Pedro Almodóvar n’est pas seulement un réalisateur espagnol amoureux des femmes et de la couleur rouge, c’est aussi un créateur de films monstres et internationalement reconnus. La preuve, le voilà devenu, en cette année 2017, Président du jury du festival de Cannes.
Être un réalisateur libéré, ça semble si facile…
Nommé plusieurs fois à Cannes, jamais palmé, mais récompensé d’un prix de la mise en scène pour Tout sur ma mère, Pedro Almodóvar revient en 2017 sur la croisette pour présider le jury du festival. Le cinéaste né en 1949 découvre la capitale de l’Espagne, Madrid, à l’âge de 18 ans. Son rêve ? Devenir réalisateur. Mais il sera d’abord membre d’une troupe de théâtre amateur puis d’un groupe punk rock. On peut d’ailleurs le voir se produire sur scène (nu sous un manteau de cuir, rien que ça) dans Le Labyrinthe des passions. Cette évocation de la Movida espagnole est d’ailleurs indissociable de l’œuvre un brin provocatrice du réalisateur. L’Espagne, et par ricochet Almodóvar en grandissant, connaîtra en effet la censure et une forme de privation de libertés sous Franco. D’où son besoin de dire non au conformisme et d’entraîner ses personnages toujours plus loin dans la singularité. Ce n’est en effet qu’en 1975, à la mort de Franco, que l’Espagne connait une phase de libération dont ses films sont des témoins vivaces. Il peint alors cette liberté retrouvée dans ses premiers longs métrages. A ce titre, son premier film Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier (1980, avec Carmen Maura) est de loin le plus cru, le moins poétique de l’œuvre du réalisateur. On repense à ce titre au flop engendré par la sortie des Amants passagers (2013) qui tout en mêlant des thèmes chers au réalisateur n’a pas remporté l’adhésion du public face à un objet foutraque, décomplexé et un brin dérangé. Dès son deuxième film, Le labyrinthe des passions donc, on découvre le goût du réalisateur espagnol pour les scénarios qui sont loin de tenir sur un timbre poste. La complexité des relations entre les personnages, l’entremêlement des rebondissements, des liens, des désirs de vengeances en font un film aussi drôle que torturé. Dans ce film, on retrouve l’obsession d’Almodóvar pour les femmes, la musique, les histoires sexuelles décalées, mais aussi un certain trash et un burlesque très assumés. Mais il ne se contente pas de cela, car son regard n’est jamais très loin d’être critique, ironique, bref rempli d’un humour qui ne se contente pas d’observer les libertés, mais aussi de les donner à penser.
L’homme qui aimait les femmes
Dès son troisième long métrage, Almodóvar commencera donc à tourner avec les muses de sa vie. Marisa Parades et Carmen Maura sont en effet deux des héroïnes de Dans les ténèbres. Le réalisateur y aborde également le thème de la religion qui marquera d’autres films majeurs de son œuvre comme La mauvaise éducation. Suivront par la suite Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça, dont le scénario préfigure certainement les futurs Femmes au bord de la crise nerf, Matador, La loi du désir, Attache-moi. Autant de films qui explorent la folie, le désir, l’envie d’en finir avec la vie. On y croisera un autre acteur fétiche du réalisateur : Antonio Banderas. Une chose est sûre : l’amour n’est jamais chose aisée chez le réalisateur. C’est en 1991 que son œuvre devient plus accessible au grand public avec Talons Aiguilles. Victoria Abril tient le rôle vedette de ce drame sur fond de relation mère-fille. On y retrouve le meurtre à maquiller qui fera aussi le sel de Volver, dans lequel l’obsession du rouge de Pedro Almodóvar se fait sentir. Mais c’est avec Tout sur ma mère (où l’on retrouve Cecilia Roth et surtout Penelope Cruz) que le réalisateur tend à son paroxysme son goût pour ceux qu’on a laissés sur le bord de la route, mais aussi son regard sur les mères, toujours imparfaites, mais pourtant si courageuses. Le film mêle, avec poésie cette fois ,des thèmes aussi vastes que la transsexualité, l’amour du théâtre, la prostitution, la perte d’un être cher, la maternité, la foi. Tout cela avec l’humour qui sied si bien à Almodóvar. Ainsi, la scène où Agrado décrit ses différentes opérations et le prix qu’elles lui ont coûté, tout en se revendiquant authentique est un petit bijou d’humanité, d’humour et d’authenticité finalement. Almodóvar dédiera le film à toutes les femmes. C’est d’ailleurs encore à elles qu’il rend hommage dans Parle avec elle, même s’il les prive de parole le temps d’un film où leur force est vécue à travers le regard de deux hommes amoureux. Avec Etreintes brisées et Julieta, respectivement sortis en 2009 et 2016, Almodóvar renoue avec ce succès-là, jouant de la force d’une héroïne, des enjeux du destin et du lien entre les personnages. Avec La Piel que habito, l’humour noir, Antonio Banderas ou encore Marisa Parades font leur retour auprès du cinéaste. Le film, au scénario aussi alambiqué et torturé que fascinant, nous rappelle les enjeux de l’identité chez Almodóvar.
Une identité jamais tout à fait figée, des désirs toujours en mouvement, des obsessions destructrices. Le réalisateur ne pose ainsi pas un regard tendre sur l’humain, malgré ses décors colorés, les rires qu’il déclenche bien souvent. Toutes les failles sont aussi révélées au grand jour et cet irrésistible lien qui lie à jamais les êtres qui se sont aimés. Sans nul doute personne ne pourra le briser. Ses personnages n’habitent aucune peau, aucun pays, ne parle aucune langue autre que celle des désirs les plus enfouis, les plus inassouvis.
A Cannes, il portera avec lui cette part d’histoire de son pays, sa manière à lui de se distinguer, mais aussi ce désir de faire partie d’un cinéma mondial d’une infinie richesse. Thierry Fremaux a salué un cinéma qui « ne passe pas par les codes habituels » tout en étant universel. Il représenterait avant tout, toujours selon le délégué général du Festival, « la surprise, l’incandescence ». Espérons que son palmarès ressemblera aussi à cela en mai prochain. Espérons aussi que, comme la plupart des personnages qui ont traversé son cinéma, le réalisateur espagnol ne soit pas rongé par la culpabilité au moment de remettre la Palme d’or à un collègue plutôt qu’à un autre.
Filmographie : Pedro Almodóvar
Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier, 1980
Le Labyrinthe des passions, 1982
Dans les ténèbres, 1983
Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?, 1984
Matador, 1986
La Loi du désir, 1987
Femmes au bord de la crise de nerf, 1989
Attache-moi !, 1989
Talons aiguilles, 1991
Kika, 1993
La Fleur de mon secret, 1995
En chair et en os, 1997
Tout sur ma mère, 1998
Parle avec elle, 2002
La Mauvaise éducation, 2003
Volver, 2005
Etreintes brisées, 2007
La Piel que Habito, 2011
Les Amants passagers, 2013
Julieta, 2016