Le scénariste El Diablo et le dessinateur Romain Baudy remettent le couvert après un très engageant « Darwin’s Lab » : en trois récits aussi courts que fulgurants, ils mettent en scène des créatures extraterrestres confrontées à la nature humaine.
« Alien traficante » s’inscrit quelque part entre Le Salaire de la peur et Predator. Des hommes sont chargés d’acheminer de la drogue à travers une jungle luxuriante. Bien que pressés par le temps, ils s’enlisent, ce qui leur fait craindre la colère, apparemment innommable, de leur chef El Tiburon. Les trois convoyeurs vont toutefois faire une découverte des plus surprenantes, puisqu’ils rencontrent des aliens en panne de carburant, qui leur proposent aussitôt un marché profitable à tous : échanger quelques kilos de leur cocaïne contre une drogue extraterrestre capable de « révolutionner la consommation de stupéfiants » – et dépourvue du moindre effet indésirable. Ces petites mains des cartels latinos tiennent-ils de quoi appâter El Tiburon ? Probablement. Cependant, devant la proposition des aliens de rendre le produit accessible à tous, ils décident de les liquider… afin de ne pas hypothéquer leur marché.
« Roadkill » commence comme une tragédie familiale dans l’Amérique redneck. Un enfant chétif se plie en quatre pour satisfaire aux exigences d’un père désœuvré et alcoolique. Insensible, ce dernier passe ses journées à réprimander son rejeton, ou à malmener les quelques animaux qu’ils croisent. C’est justement l’un d’entre eux, un cerf percuté lors d’un trajet en voiture, qui va agir comme un puissant élément perturbateur. Caché par Zack, il se transforme peu à peu, à l’insu de son père Hugh, qui le croit au fond d’un congélateur prêt à être consommé. El Diablo et Romain Baudy rendent une situation de nature horrifique particulièrement jouissive, puisque le personnage détestable du père va se voir supplanté par une créature probablement extraterrestre, et ardamment recherchée par les autorités.
Ce second volume de Space Connexion se clôture enfin par un très ironique « Lanceur d’alerte ». Venu du futur à l’instar d’un Terminator, un scientifique renommé cherche à convaincre son alter ego du passé que les extraterrestres sont déjà sur terre et se trouvent à l’origine des grands progrès humains et technologiques, censés leur procurer un environnement idoine lorsqu’ils prendront la décision de nous coloniser ouvertement. « Nous devons alerter la planète ! Il y a urgence absolue ! » Ce qu’il ignore, c’est la véritable nature de son interlocuteur, et le délicieux pathétisme qui va ainsi caractériser la fin de ce récit.
Comme « Darwin’s Lab », son prédécesseur, « Alien Legacy » se distingue par un dessin travaillé et un humour efficace. Il parvient aussi à révéler des pans entiers – et peu enviables – de la nature humaine, à travers des personnages rendus peu sympathiques, voire franchement ridicules. Traversé de références cinématographiques (de Délivrance à Starship Troopers) et très bien ficelé, l’album d’El Diablo et Romain Baudy vaut assurément le coup d’œil, notamment pour son inventivité et sa capacité à tourner les comportements humains en dérision.
Space Connexion : Alien Legacy, El Diablo et Romain Baudy
Glénat, août 2022, 64 pages