Il a été interprété par Charles Vanel, Michel Bouquet, Anthony Perkins, Bernard Blier, John Malkovich ou Charles Laughton. Il est, parmi la foule des personnages des Misérables, un des plus connus et des plus marquants. L’inspecteur Javert fait partie de ces seconds rôles qui font avancer l’action et qui permettent de mieux comprendre le personnage principal.
Victor Hugo, dans la célèbre Préface de Cromwell (décidément plus connue que la pièce de théâtre qu’elle est censée préfacer), soutient la nécessité de créer des personnages antithétiques dans les œuvres littéraires. Selon lui, on n’apprécie vraiment la beauté que lorsqu’elle est confrontée à la laideur, la pureté, à la noirceur, etc.
Selon ce principe, Hugo, dont l’œuvre est souvent très théorique, n’a pas hésité à peupler ses livres de personnages secondaires dont le rôle était de mettre en valeur les protagonistes. Dans son roman phare, Les Misérables, publié en 1862, face à Jean Valjean, il place d’un côté les Thénardier, de l’autre Javert. Les premiers, qui n’apparaissent que dans quelques épisodes du roman, représentent la noirceur morale la plus abjecte. Javert, dont l’ombre plane sur l’ensemble des Misérables, est l’exemple typique de ces seconds rôles sans lesquels le portrait du protagoniste paraîtrait incomplet.
La traque comme obsession
Plusieurs des films adaptés des Misérables commencent par la même scène, pourtant absente du roman : encore au bagne, Valjean est convoqué dans le bureau du surveillant général, qui lui indique qu’il est libéré. Ce surveillant, c’est Javert.
Javert connaît Valjean. Ou, pourrait-on dire, il le connaissait. Il connaissait le Valjean forçat, cet homme condamné à cinq ans de bagne pour avoir volé un pain dans une vitrine, et dont la peine sera portée finalement à dix-neuf ans après plusieurs tentatives d’évasion. Un Valjean que Javert a pu observer de près, dont il a pu mesurer la force titanesque.
Or, Javert a les forçats en horreur. Né en prison d’un père galérien et d’une mère tireuse de cartes, il est constamment en quête de respectabilité, en lutte contre ce milieu qui l’a vu naître. Javert est un homme guidé par la haine, ce qui explique son aveuglement permanent. Mais il s’agit, in fine, d’une haine de lui-même, d’une haine de ses origines et d’une volonté de “se racheter”.
Lorsque, huit ans après la libération de Valjean, Javert est nommé comme policier à Montreuil-sur-Mer, lorsqu’il aperçoit le maire M. Madeleine, il reconnaît intuitivement, inconsciemment, Valjean. Le véritable duel va pouvoir commencer. Javert sera finalement le moteur de l’action des Misérables : c’est lui qui va obliger Valjean à dévoiler son identité et ainsi à quitter Montreuil. Ainsi, Javert va arrêter une personne dans laquelle il a cru reconnaître Valjean et va la poursuivre en justice. Valjean va alors être confronté à un dilemme (rester dans sa position confortable et sa sécurité, ou empêcher un innocent d’être condamné à sa place), à l’issue duquel il montrera sa véritable valeur morale. C’est ainsi que Javert fait avancer l’action du roman tout en faisant progresser le protagoniste.
Pendant le roman, Hugo comparera Javert à un chien policier, un de ces molosses qui pourchassent inlassablement leur proie. De fait, Javert fait un formidable limier, mu par une intuition infaillible et une grande connaissance du milieu criminel. Un de ces policiers instinctifs et tenaces qui ne reculent jamais.
L’opposé de Valjean
On sait que Hugo était animé par ses grandes théories sociales et politiques. Celles-ci sont, bien entendu, à la base des Misérables, comme de n’importe quelle autre œuvre du grand écrivain. Parmi ces théories, il y en a une qui préside à la création du personnage de Jean Valjean : la rédemption. Valjean illustre une idée qui était essentielle dans la philosophie hugolienne, celle d’un homme qui, éclairé par l’éducation et la charité, sortait de la bestialité pour devenir véritablement un être humain. Amateur de symboles forts, ce n’est pas un hasard si le romancier a choisi, parmi les objets responsables de cette conversion de Valjean, des chandeliers, qui portent donc la lumière.
Valjean est donc l’homme qui est passé par le repentir, celui qui a définitivement tourné le dos à son passé.
Face à lui, Javert représente l’exact opposé. Le policier, qui l’on qualifierait de nos jours de “psychorigide”, est intimement convaincu que les hommes ne changent jamais. Criminel un jour, criminel toujours. C’est en vertu de cela qu’il poursuivra inlassablement Valjean, qui, à ses yeux, restera à jamais le bagnard bestial.
Une fois de plus, les comparaisons animales ont de l’importance. Nous l’avons déjà dit, Javert est sans cesse comparé à un animal. Alors que Valjean est devenu un être humain par sa pratique de la charité et de l’amour christique, Javert est resté dans le domaine de la bestialité. D’ailleurs, Javert n’a même pas de prénom, ce qui fait de lui un être pas vraiment humain.
La construction de l’action va renforcer encore le parallèle entre les deux personnages en un terrible jeu de miroir. Au début du roman, Valjean va passer par une “tempête sous un crâne”, un moment qui aboutira à la transformation morale et psychologique du personnage. Javert connaîtra aussi cela, mais à la fin de l’action, lorsqu’il comprendra que toute l’idéologie sur laquelle il avait basé sa vie était fausse. Cette seconde “tempête sous un crâne” sapera complètement les fondements trop rigides du personnage, qui ne s’en remettra pas. Valjean s’en était sorti par le haut, s’élevant progressivement aussi bien dans la spiritualité que dans la société. Javert s’effondrera, et cette chute est, elle aussi, montrée symboliquement par son suicide.
Javert est l’exemple du personnage secondaire indispensable : non seulement il pousse le protagoniste à agir et à se dévoiler, mais aussi il agit comme un miroir, par effet de contraste.