Suicide Squad : Coupe, Montage chaotique, l’échec de l’été 2016 ?
Synopsis : Avec la mort de Superman, Amanda Waller craint l’apparition du prochain méta-humain qui pourrait attaquer l’humanité. Pour prévenir cette possibilité, elle fait adopter le projet Task Force X, visant à utiliser des criminels aux capacités hors-normes pour répondre aux menaces de façon non officielle, et elle a déjà plusieurs noms sur sa liste, comme le tireur d’élite Floyd Lawton « Deadshot », la psychopathe Harley Quinn ou le tueur monstrueux Waylon Jones « Killer Croc ». Alors qu’une force surnaturelle se réveille, Waller appelle le colonel Rick Flag pour prendre le commandement des opérations.
Le monstre de la Warner
La campagne promotionnelle de Suicide Squad était ce qu’on pouvait qualifier d’éreintante. Il ne fait aucun doute que la Warner misait gros sur ce projet qui se devait d’asseoir définitivement la direction artistique que prendrait le DCEU (DC Extended Universe). Alors que la communication était accentuée sur des films de cinéastes, où les réalisateurs devaient tout simplement avoir carte blanche sur leurs œuvres, les choses semblent être bien différentes en coulisses. Reshots imposés par la production, rumeurs sur un changement de ton qui se veut plus léger avec ajouts de touches d’humours suite aux mauvais retours de Batman v Superman etc. Les quelques semaines qui séparaient la sortie faisaient craindre le pire malgré un discours qui se voulait rassurant de la part de la Warner. Non, un changement de direction n’a jamais été à l’ordre du jour. Mais force est de constater que le spectateur à été floué, pris pour un idiot et continue à l’être pendant que tout le monde ayant travaillé sur le film continue à dire que tout va bien dans le meilleur des mondes malgré un film qui est le reflet de sa production chaotique et tout un tas d’informations concrètes qui nous indiquent que l’on a une oeuvre différente de ce qu’elle a été initialement pensée. Pour preuve, on prendra l’excellent article du Hollywood Reporter qui révèle les coulisses de la production, les affirmations de Jared Leto qui indique que beaucoup de ses scènes ont été enlevées de la version finale ainsi que la description plausible du montage initial qui est apparu il y a peu. Tout indique qu’on aurait dû avoir un meilleur film que ce que l’on a eu, car oui Suicide Squad est une déception, Warner ayant perdu son sens froid et changé de direction au dernier moment, ce qui sacrifia le film de Ayer au profit d’un produit mal conçu qui se veut fun et subversif mais qui n’est que poudre aux yeux pour cacher le fait que l’on est face à une oeuvre terriblement classique.
Cependant tout ici ne peut pas être reproché aux erreurs de montage. Même si elles n’arrangent évidemment rien, il faut reconnaître que David Ayer déçoit aussi dans l’écriture de ses personnages. Il ne s’est jamais imposé par sa finesse en tant que cinéaste mais c’est ce qui faisait de lui l’homme de la situation, c’est dans son style bourrin qu’il trouve toute sa fulgurance et qu’il parvient à brosser le portrait de personnages borderlines avec une rare justesse. Surtout qu’il pouvait trouver ici le moyen de briller dans le film de groupe, genre qu’il explore depuis peu avec plus ou moins de réussite – dans Sabotage il avait du mal à gérer la cohésion d’équipe mais il s’améliorait avec son Fury – et qui se devait ici d’être son apothéose. Là, il choisit la facilité, celle de former des duos plutôt que s’intéresser à tout ses personnages. Il brille lorsqu’il met en relations deux personnages avec des personnalités différentes, c’est même le cœur de sa filmographie, il suffit de voir End of Watch pour voir avec quelle aisance il gère le buddy movie. On retrouve ça par petites touches ici, à travers la confiance qui se créée entre Deadshot et Harley Quinn, la relation conflictuelle entre Rick Flag et Amanda Waller ou encore à travers le personnage de El Diablo. Il essaye de rendre authentiques ses personnages, de les amener à être moins manichéens mais par la même occasion il dénature ses intentions, ils n’ont plus rien des méchants qu’ils sont supposés être et deviennent des héros lambda et inintéressants. L’histoire de Deadshot qui se rêve en bon père de famille tout comme la backstory et les motivations de El Diablo sont de banals récits de rédemption, qui accumulent beaucoup de pathos et qui tombent dans un classicisme que le film aurait pourtant aimé éviter. Le film se fait plus pertinent quand il explore la psyché de Harley Quinn, le personnage étant illogique dans ses réactions mais est le parfait reflet de sa folie débordante. Elle ne rentre dans aucun moule et arrive à être fidèle à sa représentation dans le comics tout en s’y imposant en marge, le personnage trouvant une dimension psychologique plus profonde et bienvenue dans ses discours parfois méta qui prouvent que derrière sa folie, elle reste consciente du monde qui l’entoure et décide d’en être une satire.
C’est dans sa relation avec le Joker que celle-ci se voit au final limitée. D’abord parce que la relation est édulcorée au possible par rapport à ce qu’elle aurait mérité d’être – si on se fie à la description du montage initial – tandis que le rôle du Joker est totalement sacrifié. Il n’est réduit qu’à un intérêt romantique qui apparaît dans le récit sans raisons valables et qui n’est pas assez développé pour qu’on puisse se faire une quelconque idée sur sa personnalité. Il est un personnage fonction qui sert de backstory a Harley Quinn et il n’a ni l’envergure ni l’aura fascinant qui nous à tant fait aimer le personnage par le passé. C’est quelque chose qui transparaît aussi à travers la performance de Jared Leto qui oscille entre le pur génie et le cabotinage incontrôlé. Il est clair qu’il a compris l’essence du personnage et qu’il en joue habilement mais c’est là que les problèmes de montage rentrent en jeu. Il est réduit dans cette version à des scènes beaucoup trop cut pour s’imposer dans le temps et marquer une scène. Ses apparitions sont bien trop furtives, alors que dans des scènes comme la torture de Harley Quinn ou celle où il tente d’intimider quelqu’un – la fameuse phrase « I can’t wait to show you my toys » présente dans de nombreuses bandes annonces n’est même pas là -, le film gagnerait à prendre son temps pour instaurer un vrai sentiment de malaise et rendre son Joker mémorable. Pour le moment, on attendra une de ses prochaines apparitions pour voir s’il est convaincant ou pas. Ce traitement chaotique touche au final tous les personnages, notamment dans leur introduction laborieuse lors des 20 premières minutes qui délaissent toute fluidité pour un montage clipesque de mauvais goût alourdi par une surcharge sonore agaçante, le film enchaînant les musiques comme un juke-box. La plupart des échanges entre les protagonistes, leurs personnalités et même l’humour que certains sont censés amener, tout ça se voit chambouler par un montage désastreux qui cherche le fun sans parvenir à le trouver et c’est d’autant plus décevant car, par moments, on aperçoit vraiment l’efficacité dans la dynamique du Suicide Squad qui dessine le contour d’un film guerrier attachant qui évolue dans un univers gangta authentique et plutôt bien retranscrit.
On ressent bien la patte de Ayer à travers cet univers, notamment dans le deuxième acte – le plus réussi -, qui dévoile les bases d’un film solide et prenant mais qui se voit étouffer par une envie du studio d’être une « Marvel machine », chose totalement en marge des intentions du cinéaste. Celui-ci lorgne plus vers le cinéma de Peckinpah et aurait aimé s’imposer en film d’action old school qui renvoie aux meilleurs des séries B des années 80. C’est quelque chose qui se ressent assez lorsque le Squad est bloqué dans la ville, la mission ne s’étalant que sur une nuit et la mise en situation rappellerait presque un bon vieux film de zombies ou même un New York 1997. Il y a de vraies intentions de réalisation et une mise en scène efficace lors de ce long passage qui se montre énergique mais qui sait aussi prendre le temps de respirer, chose qui manque au reste du film. On est clairement avec ce deuxième acte dans le film que voulait faire Ayer – jusque dans le score musical plus posé et inspiré de Steven Price qui prend le pas sur les morceaux pop – mais il est pris entre un début laborieux, qui sort tout droit d’un mauvais clip de rap malgré une ou deux scènes plutôt bien emballées, et un climax insignifiant et visuellement assez laid dans son abattage d’effets spéciaux mal finis. Surtout que le climax est globalement illisible en raison d’un sens du cadrage assez aléatoire notamment dans une partie qui se passe sous l’eau qui est incompréhensible ou encore faute à un montage bien trop rapide. L’autre problème de cette fin c’est aussi qu’elle est limitée par un méchant tout bonnement ridicule. Non seulement il n’est pas aidé par la mauvaise prestation de Cara Delevingne mais en plus le personnage est délaissé par un script qui n’est ni capable de correctement dévoiler ses motivations ni créer d’enjeux autour de ce qu’il représente. Sa relation avec Rick Flag, joué par un Joel Kinnaman inexpressif, n’est pas autant mise en avant qu’elle aurait dû être, ce qui laisse le développement romantique totalement accessoire alors qu’il aurait dû servir de moteur dramatique. Ici, même si cela avait été l’intention de base, le peu de place laissée aux deux personnages ne permet pas à la sous-intrigue qui les concerne d’avoir l’envergure qu’elle devrait. De manière générale c’est tout le background émotionnel qui est laissé de côté pour pouvoir mettre plus en avant Will Smith et Margot Robbie, les deux seuls à avoir des personnages qui évoluent. C’est surtout dû à cette version, qui mise tout sur ses deux plus grandes stars pour emmener le spectateur et il faut reconnaître que cela fonctionne par moments. Margot Robbie est excellente campant une Harley Quinn sensationnelle et plus nuancée qu’on aurait pu le croire, et Will Smith, même si il ne chamboule pas son registre de jeu, convainc en prenant vraiment plaisir à être là nous renvoyant par moments à ses meilleures rôles des années 90.
Suicide Squad est donc un film victime de son montage, qui est incapable de lui faire honneur. Même si le film a des défauts qui lui sont propres, notamment un méchant ridicule, des dialogues parfois un peu faibles et des personnages pas aussi borderlines qu’ils le devraient, il faut reconnaître que c’est dans son montage qu’il déçoit le plus. Le classicisme de l’oeuvre étant imputable à l’écriture de Ayer qui joue la facilité et mise sur des clichés du genre super-héroïque mais la phase de montage est aussi une écriture du film, celle qui lui impose un rythme, une structure et c’est désolant de voir qu’ici cela a été pris à la légère. Le résultat est brouillon, incohérent et on se retrouve face à un produit mal fini qui manque de fluidité et sacrifie ses fulgurances par un manque de développement. On en vient donc à la conclusion qu’il est difficile de juger un film dont on n’a vu qu’un aperçu, ce montage de Suicide Squad n’étant qu’un ersatz de l’œuvre initial de David Ayer. On y entrevoit ses faiblesses dans son aspect trop sage mais aussi ses qualités dans son envie d’être un film guerrier avec du cœur et de la personnalité tout en ayant un casting attachant et en étant plutôt bien emballé. Peut être qu’une autre version du film, une qui serait plus poussée dans ses développements pourra faire exploser tout le potentiel de ce Suicide Squad, mais en l’état, même si tout n’est pas catastrophique et que le film est par moments vraiment efficace, on ne peut qu’être déçu. Le DCEU ne parvient donc toujours pas à consolider ses bases et trouver une direction précise. Les producteurs tâtonnent dans le noir et suivent le sillage de la concurrence Marvel – ici avec une scène post-générique inutile et des caméos mal amenés – tandis que les cinéastes se voient limités dans leurs visions pourtant géniales de leurs personnages qui pourraient vraiment transcender le catalogue DC.
Suicide Squad : Bande annonce
Suicide Squad : Fiche Technique
Réalisation : David Ayer
Scénario : David Ayer
Interprétation: Will Smith (Floyd Lawton/Deadshot), Margot Robbie ( Harleen Quinzel/Harley Quinn), Jared Leto (Joker), Joel Kinnaman (Rick Flag), Viola Davis (Amanda Waller), Cara Delevingne (Dr. June Moone/l’Enchantresse), Jai Courtney (Digger Harkness/Captain Boomerang)…
Image : Roman Vasyanov
Montage: John Gilroy
Musique: Steven Price
Costumes : Kate Hawley
Décor : Oliver Schol
Producteur : Charles Roven et Richard Suckle
Société de production : Warner Bros., Atlas Entertainment, DC Entertainment, Dune Entertainment et Lin Pictures
Distributeur : Warner Bros. France
Récompenses : Oscars 2017 du Meilleurs maquillages et coiffures pour Alessandro Bertolazzi, Giorgio Gregorini et Christopher Nelson
Durée : 123 minutes
Genre: Super-héros
Date de sortie : 3 août 2016
Etats-Unis – 2016