Des Misères (1845) aux Misérables (1862) de Victor Hugo aux Misérables, de Ladj Ly, film primé à Cannes 2019 : une œuvre symbole. Mélange de la fiction à son vécu pour mieux dénoncer la société de son temps tout en gardant un regard tourné vers l’avenir.
Roman et film : les sources
En 1845, Victor Hugo (1802-1885) âgé de 43 ans, est fait pair de France par Louis-Philippe.
Il commence la même année un roman qu’il intitule Jean Tréjean puis Les Misères. Il l’interrompt en 1848 pour cause de révolution, est élu député et prononce le 6 juillet 1849 un discours sur la misère à l’Assemblée nationale législative. Il ne reprendra la rédaction du roman qu’en 1860, durant son exil, après avoir publié Napoléon le Petit (1852), Les Châtiments (1853), Les Contemplations (1856) et la 1ère série de La Légende des Siècles. Le titre définitif est Les Misérables. Le roman paraîtra en 1862.
Dans ce roman, Hugo veut traiter de la question sociale en rapport avec l’actualité. Il s’inspire de ses notes sur des événements dans des carnets, qui seront publiées après sa mort sous le titre Choses vues. Par exemple, la scène du bourgeois qui lance dans le dos d’une prostituée une boule de neige ou bien sa propre expérience sur les barricades du 3 au 6 décembre 1851 qu’il romancera pour évoquer Jean Valjean sauvant Marius.
Comme Vautrin, personnage de La Comédie humaine d’Honoré de Balzac (1799-1850), le personnage de Jean Valjean est un ancien forçat : Vautrin devient chef de la police – tel Vidocq (1775-1857), véritable bagnard devenu chef de la sûreté – et Jean Valjean, maire.
Dans Les Misérables, Hugo dénonce la misère, le manque d’instruction, la prostitution représentée par Fantine, le travail forcé des enfants incarné par Cosette.
Il combat la peine de mort depuis deux de ses premiers romans, Le dernier jour d’un condamné (1829) et Claude Gueux (1834), où la dimension sociale apparaît.
Mgr Myriel est un modèle pour Jean Valjean. En lui offrant ses chandeliers en argent que celui-ci a volés, au lieu de le dénoncer aux gendarmes, il lui dit: « Jean Valjean, mon frère, vous n’appartenez plus au mal mais au bien. C’est votre âme que je vous achète » (1e partie, livre 2e, XII). Jamais il ne se séparera de ces chandeliers symboles de lumière. Après un ultime vol commis presque machinalement, il prend conscience de ce qu’est une mauvaise action et dédie sa vie au bien.
Le réalisateur du film, Ladj Ly, déclare :
« Pendant plusieurs années, j’ai filmé les policiers pendant leurs interventions, parfois en étant caché, d’autres fois non, pour éviter que la situation ne dégénère. »
Un jour il capte une bavure. Il poste la vidéo sur internet et finalement les policiers incriminés seront condamnés.
Les Misérables de Ladj Ly se fonde sur cette expérience. Au cours d’une intervention, un des policiers tire sur un enfant et le défigure : cette bavure est filmée par un drone.
Les Misérables était d’abord un court métrage, qui concourut pour les Césars 2018. Le réalisateur a confié : « Le titre m’est venu assez naturellement. Je voulais faire un parallèle avec le roman de Victor Hugo car une partie se déroule à Montfermeil. Nous avons un lien assez fort avec ça : petits, on nous emmenait voir la fontaine de Cosette, la maison de Thénardier … Or plus d’un siècle après, la misère est toujours présente sur ce même territoire ».
Il est passé du court au long métrage de fiction après avoir réalisé plusieurs documentaires marquants dont 365 jours à Clichy-Montfermeil consacré aux émeutes de 2005 et à leurs conséquences, le docu-fiction Go Fast Connexion puis 365 jours au Mali (2012-2013) , pays d’où sont originaires ses parents.
Le film se passe dans la ville où il a grandi, Montfermeil, d’où le clin d’œil au romancier dans une conversation lors de l’arrivée du nouveau de la Brigade Anti-Criminalité, Stéphane.
Ses collègues lui demandent comme une colle s’il sait pourquoi ils ont un collège Victor Hugo. Comme il répond sans hésitation, il est qualifié d’ « intello ».
Dans Les Misérables, comme Hugo, le réalisateur insère de son vécu dans sa fiction.
Tous deux sont à leur manière des militants, voulant dénoncer la société et ses travers en se servant chacun de leur arme : plume et caméra.
Les Misérables : de quoi cela traite ?
Dans le roman hugolien, il s’agit d’une épopée, celle de Jean Valjean, ex-forçat qui va s’efforcer de faire le bien en sauvant des Thénardier Cosette, la fille de Fantine, et de faire le bonheur de la fillette.
Il est cependant sans cesse poursuivi par un inspecteur de police intransigeant, Javert. Pour ce policier, Valjean ne peut que rester un forçat et ne jamais évoluer. Lorsqu’il est fait prisonnier par les insurgés et que c’est Jean Valjean qui le libère, ce geste le désarçonne totalement. En guise de remerciement, il le laissera partir avec Cosette sans condition.
Cependant ne trouvant plus ses marques entre son devoir de policier et sa conscience, il ne voit que la possibilité du suicide.
Il existe aussi dans le roman une scène emblématique, le chapitre « Une tempête sous un crâne » (1ère partie, livre 7e , III) : M.Madeleine alias Jean Valjean a appris par Javert que Jean Valjean, arrêté, est jugé à Arras. L’ancien forçat a été reconnu par ses compagnons de bagne et Javert lui-même. Pendant toute la nuit, Valjean va se demander quoi faire, se dénoncer et aller à Arras ou laisser un innocent se faire condamner à sa place.
Sentant la présence spirituelle de Myriel, l’ancien bagnard décide d’aller se livrer : mieux vaut être enchaîné physiquement que torturé moralement.
Dans le film, Stéphane, nouveau dans la Brigade de la BAC, porte un regard extérieur et neuf. Il se révoltera notamment face à ses collègues lors de la bavure policière.
Si le réalisateur traite principalement de la violence dans son film, il n’oublie cependant pas de souligner des scènes de communion entre les hommes, comme en filmant la scène d’ouverture du début du film,lorsque la France a gagné la coupe du monde et qu’une foule houleuse chante à l’unisson La Marseillaise. Cette union et cette solidarité transparaissent aussi dans le roman lors des scènes de barricades, Enjolras, Gavroche et les autres qui font partie de l’unisson La Marseillaise. Cette union et cette solidarité transparaissent aussi dans le roman lors des scènes de barricades, Enjolras, Gavroche et les autres qui font partie de l’insurrection des amis de l’A.B.C. chantent La Marseillaise mais elle a encore une dimension révolutionnaire comme les drapeaux rouges qui sont arborés et reste encore loin d’être adoptée comme l’hymne national. A un moment du film, il y a une allusion à justement à la chanson de Gavroche qu’il chante en ramassant les balles « je suis tombé par terre… » les paroles sont si connues que l’on n’a pas besoin d’en rajouter plus. C’est aussi aux barricades qu’Eponine va se sacrifier pour sauver Marius de la mort et lui donner finalement la lettre jalousement gardée de Cosette. C’est Valjean qui va sauver Marius et Javert de la mort de la barricade. Toute cette solidarité n’existe que dans ces moments exceptionnels.
Le réalisateur montre aussi bien les tensions dans la Brigade qu’avec la population. Il semble s’être inspiré de La Haine de Mathieu Kassovitz (1995), donc nous montre la violence, notamment entre les policiers et les jeunes.
On voit les policiers, dont un plus particulièrement harceler des jeunes, garçons et même filles : serait-ce une façon de désigner la police comme une sorte de Javert persécuteur ?
Le film se termine par une confrontation dont on ne connaîtra pas la fin entre le jeune garçon abîmé lors de la bavure, qui tient à la main une torche allumée et fait face à l’un des policiers de la BAC. L’image s’obscurcit, et s’affiche la citation suivante extraite du roman :
« Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni de mauvaises herbes, ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs. » (1ère partie, livre 5e , III, tome I de l’édition Pocket classiques, p. 189).
Mais quel est le message du réalisateur en nous laissant sur l’image de l’enfant portant une torche brûlante ?
Il peut aussi bien en faire une arme et en la lançant tuer le policier, voire d’autres personnes, et donc virer vers le mal, ou alors voir en cette torche la lumière du Bien comme Valjean dans les chandeliers en argent et alors se tourner vers l’avenir.
Les Misérables : la réception
Les Misérables, contrairement aux romans de l’époque n’a pas été diffusé en roman-feuilleton. Victor Hugo condamnait la censure de la presse mais a cependant désiré que son œuvre soit publiée dans un format bon marché pour qu’elle reste accessible.
Les éditions des Misérables seront diffusés en même temps dans l’Europe entière dès 1862. Le succès public sera phénoménal. On connaît maintenant le succès incroyable de cette œuvre qui est l’une des plus adaptées au monde, sous toutes les formes: comédies musicales, théâtre, films, dessins animés, téléfilms.
Le film, montrant la violence et les trafics dans Montfermeil, a été perçu au Festival de Cannes 2019 comme un événement coup de poing et a reçu le Prix du Jury. Les Misérables représentera la France aux Oscars. Le film est déjà vendu dans plus de cinquante pays.
Le jeune réalisateur de Montfermeil marcherait-il comme Victor Hugo vers la gloire ?
Les Misérables, en tout cas, un titre qui qui a contribué au succès et à la diffusion du film.