Au fil des années le Cinéma Danois se démarque par de grands films au style bien distinct. De Drive de Nicolas Winding Refn avec Ryan Goslin à La chasse de Thomas Vinterberg avec Mads Mikkelsen, sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes 2012, en passant par Melancholia de Lars von Trier, avec Kirsten Dunst. Décryptage historique d’un pays qui a réussi à rayonner et construire une identité cinématographique dans le paysage d’une industrie dominée par Hollywood.
Si les noms de Sidse Babett Knudsen (vu dans Borgen) ou encore Nikolaj Coster-Waldau (Oblivion, Mamà, le fameux Jamie Lannister dans la série HBO Game Of Thrones) ne vous sont pas inconnus, c’est normal. Tous deux d’origine danoise, ils ont su s’imposer internationalement. Et plus largement, de nombreuses œuvres scandinaves telles que la trilogie Millenium ou Northwest de Michael Noer ont connu un beau succès.
Le rayonnement international de ce petit pays trouve sa force dans des productions américaines (comme Drive, sorti en 2011) mais peine à réitérer ce triomphe quand il s’agit de productions 100% locales. Un paradoxe, surtout quand on réalise que son patrimoine cinématographique est l’un des plus anciens au monde.
Les balbutiements:
Tout commence en 1897 avec un film de Peter Elfelt : Des chiens groenlandais tirent un traîneau. Film quasiment introuvable aujourd’hui, et qui décrit exactement le titre. Il réalise plus de 100 courts-métrages (longs de seulement quelques minutes) montrant la culture danoise ou bien des événements publics.
Rappelons que l’invention du Cinématographe date seulement de deux ans auparavant par les Frères Lumière.
Le premier cinéma ouvre en 1904 et s’ensuit en 1906 la création de la célèbre compagnie Nordisk par le réalisateur Ole Olsen, société toujours en activité aujourd’hui. C’est la troisième compagnie de cinéma jamais créée, derrière les fameuses Gaumont et Pathé, d’invention française. Même si à l’origine elle ne faisait que des courts-métrages, suite au succès de l’un d’eux elle décida de produire aussi des longs. Elle a produit récemment Hijacking en 2012, film de Thobias Lindholm. Cette compagnie a eu une énorme influence sur le cinéma muet de l’époque, avec par exemple La dame aux camélias (Kameliadamen), en 1907, première adaptation du célèbre roman d’Alexandre Dumas.
Vers 1910 une autre compagnie se lance sur le marché de la production cinématographique, Fotorama, et instaure de la concurrence. Elle produit La Traite des Blanches (Den Hvide Slavehandel), premier film de plus de 20 minutes (il en dure 40), de August Blom. Synopsis: Une jeune femme se retrouve à travailler dans une maison close alors qu’elle pensait avoir trouvé un job de demoiselle de compagnie. Cette rivalité a permis à la Nordisk de sortir des moyens-métrages, et de faire connaître au pays son âge d’or en matière de cinéma.
L’apogée du cinéma muet :
Un des premiers films de cette époque, Afgrunden, réalisé en 1910 par Urban Gad, lance la carrière de l’actrice Asta Nielsen, qui a une renommée internationale (il est disponible en intégralité ci-dessous). Malheureusement pour le Danemark, l’actrice est tellement connue que son succès l’amène jusqu’en Allemagne où elle restera la star incontestée du muet.
Le nouveau directeur de la Nordisk, August Blom, choisit à cette époque de produire essentiellement des œuvres mélodramatiques, c’est ainsi que l’ambitieux Atlantis voit le jour, montrant le naufrage d’un bateau. Mais le public est déçu par ce projet, dont les recettes sombrent.
N’oublions pas non plus le travail de Benjamin Christensen, qui réalise en 1914 Le mystérieux X (Det hemmelighedsfulde X), remarquable métrage d’espionnage.
Pendant la Première Guerre Mondiale, le marché européen est difficile d’accès, mais la production danoise s’installe tout de même en Allemagne là où les films français et anglais sont bannis. La plus grande compagnie cinématographique du pays choisit de produire des films de plus grande envergure, avec des thématiques sociales et pacifistes au cœur des intrigues. On retrouve par exemple le réalisateur August Blom avec La fin du monde (Verdens undergang), dont l’histoire aborde le sujet d’une comète passant à proximité de la terre, avec les drames sociaux qui en découlent. Suite à la guerre la Nordisk Kompagni est en déclin car ses recettes sont insuffisantes, et en outre la demande du public ne correspond pas à la direction artistique de la firme.
C’est dans ce climat que l’illustre représentant du cinéma muet, Carl Theodor Dreyer (1889-1968), fait ses débuts en tant que réalisateur. Un de ses films les plus importants sont par exemple La passion de Jeanne D’arc qui raconte l’histoire de cette dernière. Il se démarque par l’utilisation de plans au cadrage très serré au niveau du visage pour déceler toutes les subtilités du jeu de Renée Falconetti. Certaines scènes de ce long-métrage sont connues, comme celle du procès ci-dessous.
Ou encore Ordet (La Parole en français), en 1955, un film parlant, sublime, du fait de sa photographie en noir et blanc, qui narre l’histoire d’une tragédie familiale.
Arrivée du cinéma parlant :
Si en 1928 la Nordisk Film fait banqueroute, rien ne l’empêche de produire ses premières œuvres parlantes une année plus tard. Le tout premier film parlant fait au Danemark s’intitule Præsten i Vejlbye, et sort en 1931. C’est une adaptation du livre de Steen Steensen Blicher du même nom qui suit une enquête de meurtre se déroulant dans un presbytère.
C’est dans cette période que le Danemark voit essentiellement naître des comédies qui marquent l’apparition des « folkekomedie ». Il s’agit d’œuvres joyeuses avec des chansons qui permettent au public de sortir de la réalité de la grande dépression. Une œuvre très représentative de ce genre sort en 1932, Odds 777, par George Schnéevoigt. Dans l’extrait ci-dessous, nous pouvons bien voir que le film se présente comme chantant et gai, en témoigne cette scène où une femme a l’air très contente de cuisiner.
Seulement là où les films muets permettaient d’être distribués internationalement, les films parlants s’adressent surtout au public danois, étant donné la barrière de la langue, le processus de doublage coûtant trop cher.
De plus, apparaît à ce moment-là une nouvelle forme de réalisation: le documentaire. Un des plus importants, commandé par le Ministre des Affaires Etrangères en personne, se nomme Danmarksfilmen. Il a d’ailleurs dû être réédité car il a été démoli par la critique. Même s’il n’est pas le premier documentaire réalisé (il est sans doute franco-américain et s’appelle Nanouk l’Esquimau, sorti en 1922), le Danemark se positionne comme un des pays pionniers de ce genre !
En outre le réalisateur Theodor Christensen signe aussi le tout premier livre théorique du pays sur le cinéma sobrement intitulé Film en 1936.
Changeons de registre car pendant la Seconde Guerre Mondiale, les films danois se font plus sombres et sérieux, et le premier film noir du pays est réalisé en 1942, Afsporet, par Bodil Ipsen. C’est à ce moment-là que de nombreux thrillers danois voient le jour.
Après la Guerre un nouveau sorte de réalisme naît, porté par des films comme La terre sera rouge (De Røde enge), qui remporte le grand prix du Festival de Cannes en 1946 ou bien Diskret Ophold, qui raconte l’histoire d’un homme qui loue des chambres à des femmes pour augmenter ses revenus, en se focalisant sur l’avortement d’une jeune femme. La particularité de ces œuvres sont leur ampleur psychologique et humanitaire, en effet l’analyse de la psychologie des personnages prime sur le reste.
En revanche dans les années 50 ce genre neuf disparaît pour laisser à nouveau place aux mélodrames. En effet après le traumatisme de la guerre, le peuple danois a envie de retrouver un cinéma d’antan, avec des comédies. Retour donc aux valeurs traditionnelles.
Des années 60 à 90 :
L’art du grand écran se trouve menacé au début des années 60 car l’arrivée des télévisions dans les foyers a pour impact de limiter le nombre de tickets vendus. Une loi est par conséquent passée en 1964 visant à ce que les productions cinématographiques obtiennent l’aide économique du gouvernement.
Au début de cette décennie, le Danemark est très influencé par le cinéma européen, surtout français avec la Nouvelle Vague et deux courants dominent cette période: la « Nouvelle Vague » danoise tout d’abord, où l’on retrouve par exemple le film de 1961 Harry et son valet (Harry og kammertjeneren), une tentative réussie de modernisation des folkekomedie. Puis l’érotisme : le pays est d’ailleurs le premier à légaliser la pornographie en 1969. Le très sulfureux Jeg- en Kvinde est diffusé, où l’on suit les flirts d’une jeune infirmière. Ce film va d’ailleurs inspirer Andy Warhol son film expérimental I, a man. Cet esprit de liberté sexuelle permet finalement l’abandon de la censure des films « pour adultes » en 1969.
Dans les années 70, un réalisateur du nom de Jens Jørgen Thorsen fait polémique en voulant adapter la vie de Jésus en film. C’est un artiste d’avant-garde, aussi peintre, déjà connu pour son travail provocant. Malgré la liberté d’expression en vigueur dans le pays, le film ne se fera pas dans la mesure où le Pape lui-même est contre le projet.
Le réalisme redevient à la mode, et un film comme celui de Franz Ernst Ang.: Lone connaît le succès car il casse les codes en proposant un style semi-documentaire. L’intrigue suit une jeune femme qui fuit les différentes communautés du pays. C’est aussi le moment où le style policier revient en force.
Ensuite, en 1972 le Danish Film Institute est créé, permettant d’allouer des fonds à des films, en se basant sur leur côté créatif et artistique plutôt que commercial. C’est ce qui permet au jeune Lars Von Trier (ce nom vous dit sûrement quelque chose), fraîchement diplômé de la Danske Filmskole de réaliser son premier long-métrage : Element of Crime (Forbrydelsens Element) en 1984. C’est un succès international.
Un film très important gagne la Palme d’Or à Cannes en 1987, Pelle le conquérant (Pelle Erobreren) de Bille August, adaptation d’un livre du même nom. Un drame humain suivant un garçon et son père voulant émigrer de la Suède au Danemark, avec une photographie sublime et une histoire touchante.
Années 90, le renouveau :
Les succès de Lars Von Trier, ainsi que l’apparition de jeunes talents tout juste diplômés permettent l’apparition d’un nouveau courant cinématographique : le Dogme, en 1995.
Créé par Lars Von Trier et Thomas Vinterberg, ce courant iconoclaste délimite des « lois » à respecter afin de faire des films plus crus et proches de la réalité. Ainsi il faut tourner en lumière naturelle, les plans tournés caméra au poing, la musique interne au film, etc…
Festen, le premier film du Dogme jamais réalisé obtient un succès international. Il traite du déchirement d’une famille qui ploie sous un secret familial lourd.
Ce courant sera adopté partout, même aux États-Unis où il permettra au réalisateur expérimental Harmony Korine de faire son oeuvre Julien Donkey-Boy, suivant un jeune homme atteint de schizophrénie. Cela montre l’influence du cinéma danois à l’international.
De nombreux autres réalisateurs apparaissent au cours de ces années, notamment Lone Scherfig avec le très beau et simple Italian for beginners (Italiensk for begyndere) en 2000, qui suit la petite vie de communauté d’une classe d’italien, avec des intrigues amoureuses. Ou encore Susanne Bier avec son drame Freud quitte la maison (Freud flyttar hemifrån), en 1991.
Aujourd’hui : une place mondiale importante
De nombreux réalisateurs danois ont su faire leur place mondialement, Lars Von Trier évidemment, depuis les années 90 déjà avec sa trilogie Europa ou encore en 2003 sont percutant Dogville, avec Nicole Kidman, mais aussi Thomas Vinterberg avec des productions américaines (Loin de la foule déchaînée, entre autres, en 2015). Quant aux réalisatrices, Susanne Bier n’est pas en reste puisqu’en 2011 elle gagne le Golden Globe et l’Oscar du meilleur film étranger avec Revenge (In a better world) qui suit l’histoire de deux camarades de classe impliqué dans une vengeance qui va mettre leur amitié à rude épreuve.
Autre réalisateur danois très important de notre époque, artiste expérimentant un autre genre de cinéma : Nicolas Winding Refn. Ayant commencé par des petits films danois tels que la trilogie Pusher, films crus sur des malfrats de la drogue, dont le retentissement fût important, il a ensuite continué avec des films en langue anglaise, comme ses compatriotes. Ce qui donnera le récent mais déjà culte Drive, avec Ryan Gosling.
A voir : Bronson, un exercice de style total avec ralentis sur de la musique classique, ou plus récemment son travail esthétique The Neon Demon.
Quelques acteurs danois sont aussi incontournables et s’exportent à l’étranger, comme les déjà cités Nikolaj Coster-Waldau, Sidse Babett Knudsen qui a joué dans un film français d’Emmanuelle Bercot l’année dernière (La fille de Brest), mais aussi Mads Mikkelsen, qui a gagné le prix d’interprétation à Cannes pour le magnifique La chasse (Jagten) de Vinterberg en 2011. Cette année il y a encore un acteur danois qui a rejoint le casting de Game of Thrones dans le rôle du nouveau méchant, Pilou Asbæk…
Pour conclure, le Danemark a été et reste l’un des pays le plus productifs en terme de films. Une sorte de pépinière de talents dont la demande à l’étranger ne cesse de croître, au cinéma diversifié ayant traversé de nombreux genres. Un cinéma qui s’est toujours renouvelé avec succès et qui réussit à rester novateur, mais dont les principaux protagonistes ont tendance à s’expatrier. A voir si dans l’avenir le cinéma danois restera danois ou s’il va continuer à rayonner internationalement.
Pour aller plus loin, voici des liens pour approfondir votre culture en matière de cinéma danois :
-Le site du Danish Film Institute : http://www.dfi.dk/Service/English/Films-and-industry/Danish-Film-History.aspx.
-Un site hommage au Dogme 95 : http://www.dogme95.dk/.