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The Pod Generation : marcher sur des œufs

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma

Le bon art de vivre en communauté, c’est avant tout l’art du partage. Ce n’est évidemment pas ce qui prévaut dans cette utopie, où la grande majorité des outils technologiques révolutionnaires ont remplacé les êtres organiques. Cela pointe une certaine déconnexion avec la vie et à la nature. Et ce bouleversement est significatif dans The Pod Generation, car la conception des bébés a trouvé une nouvelle voie, l’ectogenèse. Ce processus de procréation, qui permet le développement de l’embryon et du fœtus dans un utérus artificiel, teste ainsi les limites d’un couple qui appréhende la parentalité.

Synopsis : Dans un futur proche où l’intelligence artificielle prend le pas sur la nature, Rachel et Alvy, couple new-yorkais, décident d’avoir un enfant. Un géant de la technologie, vantant les mérites d’une maternité plus simple et plus paritaire, propose aux futurs parents de porter l’enfant dans un POD. Alvy a des doutes, mais Rachel, business-woman en pleine ascension, l’incite à accepter cette expérience…

Le meilleur des mondes

Reparti bredouille des festivals Sundance et Deauville, le film de Sophie Barthes (Âmes en stock, Madame Bovary) n’a pas manqué de susciter curiosité et intérêt. La science-fiction de la cinéaste française brosse le portrait, pas si lointain, d’un monde dans lequel l’innovation et le profit vont de pair. Le progrès tend à soulager les humains de leurs tâches les plus laborieuses ou les plus élémentaires, comme la préparation d’un repas au bon temps de cuisson souhaité. La technologie se spécialise donc davantage et se personnalise tout autant, dès lors qu’un nouveau produit phare de la société Pegazus troque l’inconfort de la grossesse contre l’intimité de leurs clients. Résoudre la problématique de l’accouchement est leur devise, mais sommes-nous préparés à un tel changement ?

Pitch idéal pour un épisode de Black Mirror, l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies supplantent les lois de la nature jusqu’au processus de conception, où les enfants du futur naissent dans des pods, œufs qu’une multinationale commercialise auprès des parents souhaitant se soustraire aux inconvénients d’une maternité. Avec un tel produit sur le marché, nous ne sommes pas loin des critères d’une société totalitaire, où une minorité de gens pensent savoir ce qui est bon pour les autres. C’est en tout cas l’angle qu’a retenu la réalisatrice, en évoquant l’écrivain britannique George Orwell, auteur de 1984 et La Ferme des Animaux. Il y a également de quoi nous rappeler les dérives qu’Aldous Huxley a magnifiquement su hiérarchiser dans Le Meilleur des Mondes, un titre ironique et adapté à notre époque.

Les protagonistes évoluent ainsi dans un décor influencé par la culture japonaise et scandinave, avec des couleurs plus douces, pastels, ainsi qu’un côté rétro qui rappelle l’esthétique de Her de Spike Jonze. Sur ce point, il n’y a rien à signaler, c’est un plaisir à regarder. Le film fourmille vraiment d’idées, qui ne sont cependant jamais abouties. Elles sont simplement juxtaposées, créant un faux rythme qui ampute l’intrigue d’un fort capital sympathie.

Un esprit artificiel dans un corps saint

Une routine ne démarre pas sans aller à petits pas. Pourtant, elle semble suffisamment calibrée pour catapulter Alvy (Chiwetel Ejiofor) et Rachel (Emilia Clarke) dans leur journée ensoleillée, car l’intelligence artificielle prend une place conséquente dans leur demeure et leur couple. Il s’agit d’une aide précieuse qui remonte le moral de Rachel, en délicatesse dans sa carrière, contrairement à Alvy qui n’a rien besoin d’autre qu’un baiser de sa compagne pour affronter le jardin botanique qu’il entretient dans son université. On sent évidemment un décalage entre les deux membres du couple, dans l’attente d’un enfant pour les lier de nouveau. Cependant, Rachel n’est pas rassurée à l’idée de perturber son travail au bureau, tandis qu’Alvy est en contradiction avec cette naissance dans l’œuf, sans son consentement. Cela donne lieu à un sujet pertinent où la maternité et la paternité se confondent, sachant qu’ils finissent tous les deux par s’attacher à leur nouvelle acquisition.

Alvy y voit de la vie à l’intérieur, tandis que Rachel n’y voit qu’un outil supplémentaire dans sa panoplie technologique. Ce qui donne lieu à des situations cocasses, mais assez peu jouissives. Malheureusement, cette thématique de fond jongle constamment avec la comédie satirique de la société américaine que l’on développe parallèlement. Un débat environnemental par-ci, un procès sur l’innovation par-là. L’intrigue change trop souvent de direction et ne prend pas soin de laisser le spectateur s’investir à mi-chemin des deux pôles. Au lieu de cela, nous déambulons sur un grand sentier balisé, désamorçant ainsi plusieurs effets de surprise. Une pointe d’ambiguïté n’aurait pas fait de mal, même dans un discours aussi radical. C’est ce qu’Andrew Niccol a parfait avec Bienvenue à Gattaca, qui faisait la démonstration d’une vie artificielle, où la réussite n’était plus seulement due aux performances humaines, mais bien due au code génétique qui constitue les êtres. Les imperfections font pourtant partie de l’humanité. Jusqu’où peut-on aller avant de renoncer à notre identité ?

D’une certaine manière, ces questions-là reviennent en boucle. Mais, il s’agit de l’ADN des grandes industries que l’on analyse ici. Rachel en fait partie et rentre dans le rang, comme un bon petit soldat dans Starship Troopers. Rappelons que dans cet univers, les droits ne sont accordés qu’aux citoyens ayant finalisé leur service militaire. Cette condition est également nécessaire afin d’obtenir un permis pour tomber enceinte. Ce qui arrive à Rachel n’est pas si éloigné de cette fantaisie. Sophie Barthes convoque le féminisme radical, régi par les codes du capitalisme au sein d’une société qui ne jure que par la performance et la compétitivité. Le film serpente entre les caricatures pour mieux émietter des situations révoltantes, comme le fait de ne pas mettre une photo de son enfant au risque d’être cataloguée comme une « mère distraite ». Une initiative des employeurs, afin d’établir des conditions de travail qui poussent les femmes à se conduire comme des hommes.

Face à une telle pression, Rachel trouve refuge auprès d’un œil géant en guise de psychologue, à l’image du Dr. Know dans A.I. Intelligence Artificielle, un moteur de réponses voisin de ChatGPT. Ce qui est loin d’être concluant. À côté de ça, Alvy invite ses étudiants à manger des figues dans ce qui continue sans doute le dernier espace vert en ville. Bien que l’attitude de chacun pour trouver du réconfort semble extrême, voire absurde, ils ne restent pas moins humains et c’est dans le dernier acte que le duo finit par tourner le dos à toute cette hostilité ambiante et passive. Preuve qu’il n’est jamais trop tard pour guérir.

Baby on board

L’intelligence artificielle pend à la langue de tout le monde de nos jours. S’il s’agit d’une fiction, la réalité finit souvent par rattraper les problématiques qu’on y présente et l’avertissement de Sophie Barthes n’est certainement pas le dernier. Lorsque l’outil parvient à remplacer nos facultés, c’est une partie de notre humanité que nous perdons. Ce discours de rejet envers la technologie et les intelligences artificielles constitue un socle plutôt encourageant et bienveillant du côté de Blade Runner ou du récent The Creator de Gareth Edwards. A contrario, ce que The Pod Generation souligne avec sa dystopie cynique et comique, c’est que notre hygiène de vie devient de moins en moins compatible avec notre mode de consommation. L’avertissement est pertinent, la pédagogie un peu moins.

Bande-annonce : The Pod Generation

Fiche technique : The Pod Generation

Réalisation & Scénario : Sophie Barthes
1ère Assistante réalisatrice : Marion Richoux
Scripte : Julie Ghesquiere
Directeur de la photographie : Aandrij Parekh
Montage : Ron Patane, Olivier Bugge Coutté
Musique :  Evgueni et Sasha Gasperine
Producteurs : Geneviève Lemal, Yann Zenou, Nadia Khamichi, Martin Metz, Olivier Rroskill
Production : Scope Pictures, Quad Productions
Pays de production : États-Unis
Distribution France : Jour2Fête
Durée : 1h51
Genre : Science-fiction, Comédie, Romance
Date de sortie : 25 octobre 2023

The Pod Generation : marcher sur des œufs
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