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La violence dans le cinéma de Nicolas Winding Refn

Flora Sarrey Redactrice LeMagduCiné

Réalisateur aussi bien apprécié que détesté, le danois Nicolas Winding Refn fascine. En attendant l’arrivée de sa série Too Old to Die Young sur Amazon Video cette année, revenons sur l’aspect central de son cinéma: sa violence.

Force est de constater qu’à travers une dizaine de films réalisés en un peu plus de vingt ans, Nicolas Winding Refn a su imposer sa patte si reconnaissable. En effet, dès son premier long-métrage, Pusher, il démontre une certaine maîtrise de la mise en scène. Cette première réalisation cristallise tout ce qui fera le style du danois: une esthétisation à outrance des plans, une lumière très contrastée, et surtout une violence omniprésente.

La violence comme habitude

S’il y a bien quelque chose que la filmographie de Refn montre, et notamment sa trilogie Pusher, c’est que la violence engendre la violence. En effet, particulièrement dans les Pusher II et III, on s’aperçoit que les personnages évoluent dans un environnement angoissant, ultra-violent, qu’ils ont grandi là-dedans.

Tonny, l’antihéros du II réalise des vols de voiture, vend de la dope à Copenhague pour essayer de plaire à son père, jusqu’à la fin tragique, de son meurtre. Quant à Milo, dans le III, il essaie de s’imposer et surtout rester à la tête du trafic de drogue de la ville, mais va devoir tuer plusieurs personnes pour « sauver » une prostituée de ses macs, mais surtout se sauver lui-même. La séance de torture du corps est particulièrement choquante, mais également particulièrement drôle. Refn impose sa patte.

C’est toujours un bon drame quand vous prenez un protagoniste, un héros, un personnage principal, et vous le mettez dans une situation où il y a ce tic-tac comme quoi il va éventuellement sortir de sa zone de confort et les choses vont tourner très mal. Comment gère-t-il tout ça ? C’est une structure vraiment simple du drame. Très accessible. Ensuite elle prend la forme de ce que l’on y met. Mais j’ai toujours aimé les personnages qui, selon les circonstances, doivent se transformer et, à la fin, il est inévitable qu’ils deviennent ce qu’ils doivent être.

Prenez, par exemple, Pusher II, qui est un film à propos d’un fils [joué par Mads Mikkelsen], qui, toute sa vie, veut l’amour de son père, mais réalise qu’il doit le tuer pour se libérer des péchés de son père. Ce qui plante les graines pour cela c’est qu’il réalise qu’il a son propre fils, et cette responsabilité le force soudainement à agir. Et c’est un happy-end, même si la fin est sombre, car pour le personnage, c’est ce qu’il était destiné à devenir. C’est presque comme s’il avait accompli son vrai sens.

Bleeder et Drive sont assez similaires sur ce point: ils montrent tous les deux des personnages en proie à une escalade de violence; à la différence que le personnage de Kim Bodnia dans Bleeder va être à l’origine d’actions qui auront des conséquences dramatiques et prendra la place d’une sorte de vilain, là où le personnage de Ryan Gosling dans Drive sera consacré en tant que vrai héros, quitte à se retrouver seul.

Une de ses réalisations les plus controversées, Only God Forgives, traite de la spirale de vengeance incontrôlable dans laquelle un individu exposé à la violence crue peut tomber. Refn, retrouve son acolyte Ryan Gosling dans une œuvre très sombre. Il campe un personnage embarqué dans la vengeance du meurtre de son frère, celui-ci ayant préalablement violé et tué une mineure. La mère des deux fils (jouée par une Kristin Scott-Thomas glaçante) réclame vengeance à son fils restant, mais celui-ci n’est pas vraiment partant. Les meurtres vont s’empiler les uns sur les autres, jusqu’à ce qu’un policier finisse par faire régner la justice, à sa propre manière.

Une violence symbolique

Tout amateur de Nicolas Winding Refn pourrait remarquer que pour lui, la caractérisation des personnages est très importante. En effet, il se positionne souvent comme un psychologue, et cherche à démontrer comment ses personnages tombent dans le climat sombre et acariâtre de l’ultra-violence.

En 2009, Refn réalise Valhalla Rising, son œuvre la plus obscure, sa dernière collaboration en date avec Mads Mikkelsen. L’histoire traite d’un guerrier muet, One-eye, qui est retenu captif par un chef de clan. Il réussit finalement à s’échapper grâce à l’aide d’un petit garçon, et tous les deux vont se retrouver embarqués sur un bateau viking, vers une destination inconnue. C’est une œuvre qui a déconcerté le public, car, c’est une œuvre aux nombreux questionnements et aux interprétations multiples, auxquels le metteur en scène ne donne pas de réponse concrète. Pour certains One-eye incarnerait le dieu nordique Odin, pour d’autres son voyage symboliserait son chemin interne vers la rédemption. Mais aucune n’est pleinement satisfaisante. Ce qu’il y a à voir, cependant, c’est que One-eye est une sorte de guerrier surhumain, qui, grâce à l’usage de la violence, va réussir à atteindre sa propre liberté, en tuant ses bourreaux, puis en s’imposant presque comme le messie des vikings à la recherche d’une terre promise.

Toujours en 2009, sort également un long-métrage que Refn avait tourné au même moment que Valhalla Rising, Bronson, avec Tom Hardy jouant le prisonnier « le plus dangereux d’Angleterre », Michael Peterson alias Charles Bronson (nom emprunté au célèbre acteur de westerns). Dans cette œuvre, Bronson explique que pour lui, la prison était une « vocation », et qu’il considère les cellules comme des chambres d’hôtel. Une des symboliques les plus évidentes que l’on retrouve est celle de la liberté. C’est un personnage extravaguant qui apparaît comme libre, malgré toutes ses années d’emprisonnement et sa vie en isolement. Finalement, on remarque assez vite que, d’après le film, ce que Bronson apprécie le moins dans tous les lieux où il a été enfermé, c’est l’hôpital psychiatrique dans lequel il avait été interné. Drogué aux médicaments, il ne bénéficie plus de sa « liberté de pensée ». De plus, quand il découvre sa passion artistique pour le dessin, ses motifs préférés sont des oiseaux. Difficile de faire plus symbolique.

En analysant un peu plus sa filmographie, on se rend compte qu’une certaine dualité habite la psychologie de ses personnages. En effet, si l’on reprend Pusher II, on voit que Tonny est tiraillé par ses envies d’être un bon père, mais en même temps de prouver à son père qu’il est un bon fils à travers ses envies criminelles. A la fin, comme l’a dit Refn dans la citation un peu plus haut, son personnage, en « tuant le père », va absoudre ses péchés. C’est un motif que l’on retrouve dans Only God Forgives également, avec, au lieu d’un père, une mère castratrice. Julian (Ryan Gosling) est lui aussi tourmenté par son immobilisme apparent (incapable d’agir selon la volonté de sa mère, qui va engager une autre personne pour venger son fils), ses pulsions sexuelles inassouvies à cause de son impuissance et en même temps sa volonté de se faire enfin aimer de sa mère, qui lui a toujours préféré son frère. Et à la fin, lui aussi sera également absous de ses péchés, grâce notamment au personnage du policier thaïlandais, sorte de figure tutélaire de la justice.

bleeder-nicolas-winding-refn-film-avec-Kim-BodniaOn remarque aussi l’importance des couleurs, et principalement du rouge, symbole du sang et de la violence, dans les métrages du réalisateur danois. Parfois elle est partout, omniprésente, parfois elle est un peu plus discrète, même si elle est toujours présente. Dans Bleeder, il utilise la couleur rouge pour symboliser la violence inhérente au personnage de Léo (Kim Bodnia), qui n’accepte pas le fait qu’il va devenir père. Les personnages portent presque tous un haut de couleur rouge, surtout sa femme qui en porte un durant tout le film, qui est en quelque sorte à l’origine de la violence de son compagnon (par sa grossesse). On remarquera également, que, l’élément déclencheur de tout le « traumatisme » et la rage intérieure de Léo se passe dans une boîte de nuit, où la lumière est rouge. C’est très explicite (d’ailleurs le titre l’est également).

Une violence esthétisée

On remarque cependant que le style très rapide, à la réalisation et au montage presque saccadé, au fur et à mesure que la filmographie du réalisateur s’étend, devient plus lent et stylisé. Le montage épileptique et les mouvements de caméra rapides des Pusher laissent place à une composition des plans symétriques et parfaits, un montage plus lent, bref, une esthétique travaillée qui vise le sublime.

Le plus beau témoignage de cette violence esthétisée est peut-être la scène de l’ascenseur, dans Drive. Tous les meilleurs ingrédients de la réalisation de Nicolas Winding Refn sont réunis pour former une scène légendaire, où la poésie du moment laisse place à une violence extrême. De la douceur teintée de sang.

Nous avons déjà évoqué l’utilisation des couleurs dans son cinéma. Précisons toutefois que Nicolas Winding Refn est daltonien, et donc il utilise beaucoup de couleurs contrastées car sinon ils ne les voit pas. Il utilise énormément de rouge, mais également beaucoup de bleu et de jaune.  Ces couleurs subliment les images, et sont toutes porteuses de sentiments associés aux personnages. Le rouge comme symbole de la violence intérieure, mais également de la tension qui les anime. Le bleu comme symbole d’une tranquillité sombre et de sentiments qui les submergent. Le jaune, enfin, comme synthèse des deux.

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Peut-être que l’épiphanie de sa patte artistique est son œuvre The Neon Demon, condensé de tout ce qui fait son univers, transposé dans le monde de la mode et du mannequinat. Les plans magnifiques et les scènes stylisées au possible s’enchaînent, avec beaucoup de ralentis, tout en atteignant le paroxysme de la violence à la fin du film. C’est une œuvre qui apparaît plus accessible car ici la perfection des images est en accord avec la thématique principale: la beauté. Voici un extrait, où la musique se conjugue parfaitement avec ce qui est filmé, comme sait si bien le faire le réalisateur.

Grâce à son style si particulier, Nicolas Winding Refn a su s’imposer comme l’un des maîtres du cinéma violent. Il a réussi établir auprès du public son univers esthétique, sa patte unique. Un univers où la violence est reine mais non pas vaine. C’est assurément un réalisateur sur qui il faudra compter à l’avenir, et qui continuera de proposer des réalisations radicales. A voir ce que donnera sa série Too Old to Die Young, qui arrivera bientôt sur Amazon Video…