Seize Printemps : poétique, techniquement intéressant, mais surestimé

                Vainqueur du SIGNIS award au Festival international du film de Mar del Plata 2020 et nominé à une dizaine de prix de festival de film mondiaux (Macao, Athènes, Chicago, Glasgow, Sao Paolo, San Sebastian, etc…), Seize Printemps semble conquérir les jurys. Mais ce n’est pas là l’avis de tous, car l’œuvre, bien que charmante, n’est pas exempte de défauts conséquents, elle est même surcotée…Retour sur la première réalisation (et le premier rôle) de la jeune Suzanne Lindon.

L’adolescence est un âge difficile pour quiconque se cherche. Qui est-il ? D’où vient-il ? Où va-t-il ? Ces questions peuvent rendre la période compliquée, car les réponses viennent avec l’expérience. En plus des hormones qui changent le corps, qu’on ne reconnaît plus, viennent les premiers émois et les premières déceptions.

Dans ce premier film, Suzanne Lindon décrit la vie de la jeune Suzanne qui est une lycéenne qui s’ennuie de ceux qu’elle côtoie. Elle les trouve inintéressants. Mais elle voit un jour Raphaël, un comédien taciturne pour qui elle éprouve de l’attirance…bien plus que ceux qui la côtoient tous les jours au lycée. Les deux sont attirés l’un par l’autre et se découvrent petit à petit.

Les premiers rôles sont tenus par Suzanne Lindon elle-même dans le rôle de Suzanne, Arnaud Valois joue Raphael Frei, le love interest de Suzanne, Frédéric Pierrot est le père de Suzanne et Florence Viala est sa mère.

Pour la jeune réalisatrice, c’est sa première expérience dans le domaine, et hormis une expérience de figuration dans un film dirigé par sa mère en 2016, elle ne semble pas avoir d’autre expérience en temps qu’actrice. Quant à Arnaud Valois, il se fait connaître dans 120 battements par minutes, grâce auquel il est nominé pour un César en 2018. On peut voir Frédéric Pierrot dans Grâce à Dieu de François Ozon, Artemisia, Polisse de Maïwenn ou Jeune et Jolie, Elle s’appelait Sarah et Chocolat de Roschdy Zem. Florence Viala quant à elle est une actrice ayant fait ses armes dans le théâtre, à la Comédie Française. Mais elle tourne aussi au cinéma et pour la télévision.

En toute honnêteté, ce film pose un cas de conscience. Il s’agit d’une première expérience de réalisatrice et d’actrice, mais dans le même temps, le thème et le scénario mettent quelques peu mal à l’aise. Il est donc important de prendre en compte qu’étant un premier travail, il y a des négligences, des erreurs, des choses qui ne vont pas. Nous dirons donc pourquoi ce film n’est pas une bonne expérience à nos yeux, mais en essayant aussi de souligner les aspects positifs.

Poétique et rêveur

Nous allons commencer par dire pourquoi ce film est intéressant, pour une première réalisation. La jeune Suzanne Lindon intègre de la musique et de la danse qui servent de métaphores aux émotions des personnages, et cela rend l’œuvre assez sublime, pour ne pas dire subliminale. Par exemple, au lieu d’un baiser ou d’une étreinte, la chorégraphie est choisie afin de faire parvenir avec subtilité les émotions des personnages. C’est ce qu’elle-même révèle dans une interview à France Inter à la journaliste Léa Salamé.

Nous pouvons notamment penser à une des scènes se passant dans le café avec Suzanne et Raphaël, où il lui fait écouter un opéra introduisant sa pièce de théâtre, ou plus tard, lorsqu’ils se retrouvent tous les deux sur les planches du théâtre. Cette dernière, n’est pas sans rappeler les séquences de danse du film L’Amour Sorcier de Carlos Saura, dans les grandes lignes.

La maîtrise technique

Au niveau esthétique, on ne peut rien reprocher à la réalisatrice. En toute franchise, les plans sont extrêmement bien choisis, il y a des travellings lorsqu’il le faut, des zooms qui accentuent la solitude de la jeune fille lorsqu’elle est en groupe. Les gros plans sont d’ailleurs les plus privilégiés, pour montrer les émotions de Suzanne lorsqu’elle observe Raphaël. En revanche, on privilégiera les plans poitrines et les plans taille lorsqu’ils seront ensemble et qu’ils se découvrent.

Nous pouvons aussi noter l’importance de l’introduction qui commence par un certain silence et le brouhaha des amis du personnage principal, comme si on assistait à un réveil au sens propre et à la fin de la rêverie de Suzanne. Le son et le silence sont divinement bien utilisés pour transmettre l’état de solitude du personnage.

Des dialogues bancals et vides

Nous allons toucher à ce que nous avons vraiment très peu apprécié dans cette réalisation. Nous sommes déçus des dialogues. Ils sont si creux et vides de sens qu’ils ne permettent même pas de comprendre les métaphores s’il y en a. Il y a une certaine ressemblance avec les dialogues abstraits du théâtre absurde. Par exemple, lorsque Raphaël a peur d’avoir oublié comment jouer, il demande un diabolo grenadine. Cela peut montrer une tentative de reconquête de son âge adulte et responsable, par une nature enfantine profonde cachée jusqu’à l’oubli, que Suzanne a fait renaître. Comme si en la côtoyant, Raphaël avait oublié ce qu’était être un adulte. Mais c’est peut-être la seule cohérence que nous y voyons, car le reste des dialogues sont totalement hors de propos… Par exemple, Suzanne dit à Raphaël qu’il a un nouveau grain de beauté, et il lui répond qu’il le lui donnera. Et elle part sans aucune explication.

Cela n’empêche pas une bonne prestation des acteurs expérimentés de ce film, dont Arnaud Valois qui se montre assez complexe dans ce rôle. Hormis ce problème, celui de taille est la prestation de Suzanne Lindon. Son personnage est constamment mis en avant et est assez taiseux ou ne dit rien d’intéressant en plus de ne pas réellement bien jouer. Ce sentiment se maintient tout au long du long-métrage et ennuie le spectateur.

Un scénario plutôt mauvais

Nous traiterons deux points dans cette partie : premièrement, l’histoire d’amour entre Raphaël et Suzanne et ensuite les incohérences de ce scénario.

Raphaël et Suzanne

L’histoire « d’amour » entre Suzanne et Raphaël fait vraiment grincer des dents…Nous rappelons que celle-ci a 16 ans et Raphaël a 35 ans. Bien que la relation n’aille pas contre la loi (la majorité sexuelle est à 15 ans en France), l’éthique nous empêche d’adhérer à une relation entre une lycéenne et un individu proche de la quarantaine. Bien que le film ne montre ni baisers appuyés, ni rapports sexuels, on peut s’imaginer que cela subsiste métaphoriquement dans l’œuvre. Même si la relation est montrée comme largement chaste et consentie, il n’en reste pas moins que nous sommes en présence d’une jeune fille très jeune et d’un homme d’âge mûr.

De plus, lorsqu’elle n’est pas avec lui, Raphaël se montre négatif, hautain, insolent, arrogant, triste, taciturne, hypocrite, un concentré de négativité ambulante. Nous comprenons qu’il puisse représenter l’entité de « l’âge adulte », des responsabilités, des soucis qui viennent avec. Mais nous ne comprenons pas ce qu’il dégage pour que la jeune Suzanne s’entiche de lui. La beauté peut être la cause, mais mis à part, ils ne semblent pas partager beaucoup de choses… Est-ce là vraiment le genre de relation qu’une jeune fille se doit d’attendre d’un ou d’une partenaire ? Si c’est bien là le constat, il n’en ait que plus décevant.

Où sont les adultes?

Le second problème de scénario concerne les parents et les adultes. Ceux-ci ont une adolescente de 16 ans, pas une adulte de 18…Et ils l’autorisent à rester si tard dehors sans se poser de questions sur ses fréquentations, sans se demander si elle n’est pas sous la coupe d’une personne malveillante ? Et l’équipe technique du théâtre aussi est révoltante par son aveuglement. Les personnages principaux entretiennent une relation qui se voit et se sent. Comment aucun de ces adultes ne s’est-il dit que cette relation était bizarre ? Comment personne ne s’est-il inquiété ?

Ces deux problèmes gâchent le film. La relation entre Raphaël et Suzanne aurait pu être encore plus belle si elle était celle d’une amitié, et que le sentiment d’amour ne se soit pas mêlé de cela. Nous ne pouvons pas demander à Suzanne de renier ses sentiments, car elle est jeune et beaucoup d’adolescents ont des crush pour des adultes car ils les idéalisent et découvrent ces sentiments. Mais que Raphaël s’autorise de céder à ce genre de chose est irresponsable. Elle peut être la plus belle, la plus lumineuse, la plus angélique des filles, elle n’est qu’une jeune fille. Bien qu’il ne la maltraite pas, et que ce soit elle qui ait les rennes, cela reste un exemple de relation qu’il ne faudrait pas vraiment donner, surtout après Me Too.

Fille de

Par ailleurs, nous n’avons pas voulu non plus reprendre des points sur lesquels d’autres se sont attardés comme le fait que l’ascendance de Suzanne Lindon lui ait permis des facilités dans la réalisation. Fille des acteurs Sandrine Kimberlain et Vincent Lindon, elle baigne dans le milieu dans une relative facilité, certes. Mais nous avons cherché dans cet article à critiquer le film à travers d’autres arguments car le cinéma est une grande famille. Beaucoup d’acteurs sont enfants d’acteurs, certaines généalogies vont loin. Romy Schneider est fille, petite-fille et arrière-petite-fille d’acteurs, Angelina Jolie est fille d’acteurs, Carrie Fisher aussi tout comme sa fille Billie Lourd sont enfants d’acteurs, pour ne citer que les plus célèbres. Et pour ne citer qu’elle, la réalisatrice Sophia Coppola est la fille du grand réalisateur Francis Ford Coppola. Il serait donc hypocrite de tacler la jeune femme pour son ascendance, surtout pour une première expérience, alors qu’au niveau technique, le film est assez bien réalisé.

Conclusion

Nous trouvons bien triste le fait que Seize Printemps ait un tel potentiel esthétique et technique, mais qu’il pâtisse d’une écriture et d’un scénario aussi pauvres. L’innocence se substitut bien vite à la niaiserie. Nous avons conscience que pour une première réalisation, il est assez beau à regarder, mais l’apparence ne fait pas tout. Le jeu d’acteur de Suzanne Lindon n’est pas non plus excellent et c’était une gageure de se mettre en scène sans avoir beaucoup d’expérience. Derrière la caméra, Lindon semble s’y connaître, mais devant, elle reste assez peu convaincante.

Au-delà de cet aspect, le thème en lui-même met assez mal à l’aise, même s’il est possible que ce ne soit pas le cas de tout le monde. Dans son interview sur France Inter, Suzanne Lindon dit que son personnage choisit et domine dans la relation. Cela est vrai, mais cela n’exempte pas celui-ci d’un certain risque de normaliser un type de relation qui peut tourner à l’emprise assez facilement dans la vraie vie.

Sources pour rédiger cet article: interview de Suzanne Lindon par Léa Salamé -youtube- ; seize printemps -wikipedia-; Suzanne Lindon -wikipedia-; Arnaud Valois -wikipedia-; 120 battements par minutes -wikipedia-; Frédéric Pierrot -wikipedia- ; Florence Viala -wikipedia- ; L’Amour sorcier -wikipedia- ; Plan -wikipedia- ; majorité sexuelle -droitfinances-; Seize Printemps+crédit image -IMDB-

Fiche technique:

Réalisatrice: Suzanne Lindon
Scénariste: Suzanne Lindon
Directeur de la photographie: Jérémie Attard
Musique: Vincent Delerm
Costumes : Julia Dunoyer
Durée: 73 minutes
Langues: Français
Année: 16 Juin 2021