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Starship Troopers, de Paul Verhoeven : les soldats d’une guerre impossible à gagner

Le vent en poupe dans une carrière hollywoodienne lancée par un classique immédiat, Robocop, en 1987, puis avec d’autres films également devenus des classiques, Total Recall en 1990, Basic Instinct en 1992, les œuvres de Paul Verhoeven deviennent malgré elles des événements. Parce qu’elles sont pionnières et piquent le cinéma américain fadasse des années 90, elles sont attendues. Showgirls, incompris et exécuté avant de devenir sur le tard un film culte, marque un premier tournant en 1995. Deux ans plus tard, Starship Troopers, brûlot antimilitariste, sort des rangs.

Synopsis : Au XXIVe siècle, une fédération musclée fait régner sur la Terre l’ordre et la vertu, exhortant sans relâche la jeunesse à la lutte, au devoir, à l’abnégation et au sacrifice de soi. Mais aux confins de la galaxie, une armée d’arachnides se dresse contre l’espèce humaine et ces insectes géants rasent en quelques secondes la ville de Buenos Aires. Cinq jeunes gens, volontaires à peine sortis du lycée, pleins d’ardeurs et de courage, partent en mission dans l’espace pour combattre les envahisseurs. Ils sont loin de se douter de ce qui les attend.

Revoir de la SF et mourir

10 ans après Robocop, le scénariste Edward Neumeier souhaite refaire de la science-fiction. Starship Troopers (Etoiles, garde-à-vous ! en VF), un roman de la guerre froide (1959) oublié de Robert A. Heinlein, devient la matrice dont est librement adapté un script utilisant les codes visuels du fascisme pour mieux les combattre. Né en 1938 à Amsterdam, Paul Verhoeven fait partie d’une des générations marquées directement par la plus grande faucheuse jamais connue. Celles-ci ont exprimé souvent leurs traumas par le surréalisme, dans des œuvres tuant la violence par l’oubli, mais Verhoeven n’en a jamais été. Son cinéma hollywoodien est cabochard, baisse la tête devant les sujets à éviter et se jette dessus en courant. Voilà, deux ans après la tempête haineuse qu’a provoqué Showgirls, la démarche de Starship Troopers. Si certains avaient profité d’une seule œuvre vue trop vite pour ranger le Néerlandais dans la catégorie des machos rétrogrades, ils n’avaient pas encore tout vu.

De si beaux visages

Pour Alfred Hitchcock, le casting était responsable d’une bonne partie du succès d’un film, et on peut dire que sur ce point Starship Troopers a parfaitement réussi le sien. Johhny Rico, Carmen Ibanez et Carl Jenkins sont des figures souriantes, lisses en pleine guerre intergalactique. Quand Denise Richards/Carmen apprend la destruction de sa ville, Buenos Aires, par une bombe lâchée par des aliens mutants, on y voit encore moins d’émotion que sur le visage de Carrie Fischer/Leïa devant la destruction d’Aldérande, en plein détresse sur le tournage de Star Wars. Mais si George Lucas a toujours assumé le fait de ne pas être un grand directeur d’acteurs, Paul Verhoeven a, lui,  cherché ici à plaquer sur ses écrans le sourire Colgate de Denise Richards. Carmen est un filtre Instagram avant l’heure pendant tout le film. Recrutées dans des séries américaines pas folichonnes, les stars de Starship Troopers ne sont pas très connues du grand public et éminemment pas bankables. En termes économiques, il a fallu autant de courage que de déraison pour imposer ces acteurs limités par la mise en scène à ne jouer que des figures creuses, surtout pour Casper Van Dien et Denise Richards. En termes artistiques, cette folie fonctionne incroyablement bien. Pour une des rares fois dans le cinéma hollywoodien, aucune star ne porte un budget de plus de 100 millions de dollars, mais plutôt des figures. Les mêmes que celles de grands aryens idéalisés en discobole ou en kouros, les hommes parfaits, par le style du cinéma de Leni Riefenstahl, cinéaste géniale, mais honnie. Leni Riefenstahl, perdue dans la nasse du Troisième Reich, celle qui voulait faire du cinéma à tout prix, qui a mis en scène et magnifié les premiers congrès de Nuremberg et les JO de Berlin de 1936. La femme qui a créé ces grands plans du cinéma moderne, les travellings, les grands angles et les contre-plongées, au service de la plus abominable des causes.

La grande armée

Ce référentiel visuel suffit presque à faire oublier le roman militariste de 1959 écrit par Robert A. Heinlein, lui qui y présentait les grandes armées intergalactiques nécessaires à la résistance au communisme. Autre temps, autre mœurs : en 1997, dans une Amérique post-Reaganienne qui pleure déjà à petites larmes une grandeur qui poussera Trump vers la Maison Blanche, c’est l’impérialisme états-unien que Verhoeven singe frontalement. Quand Johhny Rico porte la volonté de toute son escouade pendant l’entraînement, on revoit les fantômes des 12 Salopards, les débarquements en Normandie, les chevauchées dans des déserts. Autant d’images du passé ressurgissant avec ironie, six ans après la guerre du Golfe, quatre avant les attentats du 11 Septembre. Le Hollandais violent est simplement quelqu’un qui voulait ici, avec toute l’équipe créatrice du film, partager sa peur. Et les événements leur ont donné raison.

Quand John Rico prend sa douche, c’est avec des copains. Et des copines. Dans l’armée interstellaire, il n’y a pas de barrières, pas de sexisme et pas de limites. On court, on se bat, on se marre, sans jamais se reposer. Quand un soldat se fait massacrer le bras par son officier, son plâtre le remet sur pied en à peine une semaine. Et on se lave tous ensemble. La scène de la douche, assez anodine dans le film, prend tout son relief à l’évocation des difficultés qu’ont eu beaucoup d’acteurs à la tourner, gênés d’êtres nus tous ensemble. Selon la légende, Dina Meyer, jouant le rôle de Dizzy Flores, aurait proposé que l’équipe technique se dénude également pour pouvoir la filmer. Et cette gêne du tournage, totalement absente de la diégèse, est un élément essentiel de l’hypocrisie fracassée par Starship Troopers. Ces soldats d’une armée mixte, vivant pour se battre, se battant pour séduire, comme Johnny Rico mettant de côté celle qui l’aime sincèrement pour le souvenir du sourire éblouissant de Carmen qui le lâche à la première occasion pour devenir pilote, ont tout de terrifiant pour cette Amérique de 1997. Une femme mettant sa carrière en avant au détriment de son couple, des soldats qu’on veut décérébrés, intoxiqués de propagande guerrière évoquée par ces spots d’information, comme dans Robocop : tout vise juste. Starship Troopers devient, entre deux batailles savamment mises en scène en épopée guerrière portée par une nouvelle bande-son éblouissante de Basil Poledouris, une grande baffe pour cette société-là. Qui, rancunière, l’a en grande partie rejetée en retour.

Je suis le mal-aimé

Fasciste, wagnérien, nazillon, pourquoi pas, Starship Troopers est devenu un nouveau monument incompris d’une filmographie, pourtant la plus trépidante des années 90. Que de telles images ait été prises au premier degré, dans une société façonnée par les images comme aucune autre, en dit long sur la violence qui a été exprimée et celle avec laquelle ce film a été rejeté. Paul Verhoeven rejoue juste avant la scène finale la prise de Fort Alamo par des aliens arachnides, nouveau pied de nez subconscient à un cinéma qu’il a admiré et parfois détesté, dans ses plus profondes contradictions. Un cinéma qui a reproduit la guerre, la violence, mais avec des petits taches de sang grandes comme l’ongle en guise d’impact de balles, des cris de douleurs façonnés sur des visages en gros plan en guise d’horreur. La guerre de Paul Verhoeven tue réellement, avec des bras arrachés, des viscères qui sortent et des cerveaux qu’on siphonne. Elle gêne parce qu’elle rappelle l’hypocrisie des images, qui patinent la pire des réalités.

Reste à couvert ! 

A six mois près, Starship Troopers aurait pu être un chef-d’œuvre, en tout cas un film mieux perçu. Il faut sauver le soldat Ryan sort six mois plus tard, cru, esthétiquement renversant, reprenant pour lui les idées de réalisme mises en avant par Starship Troopers. La guerre, c’est surtout une affaire de troufions. Las, sorti trop tôt, Starship Troopers ramasse aussi une autre lame de fond en plein front : Titanic, grand classique millénariste, est sorti quinze jours avant. Le romantisme a ruiné la première carrière de ces soldats, pour beaucoup de spectateurs de générations voulant prolonger, pour quelques mois encore, le pacte tacite les unissant à des images qui ne ressemblent à rien d’autre que des illusions. De superbes illusions, vivant leurs dernières heures, dans un chant du cygne emportant des soldats qui voulaient mettre les étoiles au garde-à-vous.

Starship Troopers : Bande-annonce

Starship Troopers : Fiche technique

Titre français et original : Starship Troopers
Réalisation : Paul Verhoeven
Scénario : Edward Neumeier, d’après le roman Étoiles, garde-à-vous ! de Robert A. Heinlein
Musique : Basil Poledouris
Direction artistique : Bruce Robert Hill et Steven Wolff
Décors : Allan Cameron
Costumes : Ellen Mirojnick
Photographie : Jost Vacano
Effets spéciaux : Amalgamated Dynamics, Banned from the Ranch Entertainment, Boss Film Studios, Compound Eye, Industrial Light & Magic, Kevin Yagher Productions, Sony Pictures Imageworks et Tippett Studio
Son : Stephen Hunter Flick
Montage : Mark Goldblatt et Caroline Ross
Production : Jon Davison, Frances Doel, Stacy Lumbrezer, Alan Marshall, Edward Neumeier et Phil Tippett
Sociétés de production : Big Bug Pictures, Digital Image Associates, Touchstone Pictures et TriStar Pictures
Société de distribution : Buena Vista International
Budget : 105 000 000 $
Pays d’origine : États-Unis
Langue : anglais
Format : couleur – 35 mm – 1,85:1 – son Dolby Digital
Genre : science-fiction
Durée : 129 minutes
Dates de sortie : États-Unis : 7 novembre 1997 / France : 21 janvier 1998
Classification : interdiction aux moins de 12 ans à sa sortie en salles en France
Version française réalisée par Dubbing Brothers sous la direction artistique de Philippe Videcoq.

Distribution

Casper Van Dien : Johnny Rico
Dina Meyer  : Dizzy Flores
Denise Richards  : lieutenant Carmen Ibanez
Jake Busey : Ace Levy
Neil Patrick Harris : Carl Jenkins