Suite au refus de David Cronenberg, c’est David Fincher qui se retrouve sur le projet Seven alors qu’il ne s’agit là que de son deuxième long métrage après Alien 3. L’œuvre est une plongée sans retour dans les méandres du mal, dans le vice le plus pur, dans la démence la plus vile, dans la crasse la plus abjecte, une toile éclaboussée par toutes les déjections de la société.
Plongée dans les ténèbres de l’âme humaine
Le film cultive la question du mal. Il est symbolisé par une violence graphique et surtout une violence scénique instaurée par le réalisateur. Ainsi, cela se traduit par une mise en scène qui contrôle tous les éléments du film. De cette pluie diluvienne ininterrompue, labyrinthique et grisante, à cette photographie faisant la part belle aux ténèbres, que ce soit dans les rues d’une ville blême dénuée de toute émotion, assommée par les crimes et les turpitudes, ou même dans les intérieurs où seules quelques lumières ponctuelles habillent les scènes. Fincher fait de l’ambiance de son film le pilier sur lequel tous les autres éléments vont s’appuyer. C’est ainsi que sa caméra jongle à merveille sur les focales et la profondeur de champ, tandis que que la musique (très proche de celle du Silence des agneaux, également composée par Howard Shore) et la bande sonore tiennent une place très importante dans le liant des scènes afin de guider le spectateur vers la rectitude, à l’image des inspecteurs Mills et Somerset se rapprochant peu à peu de l’ultime vérité. Le travail de Darius Khondji, le chef opérateur, est surprenant ; il rend la ville et les décors hostiles et repoussants, et donne cette teinte si particulière aux intérieurs, ternes et pourtant contrastés, créant des tableaux dantesques qui transforment presque l’horreur en figures fascinatoires.
Un buddy-movie au happy-end inenvisageable
Ernest Hemingway a écrit :
«Le monde est un bel endroit qui vaut la peine que l’on se batte pour lui. Moi, je suis d’accord avec la seconde partie. »
Cette phrase issue du film est une forme d’allégorie totale de l’œuvre, sombre et pessimiste. Elle annihile beauté et joie et met en exergue la résurgence de la lutte contre le mal.
Somerset et Mills, les deux inspecteurs sont comme deux guides perdus au milieu de cette folie. D’un côté le vieux loup de mer, porté par un Morgan Freeman au firmament, dont le visage semble s’abimer minute après minute sous l’horreur dont il est le témoin; les yeux brillant d’indignation, troquant volontiers ses ultimes illusions contre un cynisme désarmant ; et de l’autre, le jeune loup ambitieux, poussé en avant par sa nervosité et son manque de calme, au risque de ne pas toujours savoir les canaliser. Ces deux-là évoluent comme sous un déluge aux allures bibliques, qui échoue pourtant à laver les péchés de cette ville sale, grise et crépusculaire. Ils évoluent au sein d’une photographie aux noirs profonds, qui fait se détacher les ombres derrière lesquelles ils courent. Au sein de scènes de crime, aussi, à l’atmosphère glauque et malsaine, territoire d’un mal mis en scène de manière tout aussi méticuleuse que religieuse (le découpage même du film appuie l’aspect schématique et religieux de la démarche du tueur).
Jamais un polar n’aura su, scénaristiquement mais aussi visuellement, tiré aussi bien parti de la part sombre de la psyché humaine. C’est ce coup de force qui intronisa Fincher au rang de nouveau maître du suspense.
Le psychopathe restera anonyme pendant l’intégralité du film, à l’image de ce mal indistinct et universel. De plus, le nom de son personnage, « John Doe », signifie aux États-Unis : « Monsieur X », de quoi alimenter encore plus le mystère autour de lui. Par ailleurs, et comme dans le superbe M le Maudit de Fritz Lang en 1933, il est représenté comme une ombre mouvante, une masse informe qui se déplace et plane dans l’atmosphère, comme une réelle personnification du mal, ou du diable pour rester dans le contexte religieux. Pour purger la société des maux qui l’accablent, John Doe va s’approprier les sept péchés capitaux et les détourner à un triste dessein, au nom d’une « mission divine ». Il a une vision très tranchée du monde et de l’être humain, et son personnage rend le film si particulier. Le script et le parti pris du réalisateur ne laissent place à aucune empathie envers les victimes, présentées comme des gens mauvais, pervers, répugnants et c’est en cela que l’œuvre est perturbante. En effet, ce qui peut déranger, c’est l’immoralité viscérale du scénario allant jusqu’à créer un semblant d’empathie pour le psychopathe, ce qui permet toutefois de briser le manichéisme du polar primaire. David Fincher matérialise superbement la démence à coups d’inserts, de représentations abjectes, de plans-séquences au cordeau et de ruptures de ton.
Et c’est après avoir installé une atmosphère malsaine et dépressive, après avoir mis un visage sur sa figure maléfique, que David Fincher met en place la tension qu’il portera pendant toute la dernière partie du film via un crescendo étouffant. Dans un huis clos d’abord, à l’intérieur de l’habitacle d’une voiture, puis à ciel ouvert, dans une ultime scène baignée d’une lumière chaude et aveuglante. Le désert, le soleil, la tension. Doe s’affirme comme le maître du jeu qu’il a finalement toujours été. Et comme le serpent tentateur de la Genèse biblique, il siffle aux oreilles de Mills, le manipule, instillant et entretenant sa rage, pour mieux faire de lui l’instrument de son obscure mission. Oppressant, suffoquant, anxiogène.
Malgré les années, l’aura de Seven demeure. Porté par trois acteurs incroyables et construit d’une main de maître par un réalisateur qui renouvellera et dominera le genre du thriller pendant des années (en maître du suspense qu’il est, Fincher a pris soin de ne pas mettre Kevin Spacey au générique dans Seven par exemple, très astucieux). Une œuvre capitale. Un miroir sur l’horreur de l’être humain et de la société qu’il a construite.
Synopsis : Pour conclure sa carrière, l’inspecteur Somerset, vieux flic blasé, tombe à sept jours de la retraite sur un criminel peu ordinaire. John Doe, c’est ainsi que se fait appeler l’assassin, a décidé de nettoyer la société des maux qui la rongent en commettant sept meurtres basés sur les sept péchés capitaux: la gourmandise, l’avarice, la paresse, l’orgueil, la luxure, l’envie et la colère.
Seven : Bande-annonce
Seven : Fiche technique
Réalisation : David Fincher
Scénario : Andrew Kevin Walker
Interprétation : Brad Pitt, Morgan Freeman, Kevin Spacey, Gwyneth Paltrow…
Musique : Howard Shore
Photographie : Darius Khondji
Décors : Arthur Max
Costumes : Michael Kaplan
Montage : Richard Francis-Bruce
Production : New line Cinema
Distribution : New line Cinema
Nationalité : Américain
Genre : Thriller
Durée : 127 minutes
Date de sortie française : 31 janvier 1996
Etats-Unis – 1996
Auteur : Clement Faure