Les années 2010 : Xavier Dolan, réalisateur des possibles

Roberto Garçon Redacteur sur le MagduCiné

Cet article aurait pu prendre la forme d’une lettre, comme celle que Xavier Dolan écrivit à Di Caprio, lorsqu’il n’était qu’enfant. Cet article aurait pu aussi être les paroles d’une chanson, croisées entre Céline Dion, Dalida et Oasis. Il aurait pu être aussi les sous-titres d’un film pour ados que le réalisateur aurait doublé. Finalement cet article aurait pu être bien des choses. Tout était possible. Comme pour le réalisateur de 30 ans, qui en dix ans de cinéma, a pris cette phrase au pied de la lettre.

« Je pense que tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais« . Nous sommes le 24 mai 2014, Xavier Dolan vient de recevoir le prix du Jury pour son fantastique Mommy. En quelques phrases, il vient d’ouvrir un nouveau chemin. Un champ des possibles pour toute une génération. Dans ce court discours destiné aux rêveuses et aux rêveurs, le réalisateur québécois de 30 ans, 25 ans à l’époque, partage une volonté de bouger les lignes. Plus que ça, il en donne le mode d’emploi. Et cette faculté à bousculer le monde prend tout son sens lorsque l’on s’intéresse au passé du jeune homme. Avant de réaliser J’ai tué ma mère, son premier film en 2009, Dolan était un jeune et grand comédien de doublage. Enfant prodige, il jouait dans des publicités mais pratiquait surtout son métier en faisant les voix de personnages célèbres de la pop-culture pour ados comme Ron dans la saga Harry Potter, Peeta dans Hunger Games ou encore Jacob dans Twilight. De jeune enfant sur les plateaux de doublage à réalisateur adoubé au Festival de Cannes, il y a tout un monde. Pourtant c’est bien là, à force de persévérance, qu’il va réussir à faire éclore son premier film. Encore adolescent, le jeune artiste insistait très lourdement auprès de l’actrice Anne Dorval qui partageait les mêmes locaux pour le doublage. Son script, il a tout mis en oeuvre pour convaincre l’actrice qui a finalement accepté de laisser une chance à Dolan, qui n’avait que 16 ans. La suite, on la connait. J’ai tué ma mère attire l’attention  par sa précision et sa sensibilité pour un réalisateur si jeune. Avec presque un film par an depuis le début de la décennie, Dolan se construit une filmographie qui pourrait ne jamais cesser de croître. Une grammaire qui lui est propre et qui correspond au champ des possibles qu’il souhaite étendre. 

Un cinéma pour tous

Dans la suite de son discours en 2014, il dit ceci en s’adressant à sa génération : » Je veux vous dire qu’en dépit des gens qui s’attachent à leurs propres goûts et qui n’aiment pas ce que vous faites, qui n’aiment pas qui vous êtes, accrochons-nous à nos rêves car ensemble nous pouvons changer le monde et le monde a besoin de changer. Toucher les gens, les faire pleurer, les faire rire.. Nous pouvons changer leurs idées, leurs esprits, changer leurs vies et changer des vies signifie changer le monde. » C’est sur des grands idéaux que Dolan fonde ses films qui se concentrent sur l’intime et le plus profond de soi. Une quête d’identité qui se traduit dans la pluralité de celle-ci. A quoi bon s’affilier à une manière d’être ? Pourquoi un genre quand on peut en représenter plusieurs ? Pourquoi sacraliser une sexualité quand on peut en promouvoir la diversité ? En s’adressant à tous et surtout à sa génération, Xavier Dolan a su donner de la visibilité à des personnages homosexuels, loin des cadres du cinéma hétéro-normé et souvent cliché lorsqu’il s’agit de représenter des personnages LGBTQI+. Dans le champ des possibles qu’il constitue, il décide de faire des questions d’identité soit des sujets traités en profondeur (Laurence Anyways) soit des non-sujets (J’ai tué ma mère). Mais dans son étude des rapports humains, principalement familiaux, ce qui intéresse fondamentalement Dolan c’est la notion de différence. Celle de ne pas être adapté à la société dans Mommy, celle de la maladie dans Juste la fin du Monde, celle d’être un enfant star ou une star qui fait son coming-out forcé dans Ma Vie avec John F.Donovan. Xavier Dolan commence à isoler ses personnages dans leur différence avant de les inclure dans un environnement adapté. Parfois pour le pire comme dans Mommy, ou le meilleur dans Lawrence Anyways.. Mais il n’offre aucune justice partiale à ses personnages, souvent condamnés depuis le départ comme Louis dans Juste La Fin du monde. Dolan balbutie parfois dans ses films. Chacun de ses longs-métrages respire la construction mouvante de son réalisateur. Ce sont des cris du cœur. Et comme tout cri du cœur, surtout quand on est jeune, c’est parfois faillible mais toujours infiniment sincère.

Une approche résolument moderne

Le réalisateur essaye toujours de trouver une place à ses personnages. De la même manière que lui s’en fraye une au sein du 7ème art. Lui qui n’est là que depuis dix ans. Peu de réalisateurs ont produit leurs films majeurs pendant leur vingtaine. C’est aussi ces cases là que brise l’artiste, celles des conventions, des habitudes. En prenant pour un rôle dramatique Anne Dorval, connue à l’international pour la série parodique et hilarante Le Coeur a ses raisons, il a franchi encore une barrière. De même en choisissant le prétendu monolithique Kit Harrington, très identifié pour son Jon Snow dans Game of Thrones. Et si les meilleurs Dolan étaient déjà passés ? Quand on l’écoute en interview, il confierait vouloir un jour s’atteler aux films de super-héros (ce qu’il avait essayé de faire avec Ma Vie avec John F.Donovan) ou aux grandes sagas pour la jeunesse comme celle de Harry Potter. Si le réalisateur s’est concentré uniquement sur des drames intimistes, tout un pan du cinéma pourrait devenir son terrain de jeu. Sa démarche suscite au moins la curiosité. De ses jeunes débuts, son art a grandi avec toute une génération. Les deux se définissant comme un miroir, chacun nourrissant l’autre. C’est loin d’être un des seuls réalisateurs à avoir conjugué dans le drame : l’intime, la différence et l’amour. Pour n’en citer qu’un, Pedro Almodóvar accumule déjà toutes ses thématiques depuis bien longtemps. Mais Xavier Dolan crée une nouvelle sève, propre à ses films, et résolument plus moderne. Car nous l’avons dit, Xavier Dolan, c’est avant tout un réalisateur qui parle à une génération. Une génération qui a les mêmes codes et les mêmes références. Sa démarche très auteuriste, pouvant être considérée comme élitiste par les non-initiés se mélangent à des touches largement plus populaires et contemporaines. Et ce très souvent dans la musique.  Dans Mommy, le déchirant morceau classique Experience de Ludivico Einaudi côtoie un moment de résurrection avec Wonderwall du groupe Oasis. Les effets grandiloquents de la fresque  Ma Vie avec John F.Donovan se terminent sur le morceau Bittersweet Symphony de The Verve. Dans Les Amours Imaginaires, les rapports très modernes entre les personnages n’échappent pas à la voix de Dalida. Le cinéma de Dolan, c’est une multitude de références qui foisonnent sans aucun conflit entre elles. Les clins d’oeils à des séries comme Charmed ou Buffy contre les Vampires s’alignent à côté des hommages au cinéma de Jane Campion.

Merci d’avoir montré que tout est réalisable. Pour lui et ses spectateurs, Xavier Dolan est définitivement le réalisateur des possibles.