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Enfance au cinéma: Pialat et l’enfance nue, 50 ans pour le voir

1968, les sixties. Une année et une décennie qui ont encore les poches bien pleines de la densité de bouleversements sociaux, politiques et culturels. Parmi eux, la famille et les enfants dans leurs relations aux autres et à leurs mondes, dans des centaines de family life. En 1969 le premier long métrage de Maurice Pialat, tourné un an plus tôt dans le Nord « sans un mètre de studio » suit le trajet de François, un jeune enfant de l’assistance publique, aujourd’hui la DDASS, trimbalé de centres en familles d’accueil.

Et si tout commençait par un extrait télé ? Pialat en vient bien, après avoir tourné les épisodes de La Maison des bois, avec celui qui deviendra dans L’Enfance nue son acteur principal. Dans cette archive de l’INA, on le découvre loin de ses anecdotes de tournage, de sa grande gueule et de ses légendes, parlant à voix feutrée de son film. Du premier à représenter au cinéma le quotidien d’enfants perdus et retrouvés, gérés comme des dossiers et vivant comme aucun autre personnage de studio. François est plein d’énergie, ne canalise rien, et enchaîne les âneries, les errances. Certaines sont plus choquantes que d’autres, mais de la maltraitance animale à la rébellion son irrévérence séduit au premier regard. Lui qui, entouré de sa bande, joue aux 400 coups pour de vrai, est incarné par Michel Tarrazon, un garçon qui « n’a jamais fait l’école du spectacle » comme on disait alors, mais qui a été dirigé comme un acteur professionnel.

Pialat y tient : du réalisme certes, mais né d’un scénario écrit bien en amont, très documenté et criant de vérité. Pourtant, pour le cinéaste, il s’agissait presque du contraire de ce « cinéma-vérité » qui renversait les genres les uns après les autres en sortant des plateaux de tournage et oubliant les scripts du cinéma de papa. Ainsi comme on reconnaît parfois les grandes décorations à ceux et celles qui les refusent, le film ne marche pas en salles. Trop cru, direct et franc du collier, il ne nie rien des obscurités de l’enfance quand on la bascule trop près des bords. François s’attache à une grand-mère tutélaire, il la perd. Il casse des portes, est battu, se bat et perd souvent sa tête dure. On rencontre le Rémi sans famille d’Hector Malot un siècle plus tard, dans les banlieues grises où souffrent les premiers enfants des baby-boomers.

50 ans plus tard, la diction de certains acteurs peut faire tiquer quelques paires d’yeux qui rencontreront ces images. On pourra trouver le temps long pendant quelques scènes, se dire qu’on s’ennuie. On pourra même dire que finalement, ce film n’est pas si réaliste que cela. Mais on découvrira aussi et surtout des cadres et des plans nus de tout artifice et stylisme de saison. C’est toute la force brute de ce film de ramener à une forme de raison le traitement d’un sujet difficile, avec les premiers prémices d’un style qui deviendra patrimonial pour tout le cinéma français. Pialat provoquait en disant qu’il ne serait pas allé voir son film, mais celui-ci reste vigoureusement debout pour combattre les Polisse, les rides du lion de Rod Paradot dans La Tête haute, car il était le premier, après Les 400 coups, à offrir des personnages à tous ces acteurs recrutés loin des planches mais avec beaucoup de minutie, dans une démarche pas bressonienne mais presque.

Film d’acteurs et de personnages, L’Enfance nue accumule toutes les énergies et frappe fort en sonnant juste. C’est beau pour un quinqua qui s’assume.

L’enfance nue: bande annonce

Fiche technique

Réalisation : Maurice Pialat
Scénario : Maurice Pialat, Arlette Langmann
Casting : Raoul Billerey, Maurice Coussonneau, Pierrette Deplanque, Linda Gutemberg, Marie Marc, Henri Puff, Michel Tarrazon, Marie-Louise Thierry, René Thierry
Photographie : Claude Beausoleil
Son : Henri Moline
Production : Véra Belmont, Guy Benier, Claude Berri, Mag Bodard, François Truffaut
Genre : Drame psychologique
Durée : 83 minutes
Date de sortie en France : 22 janvier 1969

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