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Comment je suis devenu super-héros (Douglas Attal) sur Netflix : une si longue attente

Quand donc un Français regagnera le Tour de France ? A quand un successeur à Yannick Noah à Roland-Garros ? Quand un nouveau film de super-héros français sortira enfin ? Une œuvre sortie ce 9 Juillet dernier sur Netflix, autrefois promise en salles, vient de répondre à une de ces interrogations. Et non, ce n’est pas 5ème set. Ni Garçon chiffon, même si cela n’a aucun rapport.

Synopsis : Paris 2020. Dans une société où les surhommes sont banalisés et parfaitement intégrés, une mystérieuse substance procurant des super-pouvoirs à ceux qui n’en ont pas se répand. Face aux incidents qui se multiplient, les lieutenants Moreau et Schaltzmann sont chargés de l’enquête. Avec l’aide de Monté Carlo et Callista, deux anciens justiciers, ils feront tout pour démanteler le trafic. Mais le passé de Moreau ressurgit, et l’enquête se complique…

La banalité du bien

France 2020. A l’ère où les vannes fusent sur toutes les fois où des films hexagonaux ont tenté l’aventure des blockbusters, un projet porté depuis dix ans, adapté d’un roman, écrit par un Français et se déroulant à New York, sort enfin sur Netflix. Si vous avez survécu à cette phrase pleine d’informations, dites-vous simplement que vous venez de passer dans la lessiveuse qu’un film français de super-héros doit franchir. Débarquer avec une cape et un masque en plein Paris, dans des paysages encore enchantés par Amélie Poulain, ce n’est pas commode. Alors, Douglas Attal a eu l’intelligence de choisir le 10ème script d’une longue liste, celui qui oublie la grande scène de bagarre entre masqués, pour lancer ses personnages dans l’écrin du film policier.

Police secours

Les lieutenants Moreau et Schaltzmann ont tout pour ne pas bosser ensemble. L’un est brun et dépressif, incarné par Pio Marmaï, l’autre est peroxydée, carrée, incarnée par Viamala Pons et a un nom de famille compliqué à épeler. Voilà le duo caractérisé qui va travailler ensemble, réuni par le commissaire type blasé de toutes les fictions américaines. A ce stade du film, on a pour le moment juste croisé un petit effet de super héros, guère plus, le spectacle visuel prendra le temps de s’installer quand les codes narratifs des comics auront posé leurs propres échafaudages : certains tiqueront sur cette entrée en matière bourrées de clichés, pourtant interprétée et mise en scène avec soin. Les images dignes de Marvel restent au garage quelques instants. Dans cette introduction, quelques rues crades rappellent celles des vieux L 627, et le récit se nourrit de ces influences déjà contradictoires. A ce dispositif s’ajoutent des extraits de journaux TV plus vrais que nature, LCI, CNews, BFM banalisant le mythe des super-pouvoirs à grands coups de normalité : un éclair, une rue sombre, un mec enflammé.

Les super-héros se cachent pour mûrir

Douglas Attal s’est vu demander si son film n’arrivait pas 10 ans trop tard. Certains spectateurs ont dû y penser : le défi est immense, pour une production que le réalisateur a voulu ancrer à Paris, de défier malgré elle le flot d’images marveliennes qui parasitent nos esprits au moment de poser quelques regards sur son film. Pio Marmaï en clown triste, perdu dans son personnage comme il l’a été en partie sur le tournage, ce qui a été le cas d’une partie du casting, apporte ce décalage essentiel à la suspension de la crédulité. Acceptons-nous de voir des super-pouvoirs à Paris? Le procédé est à la limite de la parodie, entre deux répliques qu’on ne verrait nulle part ailleurs, Vimala Pons lâchant un magnifique « va bien te faire cuire le cul » so français. Mais il y des fantômes à écarter : en premier Superdupont, bien sûr, celui-dont-on-ne-doit-pas-dire-le-nom, le chef d’oeuvre parodique de Gotlib, qui a autant réjoui les lecteurs de Fluide glacial qu’ancré le mythe superhéroïque en France dans une logique de grosse poilade. En second lieu, les autres références de héros ancrés dans un quotidien triste, sale et banal : The boys récemment, sur Amazon prime, mais bien sûr The Watchmen, auxquels les costumes de nos francophones volants ressemblent tant.

Un casseur de blocs français

En recherchant juste un peu, on lit la presse en ligne : quelques pages parlent de « blockbuster » français. A 15 millions d’euros de budget, dont 1 seul pour les effets spéciaux qui remplissent tout à fait leur cahiers des charges, du spectaculaire laissant la place à l’imagination, sans aucun tape-à-l’œil, le terme peut faire tiquer. Un blockbuster ? Où ça ? Captain America, pour citer un exemple, ce sont 1600 plans truqués. Refaire ici l’histoire du blockbuster, ce mot-valise, n’a pas de sens ici, mais il permet de toucher du doigt l’esthétique à laquelle le réalisateur a pu toucher : des raccords et un montage ambitieux, une bande son collant aux dernières du genre. L’ensemble n’est pas d’une immense originalité, mais rappelle toutes les images déjà vues, bien mieux dotées. A l’image d’un coureur cycliste limité, mais courageux, Comment je suis devenu super-héros suce la roue des grands studios avec efficacité et savoir-faire pour passer le col sans trop souffler.

Il était un film ?

Lancer ce projet, malgré l’envie d’une communauté geek très soudée pour voir des super-héros en France, n’avait rien de facile. Les planètes s’alignent dans le cinéma de genre français depuis la sortie de l’excellent Grave de Julia Ducournau, mais la volonté de convoquer des images plutôt que d’en créer en dit long sur un film que l’on verra peut-être comme un hommage, surtout comme un soupir nostalgique de ne pas avoir pu le faire à temps. Qu’aurait-il donné 10 ans plus tôt ? Aurait-il permis de lancer un Marvel à la française, un Capitaine France ? Certainement pas. Mais il se serait chargé d’une autre énergie que la langueur qu’on peut ressentir dans tous ses plans. Cette pesanteur à la Droopy qui passe par le regard de son personnage principal, transforme les rires en sourires quand Monté Carlo (Benoît Poelvoorde) ne sait plus se téléporter correctement, teinte un film hybride de quelque chose d’apparemment désuet qui en dit pourtant long. On y voit ici autant des héros largués de ne plus l’être, ou de ne plus vouloir en être, face à ceux échouant à le devenir à tous prix. De ce combat improbable, sort l’image même du héros qu’on chope au hasard sans lui demander son avis, pour l’habiller un peu comme les autres et le lancer dans le spectacle, pourquoi pas en pleine prise d’otages. Attention l’Amérique, voici le cinéma de genre français.

Bande annonce : Comment je suis devenu super-héros

Fiche technique

Réalisation : Douglas Attal
Scénario : Cédric Anger, Douglas Attal, Gérald Bronner, Melisa Godet et Charlotte Sanson, d’après le roman Comment je suis devenu super-héros de Gérald Bronner
Musique : Nino Vella et Adrien Prévost1
Direction artistique : Jean-Philippe Moreaux
Costumes : Maïra Ramedhan Levi
Photographie : Nicolas Loir
Montage : Francis Vesin1
Production : Alain Attal, Marie Jardillier et Emma Javaux
Production associée : Philippe Logie
Budget : 15 millions d’euros
Pays d’origine : France
Langue originale : français
Format : couleur
Genre : super-héros, policier
Durée : 97 minutes