Peur au cinéma : Pourquoi regardons-nous des films d’horreur ?

Roberto Garçon Redacteur sur le MagduCiné

Pourquoi s’infliger consciemment le pire pour le plaisir ? Du Manoir du diable à Conjuring, les frissons font la sève du cinéma d’épouvante. Les films d’horreur fouillent dans nos émotions les plus profondes, décortiquant nos cauchemars et nos angoisses. Dans le cadre de notre cycle sur les émotions et les personnages au cinéma, Le Mag du Ciné interroge notre rapport fasciné aux œuvres horrifiques et surtout à notre besoin insatiable de se faire peur. L’époque où nous étions terrifiés de ce qui pouvait se cacher sous notre lit n’est jamais si loin.

« J’espère qu’il ne fait pas trop peur… ». Une phrase forcément déjà entendue de la part de vos amis lorsque vous leur annoncez le film d’horreur que vous allez voir ce soir. Une phrase si commune pour les amateurs de cinéma, mais très particulière quand on s’y arrête quelques secondes. Entendons-nous les mêmes réactions pour les autres films ? « Oh, j’espère que cette comédie ne me fera pas trop rire » ou encore « j’espère que ce film d’action ne sera pas trop spectaculaire ». Les films d’horreur constituent le seul genre dont on espère une intensité pas trop élevée. Regarder un film d’horreur apparaît donc comme une expérience sadomasochiste où le spectateur sort volontairement de sa zone de confort. Une peur maîtrisée qu’on s’inflige donc par choix en toutes connaissances de cause. Mais nous sommes tous inégaux face à la peur. La sociologue Margee Keer expliquait dans son livre « Scream : Chilling Adventures in the Science of Fear  » que : « certains sont capables d’en faire une expérience positive. Ils se sentent plus vivants que jamais et véritablement ancrés dans leur corps, un peu comme après une séance de yoga très intense ou une activité purement physique… A l’inverse, d’autres vivront les mêmes séquences comme de véritables crises d’angoisse et auront le sentiment de ne plus contrôler leurs réactions. »

Le torture-porn : souffrir par transfert

Mais alors pourquoi s’infliger un tel supplice ? Qui décide consciemment de payer pour voir ses propres cauchemars et se mettre dans l’embarras ? Vous commencez à peine le film que vous vous demandez déjà pourquoi vous l’avez débuté. Et c’est normal. La fréquence cardiaque s’accélère, la concentration atteint son paroxysme, le taux de dopamine explose… Le cinéma horrifique a le don de nous faire basculer de notre canapé à un état de paranoïa et d’intensité maximale. Décider de voir un film pour se faire peur  ramène à une caractéristique  intrinsèque de l’Homme : son instinct de survie. Lorsque l’on décide de regarder Leatherface, tueur en série déchaîné de Massacre à la Tronçonneuse, courir pour découper des jeunes adolescents, ne poussons-nous pas aussi les limites de ce à quoi on peut survivre au chaud dans notre canapé ? Le cinéma d’horreur est une des rares expériences de la mort que nous pouvons faire et répéter tout en y survivant. Chaque visionnage d’un film terrifiant devient alors une manière de se mettre en danger (danger relatif au fond de son lit ou dans une salle de cinéma) et de se sentir particulièrement vivant. Un sous-genre du cinéma d’horreur vient accompagner cette idée jusqu’à son paroxysme : le torture-porn. Tendance véritablement popularisée dans les années 2000 avec la franchise Saw, elle connaît ses premiers pas aux débuts des années 1980 avec des films comme Oeil pour Oeil de Meir Zarchi ou Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato. Le torture-porn se caractérise par des films où des individus (souvent les protagonistes) sont victimes d’êtres sadiques et se retrouveront torturés, tailladés, éprouvés jusqu’au bout. La logique de ces films est de plonger dans l’extrême souffrance, souvent là où l’humiliation et la radicalité priment. Le long-métrage Martyrs de Pascal Laugier interrogeait déjà ce rapport à la violence. Dans son film, des innocentes étaient réduites à devenir des humains à la limite du cadavre pour représenter des universels martyrs. Et si les héros et héroïnes de ces films étaient condamnés à être les martyrs par lesquels les spectateurs soulageraient leur souffrance et leur besoin de violence ? Les tragiques personnages des œuvres horrifiques souffrent à notre place pour notre plus grand plaisir. Et si l’on ne se délecte pas particulièrement de leur douleur, on leur survit.

L’identification aux personnages principaux étant quasi inévitable au cinéma, la dissonance est d’autant plus frappante. Combien de fois nous sommes-nous surpris à nous dire «  non mais pourquoi tu passes par ce chemin-là ? ». Les personnages de films d’horreur ne savent a priori pas qu’ils sont dans un film d’horreur. Celui logé bien au fond de son canapé ne peut totalement comprendre le personnage qui se retrouve au milieu des pires tourments. Et pourtant il s’imagine survivre à tout, bien plus intelligent et réactif que les malheureux protagonistes. Dans la saga Saw, le spectateur suit des personnages confrontés à des dilemmes terribles. Plonger dans un bain de seringues pour récupérer une clé, s’arracher la peau du dos pour sortir d’une voiture qui va exploser… L’horreur est totale lorsque le spectateur est impliqué. Il est alors salvateur d’être totalement capable de se dissocier du film et de se rassurer de ne pas avoir à faire ces choix terribles. Mais entre ces deux moments, une adrénaline sans précédent si chère aux amateurs d’horreur. Ce besoin de se faire peur par les images remonte au tout début du cinéma, on peut même localiser le premier film d’horreur en 1896 avec Le Manoir du Diable de Georges Méliès. Dans ce petit film de trois minutes, Méliès joue avec le montage pour faire apparaître et disparaître de nombreux éléments comme une chauve-souris se transformant en homme. Au départ conçu pour amuser, Le Manoir du Diable effrayera ses spectateurs. Depuis, le cinéma d’horreur n’a cessé d’évoluer pour mieux s’adapter aux peurs des spectateurs. Un peu à l’image des créatures de Monstres et Compagnie qui s’entraînent pour terrifier au mieux les enfants dans leur chambre. Dans les années 70 et 80 sortent des grands classiques qui façonneront le cinéma d’horreur pendant des décennies : L’Exorciste, Shining, Halloween, Massacre à la Tronçonneuse… En périphérie, beaucoup de nanars fauchés qui tenteront de surfer sur le succès de ces films et notamment sur la vague des slashers. Aujourd’hui, les films d’horreur ont totalement infiltré les salles de cinéma jusqu’à faire de ce genre si provocateur et dérangeant, un registre très main-stream. Annabelle, Dans le noir, La Nonne, Ouija… Tant de films insignifiants blindés de jump-scares et surfant sur des peurs faciles : poupées, sorcières, dames blanches. Des produits totalement calibrés pour faire sursauter sans jamais offrir de véritables visions d’horreur. Et autour de cela, des grandes œuvres fascinantes telles Ghostland ou Hérédité émergent et offrent des expériences horrifiques radicales. Parce que les meilleurs films d’horreur sont ceux qui se servent de la peur pour raconter autre chose. La destruction d’une cellule familiale dans Hérédité, la perte d’un être proche dans L’Orphelinat, le racisme dans Get Out. Ces longs-métrages manipulent un sentiment fort et primaire pour mieux servir leur récit. Ils décortiquent les troubles et les angoisses de notre monde en usant des mythes communs et terrifiants, alternant notre perception de la réalité. Le court-métrage Lights Out de David F. Sanberg nous plongeait dans un état second en faisant avancer une ombre et en éteignant la lumière. Presque 60 ans auparavant, Hitchcock tue le public en assassinant son héroïne dans sa douche à la moitié du film dans Psychose. Pourtant aucune pénétration de la chair n’est réellement filmée lors de cette scène. Le spectateur a bien plus peur de ce qu’il croit voir que de ce qu’il voit réellement. L’anticipation de la part du spectateur est partie intégrante de l’expérience cinématographique horrifique. La vraie terreur est souvent hors-champ. Si nous sommes bien à l’abri devant un film, l’expérience se poursuit chez nous même l’écran éteint. Dans Les Griffes de la Nuit, on nous apprend que même le sommeil n’est pas un refuge.

Et le récit universel des films d’horreur remonte à notre enfance. A ces moments où nous étions persuadés qu’un monstre se cachait sous notre lit et qu’un fantôme hantait notre placard. Grappiller quelques minutes d’un film d’horreur à la télévision sonnait comme un acte transgressif. En grandissant, nos peurs ont changé. Nous ne croyons plus aux loups-garous terrés dans le jardin. Mais à quoi bon voir des films sur des fins de mois difficiles ou des impôts à déclarer pour se faire peur ? Blottis chez nous, on ressent le besoin insatiable d’approcher l’ignoble pour mieux le surpasser. Se mettre devant un film qui va nous terrifier, c’est un ultime moyen de nous rendre vulnérable et fragile. D’être sujet au moindre claquement de porte ou de lampe qui tombe. En n’oubliant jamais de se poser une seule question : « ça fait pas trop peur, hein ? «