Le Wuxia peut espérer renaître sur nos écrans. Sakra en démontre ses qualités et ses limites, en dépit de séquences d’action magistrales et acrobatiques, où Donnie Yen se donne à cœur joie de frapper avec la paume ouverte. Telle est la voie du guerrier.
Si la France commence à déterrer les œuvres d’Alexandre Dumas (Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan), la Chine prévoit un projet tout aussi ambitieux du côté de son romancier de prestige, Jin Yong, plus connu sous le pseudonyme de Louis Cha. Cet auteur nous a quitté fin 2018, mais son esprit hante toutes les pages qu’il a laissées derrière lui, à la fois comme le testament de toute une vie et comme les promesses d’une vie de rédemption, en écho à ses héros.
Il arbore le Wuxia, genre littéraire populaire et largement ancré dans la culture chinoise, où ses héros diffusent l’esprit confucéen à travers leur éloquence et leurs actes. On traduit tout cela par une volonté de surmonter des épreuves chevaleresques, ramenant chaque coup de poignards volants au registre du cape et d’épée qui balise les récits d’aventure en tous genres. Dans le cas de cette énième adaptation des Demi-dieux et semi-démons, Donnie Yen fait le choix de recréer une zone de turbulences pour un homme qui défie ses mentors, ses amis et sa famille entre une guerre de clans et une crise identitaire à digérer.
The Battle Wizard
« N’est-ce pas un plaisir d’étudier et de pratiquer ce que vous avez appris ? » Donnie Yen répond avec mille éclats à Confucius, qui ne s’attendrait pas forcément à une telle stylisation de l’image pour se convaincre. Sakra découle directement de ses prédécesseurs, qui ont déjà posé des bases solides pour une narration toute en voltige. Le film de kung-fu a longtemps souri à Yen, lui donnant ainsi des seconds rôles physiques et qui l’ont mené à camper l’un des maîtres d’une génération en conflit avec divers étrangers dans la saga Ip Man. Son talent martial n’est plus à démontrer, car il l’a gravé dans de gros blockbusters hollywoodiens (Rogue One : A Star Wars Story, Mulan, John Wick 4). Si sa vision n’était pas limpide dans ces œuvres, il n’en reste pas moins clairvoyant quand il s’agit de revenir aux sources d’un cinéma hong-kongais dans la lignée de Tsui Hark (The Blade), d’Ang Lee (Tigre et Dragon) ou encore Wong Kar Wai (The Grandmaster).
Pas besoin de se trémousser trop longtemps, Yen nous lance dans un récit d’aventures épique d’un Qiao Feng adulte, mais qui n’est pas arrivé au bout de sa maturité, un peu comme son interprète, farouche dans l’âme. À la tête d’une meute de mendiants, il semble déjà avoir dépassé ses aînés, autant dans le combat que dans la sagesse. L’accent est évidemment mis sur chaque duel et autres affrontements de masse que le cinéaste peut nous offrir. Les effets spéciaux ont la tâche de rendre crédible chaque coup porté au corps, quitte à en exagérer la chute. Cette belle rencontre du kung-fu au Wuxia permet d’amplifier l’impact des coups, sans oublier un langage visuel qui régale nos pupilles. Les combats sont de loin les séquences les plus stimulantes du film, qui doit alors gérer les transitions et une narration qui se fait rapidement submerger par un paysage surpeuplé de figures à développer, que ce soit pour ce volet ou d’éventuelles suites.
Briser la tasse
Par ailleurs, Confucius souligne qu’apprendre sans la pensée est peine perdue ; que la pensée sans l’apprentissage est périlleuse. Le cinéaste se trouve sur tous les fronts afin d’expérimenter le fardeau d’une telle besogne. Cela ampute une certaine fluidité dans un récit suffisamment tentaculaire pour perdre les six scénaristes et le spectateur par la même occasion. On détourne le revenge movie en une quête initiatique, mais pour un « super-héros » aussi accompli que Qiao Feng, on peut trouver la démarche lassante et à contre-temps de la tragédie qu’il vit. Il peut aussi bien se (faire) poignarder à de multiples reprises, ce ne seront que des cicatrices de plus pour ce dernier, assez convaincu de sa légende avant même qu’il ne la construise.
Il en va de même pour une romance sortie d’un chapeau, alors qu’Azhu (Chen Yuqi) possède tout du personnage romantique. Son visage peut aussi bien percer à jour les quatre vérités de Qiao Feng que de forcer l’accès aux connaissances des érudits. Hélas, ce ne sera ni le sujet ni le moteur d’une évolution psychologique pour le héros, qui se heurte sans cesse à sa bonne conduite, ce qui trahit davantage d’éventuels doutes qui peuvent planer sur lui. Pour les mêmes raisons qui font qu’on reste stoïque la plupart du temps, il est difficile d’évaluer les enjeux géopolitiques chez les différents clans, car une sous-intrigue d’espionnage manque à l’appel. Soit nous avons des bribes de réponses, soit le tout est rajouté de force à la toute fin, à la manière d’une scène post-générique. Cet épisode est donc loin de fonctionner indépendamment de ce qui doit suivre.
Pourtant, on sent une réelle envie d’évasion, d’un cinéma certes codifié et sifflant la plupart du temps les westerns qui inspirent la patine boisée du cadre, mais la volonté de bien faire est là. Si toutes les compétences techniques ont été réunies autour des joutes acrobatiques, on constate qu’il en manque cruellement en matière de dramaturgie, chose qui fait d’un Wuxia une aventure aussi inspirante qu’émouvante. On arrive alors à mi-chemin de ces deux critères sur presque toute la seconde moitié de l’intrigue obsolète. L’envie d’y croire pour les plus optimistes se verra malgré tout écraser par un épilogue qui en dit long sur les difficultés d’adaptation qu’ont rencontrées Donnie Yen et son équipe. Si Sakra ne saura pas convaincre sur la durée, soyez néanmoins rassuré de sa générosité et de la qualité de ses phases les plus mouvementées. Nous sommes sans doute bien loin de révolutionner le genre, mais on peut dorénavant se pencher sur la face cachée d’une œuvre qui aura mis près de deux maladroites heures pour aligner ses arguments.
Bande-annonce : Sakra
Fiche technique : Sakra
Réalisation : Donnie Yen
Scénario : Sheng Lingzhi, Zhu Wei, He Ben, Chen Li, Shen Lejing, Xu Yifan
Photographie : Chi-Ying Chan
Chorégraphie : Kenji Tanigaki, Yan Hua
Montage : Ka-Wing Li
Costumes : Thomas Chong
Production : Wishart Interactive Entertainment
Pays de production : Hong-Kong, Chine
Distribution France : Eurozoom
Durée : 2h10
Genre : Animation
Date de sortie : 10 mai 2023
Synopsis : Royaume de Chine, Xème siècle. Deux clans ennemis s’affrontent : les Song, dynastie royale, et les Khitan, peuple nomade guerrier. Qiao Feng du clan Song est un héros chevaleresque respecté, maître en arts martiaux. Accusé à tort d’avoir tué un chef de son propre clan, Qiao Feng est banni. Pour prouver son innocence, il s’engage dans un long périple, parsemé de combats extraordinaires, entre demi-dieux et semi-démons.