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La police au cinéma : L 627, un article est un beau sujet

En 1992 Bertrand Tavernier rompt sous un titre obscur les figures et les conventions du film policier français. Pas de poursuites, peu de flingues, peu de moyens : derrière le rideau, des champs jamais filmés auparavant.

Synopsis : À la suite d’une altercation avec son supérieur, qu’il considère incompétent, Lucien Marguet (Didier Bezace) est changé de brigade.C’est un policier de terrain, passionné par son travail, quitte à y sacrifier parfois sa vie de famille. Mais il intègre rapidement un groupe qui lutte contre le trafic de stupéfiants, entre le découragement et les espoirs, malgré son manque de moyens.

Lulu, rescapé de l’Idhec

La scène arrive tardivement dans le film, quand Lucien, incarné par le trop rare et regretté Didier Bezace, tourne quelques plans lors d’une planque. Bien que pour un spectateur de 2021, sa caméra évoquera au mieux le vieux caméscope de tonton, on le flatte. Lapidaire, Lulu l’antagoniste répond qu’il a préparé le concours d’entrée de l’Idhec, l’institut des hautes études cinématographiques, intégré à la FEMIS en 1988. Rien de plus à rajouter, qu’il l’ait raté ou abandonné, sa caméra filme ici, aujourd’hui, une rue sordide de Paris, et tout est dit. En une petite scène, beaucoup de choses sont évoquées sur le grand malentendu entre ce qui est filmé et ce qui n’a jamais été. L’échange se déroule entre des arrestations dans des bidonvilles urbains, des traques d’indics dans des quartiers sales, pas propres pour beaucoup à être sur pellicules.

La marge et le Tavernier

Des territoires de banlieue ont déjà été filmés par des cinéastes, à l’image de Maurice Pialat, contaminés parfois par la marge de leurs sujets. Que Bertrand Tavernier vienne y poser son matériel et son cinéma peut interpeller. Lui, l’ancien étudiant en droit de la Sorbonne qui trouve le non-titre absolu d’une fiction qu’on ne voulait pas voir, L 627 est l’article prohibant la consommation et le trafic de stupéfiants, est né du cinéma de studio qu’il a justement réhabilité. En France, après la nouvelle vague, il rappelle Jean Aurenche et Pierre Bost, des scénariste reclus du cinéma de papa des années 50, balayés par ce vent de folie qui descend les caméras dans les rues, filme la vie parisienne, les dragueurs et le reste. Lui qui créait un ciné club à la fac pour redorer le blason du Western, du film noir et des autres trésors hollywoodiens alors vus comme des conneries, fait tomber en 1992 un mur à rénover de sa filmographie déjà emblématique. Le cinéma entre ici par une petite fenêtre, reprenant à son compte l’envie créatrice de la caméra-stylo, se posant où on veut, qu’elle soit un Mont-blanc ou un bon vieux bic. (Attention, le premier nommé est un poil plus cher qu’un yaourt.)

Génération VHS

L 627 a beau avoir un titre évoquant plus votre dernière ordonnance que votre dernier ticket de cinéma, il est devenu le remède utile à tout un moule de films policiers des années 60 à 80, tournés à la va-vite, plus ou moins réussis, rapidement vidés de leur âme. En voulant montrer le quotidien de policiers fauchés, tournant avec une seule voiture de patrouille indigne de porter ce nom, en panne un jour sur deux, on se coupe des poursuites faciles tournées au kilomètre. Pas non plus de courses poursuites à pied, flingue au point, à la French connection, un grand film du vide, courant magnifiquement en brassant de l’air les ¾ du temps. La recherche du réalisme ne suffit pas, sans le bon écrin. Bertrand Tavernier déconstruit ici 50 ans de cinéma policier, américain principalement, ses premières influences, avec le savoir-faire du disséqueur pointu qu’il est devenu en dévorant ces films-là. Ici pas de héros, pas d’inspecteur le cigare au bec, décortiquant les indices d’une scène de crime grande bourgeoise avec élégance. Pas non plus de romances, de flirt, d’intrigues secondaires schématisées, conçues dans des manuels de scénaristes progressivement usés jusqu’à la corde. Les plans sortent des cadres et de la grammaire habituels de ces œuvres précédentes, ayant tanné les regards et les envies des spectateurs pendant deux générations, hébétés de perdre leurs images, les plans, les angles, tout ce qui était devenu les marques d’un style, uniquement. Les images sales, fades et banales de la génération VHS sont mobilisées au cinéma, mises en scène avec un recul et une maîtrise harmonisant parfaitement un sujet, son propos et son media. Pour le cinéma c’est très rare, trop peut-être et c’est ce qui fait le sel de films résonnant si profondément avec leur époque.

Un chef d’œuvre dans la besace

Méconnu et incompris à sa sortie, la faute, qui sait, à la maladresse d’un ministre de l’intérieur dépassé par le contexte, la réalité et la vitalité de ce cinéma-là, L 627 n’est pas devenu un classique, tant mieux, parce qu’il ne rentrerait pas tout à fait dans ce costume. Précisément, ce film vit aujourd’hui reclus dans une vidéothèque comme un vieux livre corné traîne sur une belle étagère. Les pages ne sont pas les plus belles, mais elles sont cornées d’émotions et d’humanités, avec un « s » au bout, parce qu’on ne parle pas ici des grands mots, qui feraient rire la bande de Lucien, mais de ces personnages qui deviennent des personnes sous la caméra de Bertrand Tavernier : celles qui gueulent, tirent au flanc, font les cons, sortent des blagues sexistes, racistes, sans chercher à s’en excuser. En perdant la pureté du style au profit du réel lâché sans laisse dans ce film, le danger était clairement présent de perdre bien plus de personne qu’un ministre encore bloqué en 1992 au temps de l’ORTF, reniant au film ce qu’il est, tout simplement : sa vérité. Le temps passant, on regardera L 627 avec le recul de spectateurs saturés de nouvelles icônes, d’autres sujets traités avec, ouvrez les guillemets, « réalisme » dans des plans bien dessinés, des transitions parfaitement calibrées, sans caméra qui tremble. Pourtant, ici, si elle tremble sur son épaule, c’est parce qu’elle vit.

Bande annonce

Fiche technique

Titre original : L.627
Réalisation : Bertrand Tavernier
Scénario : Michel Alexandre et Bertrand Tavernier
Production : Frédéric Bourboulon pour Little Bear et Alain Sarde pour Les Films Alain Sarde
Musique : Philippe Sarde
Photographie : Alain Choquart
Montage : Ariane Bœglin
Costumes : Jacqueline Moreau
Décors : Guy-Claude François
Son : Michel Desrois et Gérard Lamps
Pays de production : 100% Drapeau de la France France
Langue de tournage : français
Format : Couleurs – 1,85:1 – Son Dolby – 35 mm (Fuji)
Genre : drame
Durée : 145 minutes
Date de sortie : 9 septembre 1992

Distribution

Didier Bezace : Lucien Marguet, dit « Lulu »
Jean-Paul Comart : Dominique Henriot, dit « Dodo », ou « Le chef »
Charlotte Kady : Marie
Jean-Roger Milo : Manuel, dit « Manu »
Nils Tavernier : Vincent
Philippe Torreton : Antoine Cantoni dit « Looping », « Tonio » ou « la Belette »