On essaie de ne pas en tenir compte pour éviter la désillusion… Pourtant, chaque année, le même phénomène se reproduit. On fait semblant d’y croire, progressivement l’espoir grandit… puis on est déçu. Ce lundi 25 février, la 91ème cérémonie des Oscars célébrera le meilleur de l’industrie du cinéma de 2018 mais, une fois de plus, les nominations qui ont eu lieu au mois de janvier n’augurent rien de bon, et d’ailleurs depuis quelques années, les critiques contre l’Académie qui organise cet événement croissent à peu près à la même vitesse que le taux d’audimat de la cérémonie diminue (-40 % en cinq ans). Essayons de comprendre.
Des lacunes criantes d’organisation
Ce sont plus de 7 900 membres qui, cette année, votent au nom de l’Académie des Oscars pour déterminer les lauréats de la prochaine cérémonie. Ces représentants appartiennent à différents collèges professionnels : comédiens, compositeurs, maquilleurs, réalisateurs… On en compte 17 à participer à un vote alternatif, élaborant ainsi un classement par préférence. Pour d’abord déterminer les nommés, les votants choisissent des candidats uniquement dans la catégorie liée à leur branche professionnelle, à l’exception de la catégorie meilleur film. Au second tour, il n’y a plus de distinctions professionnelles et les maquilleurs se retrouvent à voter pour le meilleur mixage sonore. Inutile de préciser que dans le domaine en question ils ne s’y connaissent guère forcément plus qu’un cinéphile amateur, leur choix est donc plus que sujet à caution.
Parmi les Oscars techniques, comme le mixage sonore, ce sont donc les films les plus impressionnants, ceux de guerre ou de science-fiction, qui sont fréquemment récompensés alors que Christian Dolan, mixeur son qui n’est pas membre de l’Académie, explique qu’en fait, « ce sont les dialogues qui peuvent demander le plus de travail et pas nécessairement les scènes d’action ». Les Hommes du Président avait par exemple remporté cet Oscar il y a 42 ans pour les nombreuses discussions par téléphone. Une votante anonyme (nous la nommerons Jane) qui s’était exprimée auprès du Hollywood Reporter avoue ainsi avoir voté, par manque de connaissance, pour son film préféré dans plusieurs des catégories techniques en 2014.
Autre problème : les critères de choix. De nombreux votants ont une approche très subjective. Inconsciemment, ils élisent les héros qui leur ressemblent. Les membres de l’Académie, dont près de 70% sont des hommes et près de 85% des blancs, ont ainsi plus eu tendance à s’intéresser, en 2015, au synopsis de l’œuvre d’Alejandro Iñárritu (un homme blanc en dépression qui tente de retrouver sa gloire d’antan) qu’à celui de Selma, un énième film sur la ségrégation raciale. Le Hollywood Reporter publie chaque année dans sa rubrique « Brutally Honest Oscars Ballots » les commentaires de certains votants, commentaires dont la logique est parfois discutable. Parmi les justifications les plus étonnantes de ces dernières années, en 2018, un producteur déclare « Je n’ai pas aimé Call Me by Your Name. Une relation entre un quarantenaire et un adolescent, ce n’est pas normal. Ça n’aurait pas été accepté si le couple était hétérosexuel. »
La même année, une actrice explique : « Même si Les heures sombres était mon film préféré, je ne pensais pas qu’il aurait des chances de gagner donc j’ai voté pour La forme de l’eau ». Quand on lui demande de justifier son choix pour l’Oscar du meilleur acteur, elle déclare : « J’ai rencontré Timothée Chalamet et il est charmant mais il m’a semblé très proche de son personnage dans Call Me by Your Name donc je ne pense pas que ce soit un bon acteur. » En 2017, un directeur s’était abstenu de voter pour le meilleur film d’animation en expliquant : « Je ne regarde pas les dessins animés ». Le même, au sujet de l’Oscar du meilleur acteur, avouait ne pas avoir vu la performance de Viggo Mortensen dans Captain Fantastic car, s’ennuyant, il avait éteint sa télévision. La même année, pour la catégorie meilleur maquillage et coiffure, tandis qu’une productrice justifia son vote pour Mr.Ove en alléguant que c’était le seul film qu’elle avait vu, un autre producteur expliqua : « J’ai adoré Mr. Ove et je n’ai rien à dire de mal au sujet de Star Trek : Sans limites mais, en tant que mâle hétérosexuel, c’est dur de ne pas voter pour Harley Quinn [incarnée par Margot Robbie dans Suicide Squad] ».
Pire, toujours selon Jane, de nombreux membres du jury ne parviennent pas à voir tous les films nominés à temps et visionnent donc en priorité ceux dont ils ont le plus entendu parler. Cela n’est pas sans poser problème car, si certains jurys s’abstiennent alors (et n’ont donc aucune utilité à l’Académie), les autres votent tout de même. Sans surprise, les films les plus vus reçoivent alors le plus grand nombre de nominations. En 2016, par exemple, d’après des chiffres récoltés par le Hollywood Reporter, certaines œuvres comme Selma, nominée dans la catégorie « meilleur film », n’ont pas été regardées par 10% des votants. Sans surprises l’œuvre la plus vue (même si 2% ne l’ont pas visionnée à temps), Birdman, a obtenu la récompense.
La répartition en catégories n’est pas non plus sans effets induits. S’il y en a que les membres de l’Académie semblent particulièrement négliger, ce sont celles des films en langue étrangère et d’animation. Pour bien comprendre, il faut remonter à la 19e édition des Oscars. Lors de cette édition, les studios américains furent si agacés par la présence de films étrangers parmi les sélectionnés qu’ils arrêtèrent de financer la cérémonie. La réaction ne se fit pas attendre. L’année suivante (1948) fut instaurée une nouvelle catégorie : celle du meilleur film en langue étrangère. Depuis la création de cette catégorie, les films en question sont relayés au second plan et l’on ne recense que deux œuvres au financement majoritairement non américain ayant reçu l’Oscar du Meilleur Film : Le Dernier Empereur (1988) et The Artist (2012).
D’une manière similaire, en réaction à la nomination de l’œuvre Disney La Belle et la Bête parmi les meilleurs films lors de la 64e cérémonie, il fut décidé de créer une nouvelle catégorie pour les futurs films d’animation. Considérés comme enfantins, discrédités, certains chefs d’œuvre animés ont ainsi été complètement ignorés. Autre conséquence, chaque année, sont proposés des choix ahurissants dans le seul but de remplir les nominations et donner l’impression d’une réelle compétition. Ainsi, certains films comme Jimmy Neutron : Un garçon génial, Les Croods ou Gang de Requins ont été sélectionnés au cours des cérémonies, d’ores et déjà destinés à l’élimination.
Si l’on pouvait encore douter jusque-là du mépris à l’égard de certaines catégories, l’Académie vient cette année-même, non sans un certain cynisme, de « clarifier » la situation en annonçant l’ambition de remettre quatre statuettes pendant la pause publicitaire. En effet, la longueur de l’émission (près de 4 heures) étant considérée comme LA responsable de la folle perte d’audience enregistrée ces dernières années, il avait été décidé de la raccourcir en n’en diffusant plus l’intégralité. Ce sont ainsi les catégories du meilleur montage, de la meilleure photographie, des meilleurs maquillages et coiffures et du meilleur court-métrage de fiction qui auraient été ignorées.
Avec une telle décision, l’Académie s’est cette fois-ci mis à dos des grands noms du cinéma. Une lettre ouverte, signée par Martin Scorsese, Quentin Tarantino, Christopher Nolan, ou encore Guillermo del Toro, qualifiait cette décision de stupide et d’irrespectueuse. « Dans l’histoire du cinéma, des chefs-d’œuvre ont existé sans son, sans couleurs, sans scénario, sans acteurs et sans musique », expliquait Alfonso Cuaron sur Twitter. « Aucun film n’a jamais pu se faire sans photographie et sans montage ». A quoi bon chercher ainsi à augmenter la visibilité de l’émission s’il faut pour cela en censurer une partie ? Le nombre de téléspectateurs importe désormais plus que la promotion de ces monteurs, de ces maquilleurs ou de ces directeurs de photographie talentueux, sans qui aucun film ne serait réalisable.
Et comme face à toutes polémiques récentes, de peur de perdre en popularité, l’Académie a décidé le même semaine de faire un pas en arrière, de quoi également montrer son manque d’assurance dans ses décisions.
L’argent, au centre de tout
Voilà qui bien sûr nous fait passer de la partie émergée de l’iceberg à sa partie moins exposée : les enjeux économiques. Remporter une statuette, en plus d’assurer popularité et prestige, génère une hausse considérable de son chiffre au box-office (+20% pour une nomination et jusqu’à + 35% pour le lauréat du meilleur film). Certains producteurs sont prêts à tout pour obtenir la distinction et parfois les stratégies frôlent, voire franchissent, la ligne de l’éthique. Tout est bon pour soudoyer les membres du jury. Comme par hasard, un peu avant la période des votes, les réceptions et rencontres avec les équipes des films et projections privées se multiplient. Ensevelis de cadeaux et de privilèges, certains membres de l’Académie, jusque-là incertains, sont soudain fortement « soutenus » dans leurs prises de décision.
Ces opérations massives de communication, popularisées par un certain… Harvey Weinstein, sont devenues des plus communes ces vingt dernières années. En proposant des concerts et interviews exclusifs dans certaines émissions et en participant à un maximum de festivals pour populariser leurs films et leurs acteurs, les studios dépensent jusqu’à 10 millions de dollars, avec comme unique objectif… les Oscars. Plusieurs cas sont devenus célèbres, comme celui de Denzel Washington qui, lors des Golden Globes 2016, expliquait comment il avait remporté la statuette pour son interprétation dans Training Day (2001) : « Mon agent m’avait dit : Ils vont voir le film, on va les nourrir, tu prendras des photos avec tout le monde pour les magazines et tu vas gagner la récompense… J’ai gagné cette année-là ».
De la même manière en 2000, quelques semaines après que ses agents ont envoyé 84 montres en or à différents votants pour les Golden Globes, Sharon Stone a été nominée dans la catégorie meilleure actrice. Harvey Weinstein était le champion de ce type de campagne. Non seulement il a été membre de l’Académie, mais les films qu’il a produits ont remporté en tout 81 Oscars, certains étant nommés à la surprise générale comme The Reader (2008) ou L’œuvre de Dieu, la part du diable (1999). Il aurait été jusqu’à harceler certains votants pour qu’ils sélectionnent ses films.
Même si depuis son départ, l’Académie semble avoir un peu changé, il est évident qu’il n’était pas le seul à agir de la sorte. D’ailleurs, certains de ses anciens associés sont toujours actifs comme par exemple Lisa Taback qui, cette année, gère la promotion du film Roma, produit par Netflix. Si l’œuvre d’Alfonso Cuaron a hérité de 10 nominations malgré son statut de film étranger et le mépris globalement témoigné à la plateforme de streaming, c’est justement grâce sa campagne promotionnelle parfaitement menée. Avec un budget de 25 millions de dollars (soit plus que le budget du film en lui-même), c’est la campagne pré-Oscars la plus chère de l’année. Le soutien de la part de célébrités reconnues, telles qu’Angelina Jolie ou Charlize Theron, a également été décisif pour cette campagne gargantuesque qui n’a pas omis d’ensevelir les votants sous une montagne de matériaux promotionnels comme des livres, ou du chocolat artisanal. Négligé à plusieurs reprises (on se souvient de la polémique liée à Okja en 2016), Netflix assure désormais la reconnaissance de ses films par tous les moyens. Si cette stratégie vous laisse sceptiques quant à son efficacité, sachez que Lisa Taback est à l’origine des campagnes promotionnelles, et donc du succès, de Shakespeare in Love, mais plus récemment de Le discours d’un roi, Spotlight et Moonlight.
La pression économique génère un deuxième écueil. Les enjeux financiers sont devenus tels que les producteurs ont peur de perdre beaucoup, et donc bien souvent manquent d’ambition et de courage. En conséquence, ils ont tendance à rester sur leurs acquis, à reprendre telles quelles les bonnes vieilles recettes qui ont fonctionné dans le passé. Dans leurs pas, au lieu de promouvoir des films qui révolutionnent le cinéma, l’Académie des Oscars semble privilégier ceux qui répondent toujours aux mêmes critères. En 2008, des chercheurs d’Harvard en sociologie ont analysé 20.000 films pour déterminer les ingrédients d’un succès garanti. Ils ont montré qu’étaient par exemple systématiquement mises en avant par les votants les thématiques dramatiques, notamment celles qui mettent en scène des populations traditionnellement discriminées. Nicole Esparza, une des auteures de l’étude ne mâche pas ses mots : « les chances de nominations d’un acteur sont déterminées avant même que la caméra ne commence à tourner ».
Effectivement, depuis le début des années 2000, l’Académie semble choisir ses films non pour leurs qualités mais pour leurs sujets. Tim Dirks, rédacteur pour filmsite.org, a constaté de même la surreprésentation des drames historiques, biographiques ou romantiques. La prévisibilité des dits films à Oscars, par leur abus de certains critères récurrents, est parfois tellement ridicule qu’elle en devient un sujet de blague. Dans un épisode de la série Extras en 2005, Kate Winslet explique comment elle compte remporter l’Oscar de la meilleure actrice « J’ai remarqué que si tu fais un film sur l’holocauste, t’es garanti de remporter un Oscar ». Trois ans plus tard, son rôle dans The Reader, un film… sur l’holocauste lui vaut le prix de la meilleure interprétation. A l’image des thrillers politiques Vice et The Front Runner à l’honneur cette année, avec de tels thèmes suivent des kyrielles de stéréotypes et clichés qui aplatissent à chaque fois un peu plus le paysage cinématographique.
Un ultime facteur économique joue sur la nomination de certains films : les partenariats. Le plus célèbre d’entre eux concerne Disney. Depuis qu’ABC possède les droits de diffusion de la cérémonie, on observe comme par hasard un traitement d’honneur des œuvres produites par la firme aux grandes oreilles, notamment au sein de la catégorie du meilleur film d’animation où les studios américains jouissent d’une domination sans partage (dix des onze derniers lauréats sont des produits Disney-Pixar). Un grand nombre d’autres nominations semblent aussi uniquement justifiées par cette collaboration. Le Retour de Mary Poppins et Black Panther en témoignent cette année.
Une des polémiques les plus récentes au sujet de la cérémonie concerne également Disney. La firme n’a pas été loin de bénéficier de sa propre catégorie aux Oscars. En effet, en 2018, l’Académie annonce une nouvelle classification à compter de 2019 : le « Meilleur Film Populaire ». Derrière cette innovation se larvaient deux idées financièrement très bénéfiques. Tout d’abord, en nommant des films populaires qui avaient réalisé de gros chiffres au box-office, l’Académie, parfois considérée élitiste, espérait attirer de nouveaux auditeurs, pas forcément intéressés par les films proposés ces dernières années, et ainsi remédier à la chute libre de l’audience enregistrée depuis ces cinq dernières années. Deuxièmement, une telle catégorie ne pouvait qu’amener à primer les Blockbusters ; or parmi les studios qui produisent ce genre de film, on compte notamment Pixar, LucasFilm, Marvel, 20th Century Fox. Devinez quel est le point commun entre toutes ces entreprises ? Elles ont toutes été rachetées par Disney. Il en existe bien sûr d’autres, mais la domination de la firme aux grandes oreilles est herculéenne. Lors de cette décennie, seuls deux plus gros succès ne proviennent pas de cette firme : Transformers : L’Age de l’extinction, (2014) et Harry Potter 7 partie 2, (2011).
De même, s’il s’agissait de récompenser le meilleur blockbuster de cette année, qui gagnerait : Avengers : Infinity War, Black Panther ou les Indestructibles 2 ? Peu importe au final puisque tous ont été produits par… Disney. Heureusement, suite aux mille critiques qui ont suivi cette annonce, l’Académie a fait marche arrière. Il n’en reste pas moins que l’idée de nommer des films populaires pas forcément méritants a été retenue par les membres de l’Académie (oui, on pense à toi Bohemian Rhapsody).
La lutte du ‘politiquement correct’
La présence importante de films à thèmes afro-américains depuis 2016, notamment parmi les nommés aux Oscars (on compte Fences, Les figures de l’ombre, Moonlight, I Am Not Your Negro, Mudbound, Get Out, Green Book, Blackkklansman et Black Panther en seulement trois ans), ferait enfin presque oublier l’une des accusations les plus anciennes et récurrentes au sujet de l’Académie, son racisme. Ainsi, il suffit de remonter à 2015 et 2016 pour remarquer que parmi les vingt acteurs nommés dans leurs performances, tous étaient caucasiens. Ce manque de diversité a fait une très mauvaise publicité pour la cérémonie et explique qu’elle a été boycottée par certaines célébrités, surtout lors de sa 88e édition. Depuis 1929, seuls 6,4% des acteurs nominés ne sont pas blancs. Seuls une femme et huit hommes noirs ont gagné l’Oscar de la meilleure interprétation.
La réponse à cette polémique alimentée par le hashtag #oscarssowhite sur les réseaux sociaux a été immédiate de la part de l’Académie qui, en 2017, a nommé sept acteurs noirs (soit 35% des nommés) et a promis de doubler le nombre de votants issus de minorités (ceux-ci représentent pour l’instant autour de 7% de la totalité des membres de l’Académie). Les réalisateurs ont également été affectés par ces changements. Jusqu’en 2016, seuls trois avaient été nommés et l’on en compte désormais six, Spike Lee étant à l’honneur cette année.
La question se pose alors : est-il raisonnable d’utiliser les populations discriminées pour gommer un passé de scandales racistes, au point de tomber par opposition dans le politiquement correct ? Malgré de très bonnes performances de la part de certains professionnels, tous ne méritent pas cette reconnaissance, si du moins on les compare à d’autres performances qui peuvent parfois s’avérer nettement supérieures. A vouloir éviter les critiques racistes, l’Académie ne fait-elle pas passer le talent après la couleur de la peau ? Black Panther en est l’exemple criant cette année.
Le sexisme représente également un souci que l’Académie a promis de combattre en priorité. Si les lacunes peuvent sembler moins criantes en raison de la catégorisation sexuelle des acteurs, qui est toutefois également discutable, seules cinq femmes ont été nommées en tant que meilleures directrices, et Kathryn Bigelow reste à l’heure actuelle la seule lauréate féminine.
Dans le même ordre d’idée, ne serait-ce pas le politiquement correct qui fait que les derniers lauréats de la catégorie « meilleur film » jouent une femme muette, un homosexuel et des prêtres pédophiles ?
Le temps décide toujours
A sa création, l’Académie souhaitait récompenser le meilleur de l’industrie cinématographique de manière objective et il est évident qu’elle a failli. Les défauts sont nombreux et, à la lumière de ce que nous venons de voir, certaines améliorations pourraient être facilement proposées : rédiger une charte des jurys de manière officielle afin de s’assurer que tous respectent leurs devoirs et qu’aucune catégorie n’est négligée, obliger les jurys à déclarer les cadeaux et privilèges offerts par les producteurs, leur imposer de justifier leurs choix par de courts écrits, ne faire voter les membres que dans leurs spécialités respectives imposant ainsi moins d’œuvres à visionner par la même occasion, etc. Il n’en reste pas moins qu’une telle cérémonie est écartelée et ne peut que rester écartelée entre deux aspirations opposées : l’argent et l’esthétique. Si l’imperfection d’un tel système semble une telle fatalité, c’est pour une raison bien simple : on ne classe pas les œuvres d’art.
Vous voilà déprimés ? Vous avez tort ! Si les Oscars font beaucoup d’erreurs, les chefs d’œuvre, eux, ne sont jamais oubliés. De nombreux films ont été complètement ignorés par l’Académie et figurent désormais parmi les œuvres culte du septième art. Ainsi du temps où ils étaient actifs, ni Stanley Kubrick, ni Orson Welles, ni Sergio Leone (pour ne citer que les exemples les plus parlants) n’ont gagné un Oscar du meilleur film ou du meilleur réalisateur (Hitchcock en a remporté un seul), et leur réputation n’en est pas pour autant diminuée.
Chacun de leurs films est aujourd’hui un classique presque inégalable. Certains acteurs cultes comme Marylin Monroe, Cary Grant, Buster Keaton ou Kirk Douglas ont également été oubliés par les votants. Certaines cérémonies spécifiques ont même le mérite de s’être pour le moins complètement trompées. Ainsi, en 1981, on compte parmi les nommés Elephant Man et Raging Bull tandis que Star Wars : L’Empire Contre-Attaque et Shining sortent la même année. L’Oscar du Meilleur Film est finalement décerné à Robert Redford pour Des Gens Comme les Autres. De même, lorsque Les Infiltrés remportait l’Oscar du meilleur film en 2007, Matt Damon était conscient que le prix avait été décerné pour récompenser la carrière de Martin Scorsese plus qu’autre chose. Il déclarait alors avec justesse « Le meilleur moyen de juger un film est de le faire 10 ans après sa sortie […] Les Oscars se trompent plus souvent qu’ils ont raison ». Allez, rassurez-vous : Crash (2006) et Shakespeare in Love (1999) ne sont déjà plus que de lointains cauchemars.