Cette année, la série humoristique culte Veep a fait ses adieux aux téléspectateurs. Une immersion hilarante dans l’univers politicien américain doublée d’un engagement féministe pertinent et nécessaire. Dans le cadre notre cycle HBO, on revient sur les aventures de la vice-présidente Sélina Meyer qui signent un modèle de série mockumentaire, genre popularisé par The Office et Parks and Recreation. Le jeu de caméra et le malaise ont encore de beaux jours devant eux.
Nous sommes constamment entourés de débats politiciens stériles, de petites phrases cinglantes répétées dans les médias et de négociations internationales foireuses. Alors plonger dans une série politique n’est pas la première idée qui nous vient à l’esprit quand on veut se détendre. Et pourtant on a si tort, tout à cause d’une série : Veep. Diffusée depuis 2012, la série américaine raconte le quotidien de la vice-présidente Selina Meyer et de son cabinet. Tout le long des 7 saisons, on suit, non sans humour, son parcours dans le milieu rude qu’est celui de la politique. Aux premiers abords, les personnages ne sont pas particulièrement agréables. Tout va très vite. Ils sont tous stratèges et manipulateurs, en négociation constante. Mais plus la série se développe, plus une certaine humanité commence à se dégager de cette galerie de personnages si particuliers. Prêt à tout pour arriver ses fins, oui. Mais que quand le jeu en vaut la chandelle.
Car oui en 2012, la vice-présidente américaine est une femme. La fameuse « Veep ». La réalité n’aurait pas été à la hauteur. Et comme souvent il aurait fallu attendre de la fiction d’être plus progressiste que nos sociétés. En l’occurrence ici, la société américaine. Cette société qui en apparence joue la carte de la diversité et de l’inclusion dans ses grosses cérémonies de cinéma aux discours larmoyants. Mais qui dans les faits continue à faire perdurer un sexisme et un racisme latents. D’ailleurs, Veep a été récompensée de nombreuses fois aux Emmy Awards, creusant de ce fait encore plus l’écart entre discours fictif et réel. Car Selina Meyer qui évolue en politique, c’est avant tout le récit d’une femme qui lutte contre un régime patriarcal. Ce qui parfois semble juste risible, comme les remarques de son collègue lourd et rentre-dedans, devient le portrait d’un sexisme ordinaire et constant. Mais aussi la représentation des difficultés qu’invoque le fait d’être une femme ambitieuse entourée d’hommes blancs, vieux et puissants. Ses négociations, ses progrès, ses défaites… Une partie de la carrière fulgurante de Selina Meyer que l’on suit illustre les nombreuses embûches en politique lorsque l’on sort un peu du cadre. Ce parti-pris féministe et engagé fait la force de la série, mais on peut compter sur son humour en demi-teinte.
Le mockumentaire : rire et gros plan
Oui dans Veep, on rit. Un rire simple et direct lors des répliques cinglantes des personnages. Mais aussi un ricanement parfois amer, car on ne sait pas toujours si l’on doit s’apitoyer sur les personnages ou se moquer d’eux. Un humour qui vient de situations absurdes semi-assumées dans la mise en scène. Ce mécanisme produit un décalage avec le spectateur et instaure une situation de malaise. Ce procédé humoristique s’inscrit dans un registre spécifique très efficace : le mockumentaire soit le faux-documentaire ou documentaire parodique. Il s’agit d’œuvres de fiction présentées comme des documentaires ou filmés comme tels. La caméra tremblote, zoome, se balade, comme si elle était celle d’un journaliste en reportage. Le principe du mockumentaire n’est pas récent. On l’a retrouvé à la télévision à travers des artistes comme Les Inconnus ou Les Monty Python. Chez Orson Welles dans Vérités et Mensonges, du côté du cinéma d’horreur avec Cannibal Holocaust et les films en found-footage, dans la comédie belge avec C’est arrivé près de chez vous.. La liste est longue. Mais depuis une quinzaine d’années, un nouveau pan du mockumentaire a émergé avec l’excellente série The Office en 2005, adaptation de l’autant excellente mais plus courte version britannique. La série de neufs saisons conte le quotidien d’employés de bureau dans une petite ville de Pennsylvanie. La boîte menée par Michael Scott (exceptionnel Steve Carell) et le paysage gris de Scranton n’ont a priori rien d’excitant pour le spectateur. Mais entre ses personnages complètement loufoques, ses pointes dramatiques et touchantes et ses situations complètement absurdes et gênantes, The Office devient une série incroyable et culte. Et avec elle, toute une nouvelle grammaire visuelle et narrative naît. Et une toute nouvelle série de productions suit : Parks and Recreation, Brooklyn Nine Nine, Modern Family, etc.. La même grammaire pour un nouveau lieu : l’administration, le commissariat, le cercle familial.. La véritable série documentaire Strip-Tease utilisait les mêmes procédés pour instaurer le malaise. Un reportage réel mais avec les ambitions d’une série de fiction en somme.
Les origines du malaise
Une série de codes qu’on retrouve dans Veep, mais aussi dans toutes les autres. Après une réplique qui met mal à l’aise, la caméra vient zoomer sur le visage d’un des personnages pour encore plus accentuer le malaise. Les personnages s’éloignent parfois de la caméra pour ne pas être écoutés. Le caméra-man, a priori invisible, n’hésite pas à suivre de très près les protagonistes, quitte à courir si nécessaire. Il faudra attendre la dernière saison de The Office, par exemple, pour comprendre qu’un documentaire est réalisé sur cette boîte pendant plusieurs années. Car dans la plupart des séries mockumentaires, la présence de caméras n’est jamais justifiée. Cette proximité entre l’objet filmant et filmé connecte directement le spectateur avec les personnages, mais favorise aussi l’immersion. La caméra suit dans la pièce ce que nos yeux suivraient si nous étions au même endroit. Les émotions brutes sur les visages, le petit geste de trop mais presque indicible, les regards qui se perdent mais en disent beaucoup. La série mockumentaire communique avec un ensemble de petits signes qui instaure l’émotion désirée. Cela se prête donc évidemment au rire, mais aussi à la tristesse quand sans aucune musique ou effet grandiloquent, le drame vient s’installer. Pas de rires enregistrés, pas de fond sonore qui prend le spectateur par la main. Les temps de silence sont parfois longs, les scènes ne semblent pas découpées. Paradoxalement, ces séries vont très vite et ne laissent jamais le temps pour l’ennui. En une vingtaine de minutes, la vice-présidente ne cesse jamais de marcher, gesticuler, courir. La caméra avec elle donc. Sans musique et large manœuvre de par la disposition des caméras, le rythme s’instille différemment. Une sensation de réel donc, propre aux reportages, vient se glisser dans des fictions humoristiques et absurdes. Nous sommes dans le bureau de la vice-présidente en temps réel, autant que nous sommes au milieu de l’open-space de Dunder Mifflin.
Mais là où Veep se démarque fondamentalement des autres, c’est par sa nature. Cette série est tout autant politique qu’humoristique. On pourrait dire que c’est logique vu ce qu’elle raconte. Mais dans le monde des séries mockumentaires, ce n’est pas si évident. La plupart des séries citées plus haut ne se servent de leur environnement que comme prétexte à la confrontation des personnages. D’ailleurs, souvent ils excellent dans leur travail. Dans la série Brooklyn Nine-Nine, Jake Peralta est un super bon flic. Les enquêtes ne sont pas particulièrement intéressantes et finissent résolues à chaque fin d’épisode sans aucun suspens. L’intérêt n’est pas là. La série n’a rien à raconter sur le monde de la police ou la justice américaine. Dans Parks and Recreation, Leslie Knope, employée de la ville toujours optimiste, est très bonne dans son travail. Elle se lancera même plus tard en politique. Même là, il ne s’agit que d’un rebondissement qui va semer la confusion entre les personnages. Rien de très pertinent n’est raconté sur la politique ou les administrations. La boîte de The Office vend du papier. Elle aurait pu vendre des tomates, des jouets ou des aspirateurs que la série aurait été la même ; les personnages étant substituables à un autre environnement. Impossible pour Veep dont la sève découle directement d’une satire sur le milieu politicien américain. Sans s’en rendre compte, on se met à mieux comprendre les rouages et les failles de ceux qui gouvernent. Pertinente sur le fond, drôle sur la forme. Alors pour 2020, Trump ou Sanders ? Votez Selina Meyer.