien, dont on gardera pourtant les plus grands chefs d’oeuvre du septième art.

Berlin, le défilé de l’Histoire

Dans Les Ailes du désir, de Wim Wenders, lorsque Peter Falk songe à Berlin, il évoque « Emil Jannings, von Stauffenberg et Kennedy ». Trois personnalités qui ont marqué des époques successives de l’histoire de la capitale allemande. L’identité cinématographique de Berlin se dessine surtout en fonction des époques historiques représentées.
Emil Jannings était un des acteurs les plus célèbres de la période muette du cinéma allemand. Il représente l’Allemagne d’avant le IIIème Reich, celle de la République de Weimar, en particulier avec le chef d’œuvre de Murnau, Le Dernier des hommes. En incarnant un fier portier d’hôtel qui se retrouve relégué aux toilettes, il figure toute une partie de la population allemande de son temps qui est confrontée à la pauvreté, à l’hyper-inflation et au chômage. Berlin est alors une ville symbole d’une fracture sociale et de criminalité. C’est une plongée dans cette ville souterraine que l’on retrouve dans la série Berlin Alexanderplatz, adaptation du roman d’Alfred Döblin, réalisée par Rainer Werner Fassbinder en 1980.
Claus von Stauffenberg est l’officier de la Wehrmacht qui s’est retrouvé au centre de la tentative d’attentat contre Hitler connu sous le nom d’opération Walkyrie, et que l’on voit incarné par Tom Cruise dans le film Walkyrie de Bryan Singer ou Gérard Buhr dans La Nuit des généraux d’Anatole Litvak. Cela donne une autre image de Berlin : la capitale du IIIème Reich, la ville des Jeux Olympiques de 1936 (montrés dans Les Dieux du Stade, de Leni Riefenstahl), celle aussi de La Chute.
Enfin, le président américain Kennedy, auteur d’un fameux discours devant la Porte de Brandebourg, représente l’époque de la Guerre Froide et du fameux mur qui divisa la ville. Un mur souvent représenté, que ce soit de façon comique dans Un deux trois, de Billy Wilder, ou avec la poésie de Wenders : c’est devant le mur de Berlin que l’ange des Ailes du désir va perdre ses ailes et devenir humain. Certains iront même jusqu’à reproduire le monde communiste de Berlin Est pour que la chute du mur ne choque pas leur mère (Good Bye Lenin !).

Tokyo, le calme et la tempête

Tokyo est une mégalopole aux multiples facettes, une ville que l’on pense connaitre mais qui dissimule un nombre incalculable de secrets, où il faut parfois savoir se faufiler entre une flore apaisante et ancestrale (le temple du Maneki-Neko) et une modernisation urbaine étouffante (Akihabara). Et c’est tout le plaisir de ce lieu où l’on peut divaguer dans la joie impérissable de quartiers sucrés comme Shimo-Kitazawa ou alors s’évader dans le brouhaha hypnotique de Shibuya ou Odaiba. Il est parfois aisé de s’appesantir dans les petites ruelles verdoyantes de Tokyo comme si l’on était dans un film de Naomi Kawase, qui en plus de nous promener dans les joyeusetés enfantines de la ville, nous fait aussi découvrir les saveurs culinaires des dorayakis, pâtisseries d’une Cité aux nombreuses odeurs (Les Délices de Tokyo). Une ville « monde » où il est parfois grisant de se sentir isolé autour de cette immensité et de se voir englouti par la foule, puis de se laisser porter par cette atmosphère presque « shoegaze » (Lost in Translation de Sofia Coppola).

Mais Tokyo n’est pas un simple lieu de pèlerinage ou de calme, même s’il est réellement confortable de s’y sentir léger, heureux, seul ou en famille : là où des cinéastes comme Ozu et Kore Eda aspirent à capter la douceur intrinsèque des petits lotissements d’une immense ville, tout en se confrontant aux questionnements sociaux et à l’énergie parfois destructrice d’une ville et d’un pays en perpétuels mutation. Une ville parfois rigide, occupée par ses règles et son conformisme qui en oublie une partie de sa jeunesse (Kids Return de Takeshi Kitano). Car derrière ces lueurs du soleil, cette magie, cette sérénité, et cet aigre goût de la vie, Tokyo surprend par son versant monstrueux, incandescent, sa noirceur presque nihiliste, d’un point de vue démographique mais aussi matérialiste ;  idée représentée par les Salarymen d’oeuvres comme Tetsuo ou Tokyo Fist de Shinya Tsukamoto. Une ville où le travail et la compétition sont des objectifs de vie. C’est alors que cette mosaïque de couleurs se ternit et devient une structure organique et déshumanisée, prête à tout dévorer sur son passage.

Petit à petit, le soleil se couche, le labeur et les longues journées de travail s’amenuisent et font place à la nuit nippone, ses salles d’arcade, ses bars et ses boites de strip tease et ce n’est pas les tournoiements incessants et fluorescents d’Enter The Void de Gaspar Noé qui vous diront le contraire : une ville aux mille visages mais aussi et surtout aux mille excès. Un lieu où les hommes et femmes s’affranchissent de leurs moeurs et ne se donnent aucune limite, quitte à sombrer dans le néant et la débauche féminicide comme en atteste Guilty of Romance de Sono Sion ou même The Brutal Hopelessness of love de Takashi Ishii. Même les yakusas les plus aguerris perdent pieds très rapidement (Ichi the Killer). Oui ,Tokyo est une ville rebelle, le genre de ville où il faut avoir le coeur bien accroché pour s’y frotter. Mais le voyage ne sera pas vain. Loin de là.