Qui a dit que les séries comiques ne peuvent pas être politiques ? La preuve est faite avec l’un des derniers épisodes de Brooklyn Nine-Nine, qui revient sur l’affaire #MeToo et aborde frontalement le harcèlement sexuel au travail.
Toujours aussi ancrée dans l’actualité, la série policière comique Brooklyn Nine Nine rebondit sur le mouvement #MeToo dans un épisode spécial. On assiste aux nombreuses pressions affrontées par les victimes d’agressions sexuelles quand elles veulent dénoncer auprès de la police leur agresseur. L’épisode 8 de la saison 6 met en scène une affaire de harcèlement sexuel au travail : une jeune femme, sur le point de se faire agresser sexuellement s’est défendue en brisant le pénis de son agresseur ; sauf que, c’est lui qui porte plainte pour agression.
Dans cet épisode intitulé « He said, she said », les deux versions sont contradictoires. C’est une situation de « ma parole contre la sienne », qui risque de tourner au désavantage de la victime, sans preuves concrètes. Ne pas être crue est la première difficulté de la jeune femme. Ou pire, d’être accusée d’hystérie. Comme d’habitude, c’est la femme qui interprète mal le geste ou la parole déplacée de son collègue et sur-réagit. Au sein de l’entreprise, tous les autres collègues soutiennent à l’unisson que « Seth (notre agresseur) est un bon gars. C’est un milieu de travail très professionnel », malgré les preuves du contraire.
S’ensuit un débat intéressant entre Amy et Rosa. Les deux femmes sont en désaccord sur la nécessité pour la victime de porter plainte ou non. Rosa joue la carte du réalisme, affirmant que la meilleure solution pour la jeune femme serait d’accepter l’argent offert par la compagnie contre son silence. Elle soutient que cela lui évitera l’humiliation publique d’un procès et la fin prématurée de sa carrière dans l’entreprise. Mais Amy ne l’entend pas de cette manière : dénoncer son agresseur permet de se délivrer du silence et faire justice, voire même montrer l’exemple à d’autres victimes qui n’osent pas.
Au final, les deux femmes auront raison. A l’issue de l’épisode, [debut du spoiler] grâce à une preuve fournie par un collègue, l’accusé sera bel et bien condamné. Bien que justice soit faite, la jeune femme décide d’elle-même de quitter la boite. Cette dernière refuse d’être traitée différemment par ses collègues. Amy se retrouve déçue d’avoir mis fin à sa carrière [fin du spoiler] Pourtant, Rosa la félicite pour sa victoire. Une autre collègue de la victime décide de porter plainte contre notre agresseur. Le courage de la première jeune femme aura montré la voie à d’autres victimes pour les encourager à parler, tout comme l’avait espéré Amy.
Cet événement permet aussi à Amy de s’exprimer auprès de Jake sur le sexisme du quotidien : les frotteurs dans la rue, la condescendance des hommes au travail, ou les attentions déplacées. Jake s’excuse au nom des hommes car lui-même n’en a pas conscience. Elle rétorque que ce n’est pas grave et qu’elle a l’habitude. Mais il répond que c’est encore plus triste.
Dans le paysage des séries comiques, d’autres épisodes sur le même sujet méritent le détour.
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Master of None, « Ladies and Gentlemen » (01×07)
Dans le même registre que Brooklyn Nine Nine, la série comique Master of None d’Aziz Ansari, a consacré un épisode sur la misogynie – intitulé « Ladies and Gentlemen ». Ce qui est intéressant dans l’épisode est sa vision partagée entre les points de vue des personnages féminins et ceux des personnages masculins. Rachel, la petite amie de Dev, témoigne du sexisme implicite du quotidien. Et Denise, la meilleure amie de Dev, aborde le harcèlement de rue et dans le métro.
Avec humour, le spectateur est lui-même sensibilisé à la réalité du patriarcat toujours présent dans notre société moderne.
Tout comme celui de Brooklyn Nine Nine, l’épisode illustre avec franchise l’expérience de harcèlement racontée par les femmes. Le point de vue adopté par Dev montre que même les hommes peuvent se sentir concerné et agir contre le sexisme au quotidien.
Girls, « American Bitch »
De manière beaucoup plus poussée, la série Girls, dirigée par Lena Dunham, s’est aussi exprimée en réaction au mouvement #MeToo. L’épisode intitulé « American Bitch » a fait beaucoup parler de lui. Il traite plutôt de cette zone grise (blurred line) qui pose problème dans les relations de pouvoir entre homme et femme.
Pour ceux qui ne l’auraient pas vu, un petit résumé de cet épisode. Le personnage d’Hannah (Lena Dunham), journaliste pour un site féministe, a écrit un article dénonçant un cas de harcèlement sexuel. Chuck Palmer (Matthew Rhys), est un célèbre auteur qui se retrouve accusé par plusieurs femmes d’avoir profité d’elles. Il invite Hannah chez lui pour tenter d’expliquer sa version de l’histoire. Au début, le personnage est persuadé de la culpabilité de l’écrivain. Cependant, tel un pervers narcissique, celui-ci parvient à semer le doute dans l’esprit d’Hannah, et de pair, dans le nôtre. Au fur et à mesure de l’échange, Chuck se place en victime. Bien sur, il prétexte que ces femmes veulent simplement le diffamer.
Un épisode qui monte en tension. Petit à petit, le piège se referme sur Hannah. Il parvient à gagner sa confiance en s’intéressant à sa vie. Une discussion qui tourne au flirt. La jeune femme se sent assez à l’aise pour s’allonger à ses côtés. Chuck en profite et exhibe son sexe avec un naturel ahurissant. La jeune femme se retrouve à le toucher, machinalement (comme le montre la photo ci-dessus). Bien qu’elle n’ait pas été forcée, Hannah est victime d’un abus de pouvoir de la part de Chuck.
Enfin, la conclusion nous laisse comme témoin et juge d’une situation dite de « zone grise », où la frontière du consentement ou non-consentement est si fine que beaucoup réfuteraient l’agression sexuelle.
Dans un final perturbant, cet épisode de Girls fait écho au témoignage d’Amy dans Brooklyn Nine Nine. Cette dernière témoigne à Jake avoir subi les avances déplacées de son mentor dans la police (voir la vidéo ci-dessous). Le spectateur prend conscience que les femmes sont « forcées » de répondre aux compliments des hommes par des faveurs sexuelles.
L’effervescence de #MeToo a surtout permis aux séries de légitimer la parole sur le harcèlement sexuel.