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Juste la fin du monde, un film de Xavier Dolan : Le Pour/Contre de la rédaction

Deux ans après le bouleversant Mommy, le jeune prodige québécois revient avec Juste la fin du monde. Un film attendu, Grand Prix du Jury à Cannes mais qui a profondément divisé notre rédaction. Que vaut alors le nouveau Xavier Dolan ? Réactions..

[Pour/Contre] Juste la fin du monde de Xavier Dolan

Synopsis : Louis, un jeune auteur, vient passer l’après-midi auprès de sa famille après 12 ans d’absence. Un retour auprès des siens qui a pour finalité d’annoncer sa maladie et sa mort prochaine.

L’avis positif convaincu

Il semble que le cinéma puisse parler de manières différentes aux gens. Il fera naître telle ou telle réflexion selon les pensées du spectateur, ou une émotion plus qu’une autre selon son vécu. Il faut distinguer donc les deux grands pôles : la raison et l’émotion. Depuis ses débuts, les films du jeune québécois Xavier Dolan font d’abord appel à l’émotion. De manière générale, il faut préciser que le Festival de Cannes déchaîne les passions, les bonnes et les mauvaises, et que donc il en ressort forcément une vision du film non pas biaisée, mais conditionnée. Attention donc aux jugements trop hâtifs, nécessaires dans notre métier. Juste la fin du monde est totalement réussi. Xavier Dolan porte à l’écran une histoire que l’on dirait écrite par lui, en fait une adaptation de Jean-Luc Lagarce. On retrouve le grand thème de Xavier Dolan, à savoir un jeune homme aux rapports familiaux compliqués. Mais il nous faut préciser la nature de cette complication. Chez Dolan, le rapport à la famille est toujours un mélange d’attraction et de rejet. Louis, joué par Gaspard Ulliel, se trouve tiraillé entre l’amour qu’il porte aux autres (même pour son frère odieux, même pour sa sœur et sa belle-sœur qu’il ne connaît pas) et l’envie de partir le plus loin possible. Peut-être qu’émotionnellement, cette partie ne peut physiquement parler qu’à une certaine tranche d’âge, qu’à un certain type de spectateur, le mélancolique discret.

Dans son dernier film, Xavier Dolan filme cette famille en huis-clos en plan serré. C’est un cadrage absolument génial, car il est tout à fait en adéquation avec ce qu’il veut exprimer. La vision quasi-chirurgicale des différents membres de la famille de Louis traduit son immense affection pour eux, faisant office de gros plans psychologiques, vus depuis les yeux du personnage principal. On a l’impression que le bonheur pourrait durer éternellement, mais la vision prolongée en gros plan d’un visage humain fait souvent se révéler les pires tics et protubérances – ce n’est pas pour rien que le grand angle déformant utilisé en gros plan est souvent utilisé au cinéma pour faire apparaître un personnage comme monstrueux. Comme dans Mommy, l’impression de bonheur semble se dessiner à de nombreuses reprises. Mais le cinéma de Xavier Dolan est un cinéma sur la brèche, pouvant vaciller à tout moment d’un extrême à l’autre, de l’amour au dégoût. Ce qui est impressionnant, c’est la capacité qu’à ce jeune metteur en scène à faire adhérer le spectateur à ses émotions, à son ambiance, à sa mélancolie. Effectivement, l’utilisation de Dragosta Din Tei entre en résonance avec On ne change pas, utilisé dans le précédant film, en faisant appel à une nostalgie (plutôt jeune il faut le dire) qui parlera sans aucun doute au plus grand nombre. Dans les deux cas, ces chansons interviennent à des moments forts du film, et précèdent bien souvent une retombée brutale.

De notre avis, le personnage joué par Gaspard Ulliel est le moins marquant, nécessairement en retrait car il joue le rôle du spectateur de sa propre famille, et c’est par lui que nous aurons toutes les informations. La sœur Léa Seydoux est la seule véritablement agaçante, alors que Nathalie Baye, Marion Cotillard et Vincent Cassel font une interprétation remarquable. Dans les trois cas, on est forcé de s’attacher à eux, tout en voyant bien leurs défauts. Allons, qui n’a jamais ressenti cela vis-à-vis de ses proches ? Remportant le Grand Prix au Festival de Cannes, Xavier Dolan signe un film maîtrisé. D’aucuns regrettent qu’il soit moins époustouflant que Mommy, qui avait remporté le Prix du Jury. Il est difficile pour nous de porter un jugement. Peut-être Juste la fin du monde se trouve-t-il simplement dans la continuité de Mommy, en étant moins novateur, certes. Sa force et son propos n’en restent pas moins importants.

L’avis négatif catégorique

Deux ans après le bouleversant Mommy et un Prix du Jury (mais une Palme d’Or logique pour tout le monde), Xavier Dolan retrouve le tapis rouge du Festival de Cannes accompagné d’un casting exclusivement composé de stars françaises, le tout pour l’adaptation d’une pièce délicate de Jean-Luc Lagarce. Soit Juste la fin du monde, un huis-clos familial où le malaise s’illustre à travers les relations tendues entre chaque personnage. Et quand celui qui était parti douze ans auparavant, décide de revenir pour annoncer sa mort, le retour du fils prodigue va amener cette famille au bord de l’explosion. Avec ce scénario, Xavier Dolan se fait plus mature et s’attelle pour la seconde fois – après Tom à la ferme – à l’exercice ô combien périlleux de l’adaptation. Un travail d’écriture à demi-risque néanmoins, puisque la pièce de Jean-Luc Lagarce est un matériau tout taillé pour Dolan. Focalisé sur ce personnage d’un homme seul subissant sa différence, Xavier Dolan apporte assurément de sa personne et nous conte, à sa manière, les dysfonctionnements de sa propre vie familiale. Il y a deux ans, il arrivait à nous arracher une larme avec un morceau de Céline Dion. Cette année, il tente de nous transporter en nous ramenant plus de dix ans en arrière, avec le tube moldave Dragosta Din Tei du groupe O-zone. C’est la preuve que le cinéaste persiste dans son style, en faisant à nouveau appel à certains éléments identitaires de Mommy et plus largement de ses autres films. Xavier Dolan nous livre ainsi sa vision du genre, très bourgeois et théâtral, qu’est le repas de famille en huis-clos. Il fait ainsi ressentir comme personne la difficulté de communiquer correctement dans cette famille, tout comme il fait peser lourdement le sentiment de claustrophobie. Malheureusement pour lui, cette posture artistique n’en fait absolument pas un film agréable à regarder. Juste la fin du monde est un film malade. Malade par sa mise en scène, ses acteurs en pleine crise de nerfs, son recours maladroit à la musique, et sa lumière sépia qui ne sied qu’à moitié au cadre oppressant de l’intrigue.

De ce repas de famille qui est le postulat de départ du récit – qui doit sans doute bien mieux fonctionner au théâtre – Xavier Dolan n’arrive qu’à employer ses acteurs de la manière la plus hystérique et irritante possible. Entre les cris stridents, les silences pesants, les balbutiements interminables et les regards tournés vers le sol, on ne souhaite qu’une chose : quitter cette table et prendre le dessert à la maison. Peut-être que le problème du film réside justement dans son casting cinq étoiles. Car moins que les performances, ce sont les célébrités que l’on regarde se déchirer ; d’abord avec une jubilation coupable puis avec une exaspération interminable (Cotillard en gênée balbutiante étant la plus insupportable à regarder, contrebalançant avec sa jolie prestation dans Mal de Pierres). On se sent mal de voir de si bons acteurs être employés dans une telle mascarade, Nathalie Baye cabotinant en mère exubérante, Léa Seydoux en rebelle chialeuse et Vincent Cassel, l’habituel connard impulsif de service. Seul Gaspard Ulliel, timide et jamais à sa place arrive à susciter de l’empathie et tirer son épingle du jeu. On aimait les ouvertures au monde et les déambulations des personnages dolaniens dans ses précédents films, on regrette amèrement qu’ici ils ne soient filmés qu’en gros plans et sous toutes les coutures. Juste la fin du monde devient alors une succession de photos de profil où les visages radieux, malades, gênés, enflammés, s’enchaînent avec la plus grande frustration. Un bal de plans serrés qui devient à la longue étouffant.

Le parti-pris est affirmé et peut-être qu’il est là le génie du film, nous faire ressentir comme jamais le malaise d’un repas de famille qui dure. Quelques dialogues sonnent très justes et la reprise du contrôle de la situation par Gaspard Ulliel laisse espérer un climax apocalyptique réjouissant. Il n’en sera rien et tout ce qui faisait la vie, la folie, et la frénésie des films dolaniens se fait définitivement absent. Les défenseurs du québécois diront qu’il a pris en maturité et que sa naïveté insouciante évolue en regard hanekien sur les relations d’une famille dysfonctionnelle. Mais comptant autant d’adorateurs que de pourfendeurs, Xavier Dolan n’est pas prêt de réconcilier les deux camps. Juste la fin du monde sonne comme le changement de ton d’un cinéaste qui décide de filmer l’hystérie dépressive de la vie au lieu de la célébrer comme il le faisait jusque là. Bien que le film soit secoué par toute l’énergie des acteurs en total roue libre, l’entreprise de Dolan tourne à vide et n’offre, à l’arrivée, que le résultat d’une démonstration vaine, hystérique et assommante. En tentant de s’adapter à un matériau qui lui ressemble, Xavier Dolan démontre qu’il ne maîtrise pas encore les sujets qui ne sortent pas de sa tête. Le jeune cinéaste reste néanmoins l’un des réalisateurs les plus fascinants de sa génération et on attend avec une hâte non dissimulée son prochain film, The Death and Life of John F. Donovan, son premier film tourné en anglais.

Juste la fin du monde : Bande-annonce + extrait

Juste la fin du monde : Fiche Technique

Réalisation : Xavier Dolan
Scénario : Xavier Dolan, d’après l’oeuvre de Jean-Luc Lagarce
Interprétation : Gaspard Ulliel (Louis), Nathalie Baye (La mère), Léa Seydoux (Suzanne), Vincent Cassel (Antoine), Marion Cotillard (Catherine)…
Photographie : André Turpin
Décors : Colombe Raby
Montage : Xavier Dolan
Musique : Gabriel Yared
Producteurs : Nancy Grant, Xavier Dolan, Sylvain Corbeil, Nathanaël Karmitz, Elisha Karmitz, Michel Merkt,Patrick Roy
Sociétés de Production : MK2 Productions, Téléfilm Canada, Sons of Manual
Distributeur : Diaphana Distribution
Festival et Récompenses : Grand Prix du Jury et Prix du Jury Oecunémique au Festival de Cannes 2016, Césars 2017 du meilleur acteur pour Gaspard Ulliel, meilleur montage et du meilleur réalisateur
Genre : Drame
Durée : 95 minutes
Sortie en salles : 21 septembre 2016

Canada, France – 2016

 

Reporter/Rédacteur LeMagduCiné