Pour son premier album graphique, Danicollaterale plonge le lecteur dans le microcosme enserré d’un cabinet d’architecture parisien, qu’il dévoile à travers les yeux d’Enzo Forte, un stagiaire italien. Entre créativité débordante et réalité professionnelle ardue, le jeune homme tente de faire son trou.
Fraîchement diplômé en architecture, Enzo Forte arrive à Paris avec la volonté ferme de réaliser ses rêves. Il veut intégrer l’un des cabinets les plus renommés de la ville, à la fois pour se faire la main mais aussi pour contribuer à des projets d’envergure. Sa persévérance est récompensée lorsqu’il est accepté comme stagiaire chez Xavier Nolan, un architecte de renom et lauréat du prestigieux Prix Pritzker. Cette première partie de l’album constitue une introduction à la fois à l’univers de l’architecture de haut niveau et aux premiers défis auxquels Enzo doit faire face : longues heures de travail, pression constante et premières désillusions professionnelles.
Car le jeune stagiaire va vite l’apprendre à ses dépens : le quotidien au cabinet est rythmé par les échéances serrées et les demandes exigeantes de clients prestigieux. Intégré dans une équipe participant à un concours international, Enzo découvre que derrière la réussite professionnelle se cache un travail acharné, collégial, quasi ininterrompu. Entre les machines de découpe laser, les imprimantes 3D, les maquettes et les réunions parfois improbables (dont celle débouchant sur le choix d’un « building couché »), l’album dépeint avec réalisme les aspérités de la profession. Et une chose le traverse de bout en bout : les relations avec les collègues, oscillant entre fraternité, solidarité et… compétition féroce, voire animosité.
Danicollaterale expose les aléas du métier à travers les expériences partiellement autobiographiques d’Enzo : modifications de dernière minute, délais impossibles à tenir, problèmes informatiques… Ce que l’on découvre dans le bien nommé Je suis charrette ressemble beaucoup aux périodes de crunch de l’industrie vidéoludique. Aussi, l’apprentissage d’Enzo se fait parfois dans la douleur, en dépit des relations amicales avec ses collègues directs et de l’émulation de travailler sur un projet valorisant. Danicollaterale l’expose avec une certaine variété graphique, impliquant pointillisme, montages-séquences ou encore incrustations.
Au fil des pages, le lecteur est amené à se questionner sur une carrière éprouvante, entraperçue par l’intermédiaire d’un stagiaire harassé mais déterminé. Je suis charrette, expression sur laquelle l’auteur revient abondamment, indique bien dans quel état d’esprit on aborde un tel milieu, dans ces circonstances-là. C’est un récit de l’intérieur, certes personnel, et donc subjectif, mais non moins passionnant. Ce que l’on peut en revanche regretter en tant que lecteur, c’est que l’architecture et ses aléas phagocytent à ce point l’album qu’il en oublie parfois de faire vivre et évoluer ses personnages.
Je suis charrette, Danicollaterale
Delcourt, avril 2024, 208 pages