Retour sur un cinéma qui a entamé sa nouvelle vague depuis la fin des années quatre-vingt-dix et coup de projecteur sur les meilleurs films coréens de cette période.
Si Parasite n’est pas le meilleur film de Bong Joon-Ho, ni même le meilleur film présenté à Cannes au vu du génial Once upon a time in Hollywood de Tarantino (reparti bredouille alors qu’il aurait dû rafler tous les prix), il reste l’un des cinq meilleurs films de l’année et surtout l’opus qui aura permis au cinéma coréen de réussir au niveau mondial.
Depuis, le sympathique mélange de polar et de thriller Le Gangster, le Flic et l’Assassin démontre maintenant l’intérêt de nos distributeurs pour ce cinéma coréen qui, s’il est bien connu par les cinéphiles pour être l’un des meilleurs du moment, ne faisait que très rarement l’objet de sorties en salles jusqu’ici.
Un nouveau souffle
La nouvelle vague coréenne a commencé avec les premiers films de Park Chan-Wook, Kim Jee-Woon et Bong Joon-Ho pour ne citer qu’eux. Ayant ingéré et digéré ce qui c’était fait de mieux aux États-Unis et dans le reste du monde en matière de cinéma, ces auteurs ont su se démarquer de leurs influences en ayant un style propre et une approche inventive du médium.
J’ai rencontré le Diable (Kim Jee-woon 2010) :
Synopsis : Un agent secret coréen se lance aux trousses d’un tueur en série détraqué et va le filer pour se venger du meurtre de sa fiancé et l’empêcher de commettre de nouveaux méfaits en allant de plus en plus loin dans la torture.
Rare film coréen de ces dernières années à avoir eu les honneurs d’une sortie mondiale, le thriller de Kim Jee-Woon va au bout de son concept avec une énergie et une violence rarement vues sur un écran.
Dans l’étude de personnage, le moins qu’on puisse dire est que Kim ne fait pas dans la demi-mesure, si son tueur est complètement barré et ultra violent, le jeu auquel va se livrer l’agent à ses trousses va rapprocher le chasseur de sa proie jusqu’à brouiller les pistes à la façon d’un William Friedkin. Un film sous haute tension qui prend tous les codes du thriller pour les pousser encore plus loin.
Mademoiselle (Park Chan-Wook 2016) :
Synopsis : Corée du Sud, sous la domination japonaise des années 30. Sook-Hee est engagée comme servante d’une riche japonaise, dame Hideko, laquelle vit recluse dans un immense manoir sous la coupe d’un oncle tyrannique. Sook-Hee obéit aux ordres du comte Fujiwara, lequel en a après la fortune de dame Hideko.
Si Park Chan Wook a déjà quelques péloches bien timbrées au compteur (Old Boy, Thirst…), le réalisateur joue avec son spectateur lui faisant croire un temps à un drame en costume proche de l’univers littéraire des Liaisons dangereuses de Laclos, pour verser sur la fin dans une noirceur et un parfum d’interdit que Le marquis de Sade lui-même n’aurait pas renié. Des influences romanesques fiévreuses pour l’un des plus grands films de ces dernières années et le meilleur de son auteur.
Memories of murder (Bong Joon-Ho 2003) :
Synopsis : En 1986, dans la province de Gyunggi, le corps d’une jeune femme violée puis assassinée est retrouvé dans la campagne. Deux mois plus tard, d’autres crimes similaires ont lieu. Dans un pays qui n’a jamais connu de telles atrocités, la rumeur d’actes commis par un serial killer grandit de jour en jour. Une unité spéciale de la police est ainsi créée dans la région afin de trouver rapidement le coupable. Elle est placée sous les ordres d’un policier local et d’un détective spécialement envoyé de Séoul à sa demande. Devant l’absence de preuves concrètes, les deux hommes sombrent peu à peu dans le doute…
Comme ses frères d’armes, Bong aime prendre un genre rabattu pour le mélanger aux autres. Son polar n’est donc pas qu’un simple polar, mais fait comme Kurosawa avant lui dans Entre le ciel et l’enfer et mêle drame et humour noir avec brio. Le meilleur thriller depuis Seven de David Fincher.
A taxi driver (Jang Hun 2017) :
Synopsis : En 1980, un journaliste allemand travaille au Japon pour une chaîne de télévision allemande. Au mois de mai de la même année a lieu, en Corée du Sud, le soulèvement de Gwangju. Ce mouvement, principalement étudiant et syndical, s’oppose à la dictature de Chun Doo-hwan, mise en place après l’assassinat de Park Chung-hee. Il décide alors de se rendre dans le pays. Il prend un taxi de Séoul à Gwangju et filme tout ce qu’il voit. Son retour jusqu’à Séoul sera éminemment compliqué puisqu’il leur faut échapper à la surveillance aérienne. De retour au Japon, il envoie son film en Allemagne.
Les œuvres qui tentent de raconter l’histoire d’une répression militaire sont souvent glaçantes mais, en privilégiant l’axe historique et militaire, s’avèrent aussi très distantes.
En choisissant l’histoire d’un reporter et surtout du chauffeur de taxi qui va le conduire sur les lieux, le réalisateur Jang Hun fait mouche sur tous les plans. L’histoire nous saute au yeux et nous prend aux tripes après une longue, mais très sympathique introduction, où l’on découvre ledit chauffeur, veuf élevant sa fille en faisant le taxi dans les rues de Séoul, loin du conflit naissant entre les universitaires réclamant la démocratisation du pays et les militaires prêts à contrer le mouvement et à l’étouffer pour que le feu ne prenne pas dans tout le pays.
Song Kang-Ho nous fait pressentir un bon mélange de comédie et de drame avec sa gouaille habituelle mais quand l’horreur éclate, l’acteur (qui refait des merveilles dans Parasite) parvient à toucher les glandes lacrymales sans tomber pour autant dans le mélo. La mise en scène est splendide comme souvent dans les bandes coréennes de ces dernières années et l’histoire passionnante. Comment un tel film peut être passé aussi discrètement dans le PAM (Paysage Audivisuel Mondial – si ça existe pas, maintenant c’est fait :-)), est un mystère !
A bittersweet life (Kim Jee-Woon 2005) :
Synopsis : Un chef de gang suspecte sa petite amie d’avoir une liaison avec un homme. Il la fait suivre et ordonne de la tuer si elle est surprise accompagnée.
Kim Jee-Woon étant l’un des pionniers de la nouvelle vague coréenne, on pourrait citer la quasi totalité de son œuvre, mais avec son génial thriller J’ai rencontré le diable, A bittersweet life est certainement l’opus à voir si l’on veut se familiariser avec l’univers du Monsieur.
Kim mélange avec brio et maestria les influences passant de Scorsese à De Palma et Tarantino mais arrive à garder un style bien à lui.
Il nous embarque dans ce qui semble être une romance dramatique pour bifurquer sur un thriller d’action sur fond de vengeance. Les scènes sont incroyablement maîtrisées et déconstruisent habilement toute tentative d’anticipation. Kim nous surprend de scène en scène et fait monter violence et tension jusqu’à un final épique.
Une nouvelle vague qui continue de monter
A l’heure où le cinéma américain ne fait que se recycler et où le cinéma français continue de creuser sa tombe, le cinéma coréen, lui, brille de mille feux.
On aurait pu citer aussi The Age of shadows de Kim Jee-woon racontant l’histoire de l’occupation japonaise à la façon d’une fresque scorsesienne et qui n’aura pas connu de sortie française ; ou The Host de Bong Joon-Ho, mélange barré de film de monstre et de chronique familiale entre humour et drame ou Thirst le film de vampire de Park Chan-Wook…
La liste serait trop longue tant ce cinéma est riche et ressemble à un coureur à l’ouverture des jeux olympiques qui refuserait de poser la flamme. Vingt ans maintenant que les Sud-Coréens sont les meilleurs représentants de l’originalité, de l’efficacité et du jusqu’au-boutisme de films souvent passionnants. Espérons que nous aurons droit à de plus en plus de sorties coréennes en France et que leur originalité et leur efficacité dureront longtemps.