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Nos 10 films de guerre préférés : La Ligne rouge, La Grande Illusion…

Alors que 1917 de Sam Mendes va bientôt débarquer dans nos salles, tout juste après son couronnement aux Golden Globes, la rédaction du Magduciné a choisi ce moment opportun pour donner la liste de ses 10 films de guerre préférés. Bonne lecture.

La ligne rouge de Terrence Malick

La ligne rouge, un film de guerre qui n’en est pas vraiment un, illustré par un casting hors du commun (Jim Caviezel, W. Harrelson, Sean Penn) . Après une pause de 20 ans qui a suivi la sortie des « moissons du ciel », Terrence Malick nous offre une épopée monstrueuse et poétique, une ode à la nature, à la vie et à la mort. Le vent souffle sur les hautes herbes, sur les corps meurtris, dans une valse qui tantôt nous terrifie, tantôt nous transporte. Les plans sont travaillés à la perfection, et nous racontent l’histoire de la bataille de Guadalcanal, que l’armée américaine veut reprendre aux japonais en 1942, sous un angle presque métaphysique et avec une élégance rare pour un film de guerre. Les plans millimétrés sont sublimés par la bande son, qui est devenue une référence dans l’œuvre de Hans Zimmer.

On en oublierait presque la bataille qui fait rage et décime les populations et les âmes, tant l’approche place l’homme face à la nature, face à sa nature. Malick ici nous livre une beauté parfaite mise face à l’horreur de la guerre, mélange d’images idylliques et violentes, formant une danse cosmique qui chamboule tous les repères du spectateur… mais n’est-ce pas finalement ce qu’on attend du cinéma ?

Fred Jadeau

Apocalypse Now de Francis Ford Coppola

Il reste peu de choses à dire sur Apocalypse Now, le cultissime film de Francis Ford Coppola. L’odeur de soufre et de napalm qui l’accompagne imprègne à jamais le cinéma mondial. Le traitement ahurissant de la guerre du Vietnam, la moiteur poisseuse de la jungle, l’inoubliable scène de l’attaque aérienne sur fond de Walkyrie wagnérienne, le grommellement malaisant de Brando dans son rôle du colonel Kurtz, un gradé très peu conventionnel que Willard (Martin Sheen) est chargé d’abattre, tout contribue, scène après scène, séquence après séquence, à faire de Apocalypse Now un des films de guerre les plus puissants. Abordant très peu ou pas du tout le point de vue du Vietnam et des vietnamiens, du moins dans sa version originale (la version Redux apportant quelques scènes supplémentaires contrebalançant cette vision) , ce film très américano-centré n’a pas fini, quarante ans après, de susciter des controverses. Godard n’était pas le dernier à avoir critiqué l’absence de vietnamiens dans le film.

Mais au-delà de tout cela, Apocalypse Now est un formidable film intime où Willard va rencontrer la part maudite de son être. Coppola réussit magnifiquement à orchestrer la rencontre du jeune capitaine avec le colonel Kurtz, comme le rendez-vous inéluctable d’un homme avec son double maléfique. Apocalypse Now, sorti 3 fois en salles, en 1979, en 2001 pour sa version Redux, puis de nouveau en 2019 en final cut définitif, expurgé des apports principaux du Redux, est un film qui ne laisse ni réalisateur , ni acteurs, ni spectateurs indemnes.

Béa Delesalle

La Grande Illusion de Jean Renoir

Comme beaucoup de grands films de guerre, La Grande Illusion de Jean Renoir n’offre aucun combat, aucun antagoniste déclaré, mais se concentre sur une question : que reste-t-il de l’humanité ? mon ennemi l’est-il vraiment ? quelle est ma place dans tout ceci ? Après une évasion rondement menée, c’est à la réalité du terrain que sont confrontés les personnages merveilleusement incarnés par Gabin et Fresnay (sans oublier Stroheim). Les tranchées sont moins celles creusées dans la terre que celle creusée entre deux peuples à la langue différente, mais aux espoirs identiques. L’Allemand et le Français se rencontrent enfin hors des combats, à l’occasion de scènes de vie où un homme et une femme, par la médiation d’un enfant, découvrent leur humanité respective. Et quand les mots ne veulent rien dire, les gestes les plus simples sont encore emplis de sens. La « grande illusion » du titre est celle-ci : croire que son ennemi est différent de soi, le déshumaniser, le haïr, alors que dans de tels contextes, c’est bien l’amour qui semble jaillir du cœur de ces hommes et femmes brisés.

Jules Chambry

Les sentiers de la gloire de Stanley Kubrick

En 1916, Broulard a le boulard. Loin des tranchées, le général châtelain ordonne à un de ses pairs, Mireau, qui use un poil plus ses bottes que lui, la prise d’une position allemande imprenable, la fourmilière. Ils envoient leurs hommes au casse-pipe, ils le savent et puis personne ne veut la prendre de toute façon, pas même un officier humaniste, le colonel Dax, incarné par Kirk Douglas. Il est repoussé, tout comme ses troupes, et visé par la colère du général Mireau, droit sous son paletot, qui ordonne, vengeur, de tirer sur un bout de sa propre armée. L’artillerie refuse d’obéir, mais elle on en a besoin. Alors on va se défouler dans la chair à canon : on veut 100 de ces soldats, exécutés pour l’exemple. Broulard, entre deux manières joue aux magnanimes : un soldat par compagnie, trois en tout seront exécutés. Dax est révolté, lui qui a usé ses poumons sur son sifflet pour lancer l’assaut. Il défend sur l’échiquier les trois malheureux tirés au sort comme on tirait sur l’ennemi, sans trop faire dans le sentiment ni dans l’efficacité. Tant que ça passe…

Francophile, Kirk Douglas porte déjà en 1957 sa légende sur d’autres champs de bataille, de vrais polémiques qu’il faut prendre par la gorge en faisant du cinéma, bien plus profondes que toutes les batailles finales des avengers et les sujets à deux sous de notre temps qui nous rendent vieux cons à trente ans. Interdit de sortie pendant plus de 20 ans en France, pour qui la censure nationale voyait plus ses propres uniformes que le large discours anti-militariste qu’elle aurait dû embrasser, les cinéphiles retournaient en Belgique, un pays tranché de toute part lui aussi pendant la der des ders pour voir ce chef d’œuvre. Des travellings avant, latéraux, monumentaux jusqu’aux plans serrés du procès c’est bien plus qu’un film qui s’est construit sur ce sujet universel : il se clôt sur une chanson, une petite opérette qui tire des larmes aux soldats français quand une jeune allemande chante devant des vieux de la vieille dans sa langue maternelle. On les quitte avant que le colonel Dax ne les rappelle, hésitant à reprendre le sifflet derrière la porte. Ils diront sûrement que c’était une poussière. Pas nous.

Romaric Jouan

Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino

Voyage au bout de l’enfer est un film de guerre atypique dans lequel la partie militaire « sur le terrain », n’occupe qu’une petite partie de l’histoire même si elle reste présente hors-champ dans l’esprit des protagonistes. De fait, ce film magistral signé Michael Cimino, est construit comme un triptyque asymétrique : deux parties situées dans la province ouvrière du nord des États-Unis encadrent une séquence vietnamienne fulgurante.
 Au cours de la première heure du film, le réalisateur prend le temps de poser ses personnages, leur tempérament, leur ancrage social. On s’attache à cette bande de copains aux personnalités disparates qui passent leur temps en beuveries et partie de billards. Mike (Robert de Niro), l’amoureux des grands espaces et chasseur à ses heures perdues, Nick (Chistopher Walken) le beau gosse, Steven (John Savage) le bout-en-train ou Stan (John Cazale) le copain mal dans sa peau. L’immaturité qui préside à leur mode de vie, leur insouciance aussi contraste avec l’enfer qui va cueillir trois d’entre eux envoyés combattre au Vietnam.

Et c’est bien la fin d’un monde qui nous est montré, un monde heureux bien que confronté à la misère sociale, à l’image de ce mariage aussi riche en réjouissances qu’en non-dits et de cette partie de chasse où Mike (Robert de Niro) accompagné de ses potes, est encore celui qui traque et pas encore l’homme capturé, humilié qu’il sera bientôt.
 La dernière partie montre, sous trois formes différentes, les dégâts provoqués par la guerre sur les survivants. Cloué sur un fauteuil, Steven est détruit dans son corps. Nicky, bloqué à Saïgon, n’arrive plus à se sortir d’une pulsion de mort qui le hante. La scène de roulette russe qu’il revit à l’infini est emblématique du film et indéniablement une des plus éprouvantes. Mike quant à lui semble le plus épargné. Mais deux scènes – la scène d’amour avec Meryl Streep et l’ultime scène de chasse – montrent qu’il est en réalité doublement atteint dans son assurance et sa virilité.
 La démonstration de Cimino est implacable : l’Amérique, après cette guerre, ne sera définitivement plus la même. Un film majeur.

Serge Théloma

Underground d’Emir Kusturica

Palme d’or 1995, Underground du réalisateur serbe Emir Kusturica est un film de guerre unique en son genre. Mêlant drame et comédie, horreur de la guerre et comique de situation, le tout avec un anti-héros des plus malicieux, Underground raconte l’histoire d’un opportuniste sauvant des vies des griffes nazies pour mieux asseoir lui-même son propre pouvoir. Marko cache des réfugiés tout au long de la guerre dans une grande cave, mais décide, une fois la guerre finie, de leur faire croire le contraire afin qu’ils continuent de fabriquer des armes depuis leur terrier (qu’ils croient servir à la « résistance ») pour les revendre à prix d’or dans le monde désormais en paix de la surface. De plus en plus riche, il gravira les marches du pouvoir sur le dos de ces réfugiés qui, un jour ou l’autre, décideront de sortir. La situation, burlesque, offre un ton à la fois léger et cynique au film, qui n’en oublie pas de tourner en ridicule les manigances des puissants et les affres de la guerre sur la psychologie humaine. En 2h45, Kusturica joue avec le spectateur comme avec ses personnages non sans maestria, jusqu’à un final en hommage au cinéma, où le réel éclate au milieu de la fiction et où la propagande se fait littéralement meurtrière.

Jules Chambry

Full Metal Jacket de Stanley Kubrick

Avant-dernier film du géant américain, Full Metal Jacket reste aujourd’hui un film incontournable qui s’inscrit dans la droite lignée des films de guerre mêlant la folie des hommes à une réflexion profonde sur les conflits armés. Scindé en deux parties bien distinctes, le film nous plonge d’abord dans la frénésie des camps d’entrainement. On y découvre, à travers un sens millimétré de la répétition, l’aliénation par la rigidité, l’ordre et l’humiliation. Ce camp permet à Kubrick d’installer le point de départ de son travail sur la dualité de l’homme, celui d’un cheminement vers l’horreur, concrétisé par cette deuxième partie d’une beauté sidérante. 

Plasticien hors-pair, Kubrick donne un grand souffle poétique et documentaire à cette âpre épopée. Son esthétique très affûtée, flirte fréquemment avec un réalisme glacial, et au service d’une vision sombre de l’humanité. Le travail démentiel de Kubrick sur le cadre et la profondeur de champ, permet de saisir à vif l’environnement hostile et l’atmosphère oppressante qui pèsent sur les protagonistes. « Born to kill » & « Peace and love » : deux facettes schizophrènes pour un film désespéré et profondément culte. 

Jonathan Rodriguez

 

Quand passent les cigognes de Mikhaïl Kalatozov

Palme d’or 1958, Quand passent les cigognes est non seulement le film qui va consacrer Mikhaïl Kalatozov mais aussi l’un des représentants du cinéma soviétique de l’ère Khrouchtchev, marqué par une volonté d’ouverture (limitée, bien entendu). Le film raconte comment la Grande Guerre Patriotique (la guerre de 41-45) va séparer deux amants, Veronika et Boris. La réalisation de Kalatozov, d’une inventivité et d’une qualité technique rares, ne cherche pas tant à raconter une histoire qu’à faire partager les sentiments des deux personnages. Ainsi, dans cette guerre, ce ne sont pas les combats qui compteront, mais l’amour de Boris pour Veronika. Les scènes avec la jeune femme permettent, quant à elles, de montrer comment la vie à l’arrière est troublée par le conflit. Loin des images propagandaires habituelles, ce film humaniste privilégie les émotions, dresse un portrait sombre de la vie civile pendant la guerre (avec les planqués qui ont réussi à obtenir une dispense, par exemple) et nous offre des scènes d’une inoubliable beauté.

Hervé Aubert

L’Enfance d’Ivan d’Andrei Tarkovski

Andrei Tarkovski démontre qu’il est un incroyable portraitiste, un peintre qui magnifie le contour des visages pour forger avec vigueur toute la teneur des expressions. Mais qui dit temps de guerre, dit environnement hostile. Et afin de parfaire sa construction, Andrei Tarkovski dévoile sa plus grande qualité : celle d’esthète, d’un maitre qui n’a pas son pareil pour hypnotiser son auditoire par la désolation de ses paysages, le désœuvrement de ses plaines sèches de tout espoir.

Prenant alors les allures d’un conte morbide, L’enfance d’Ivan garde une droiture, une rugosité dans l’émotion qui oblige le film, de lui-même, à garder une certaine distance avec son sujet. D’où la frontière assez paradoxale entre émerveillement et distance indifférente. Mais c’est sans compter sur la fin du film, qui offre une magie de mise en scène de cette dichotomie entre les images qui suintent la mort des captifs sans la montrer et les voix de tortionnaires. Mais pouvait-il en être autrement ?

L’enfance d’Ivan : le titre est presque illusoire tant Ivan marche sur les rotules dans sa quête. Et cette écriture, qui enlève toute trace de voilure puérile autour de son personnage, est le premier tour de force émotionnel du réalisateur : celle de dessiner un enfant qui n’en est plus réellement un, un singe savant, un monstre qui n’a pas encore exorcisé ses plaies.

Sébastien Guilhermet

Tu ne tueras point de Mel Gibson

Il y a dans Tu ne tueras point, une guerre qui n’aura que rarement été filmée comme cela. D’abord une pure barbarie. Les corps tombent, se retrouvent transpercés ou cramés. Le sang gicle. Le terrain est bombardé. Les âmes vivantes périssent en une seconde après l’éclat d’une balle. On est dans une approche explicite de la violente, souvent propre aux films de guerre. Mais ici la démesure ne sert qu’à renforcer le message. Il y a une violence que même les plus patriotes ne souhaitent pas pratiquer. Des cadavres, du sang, des hurlements qui ne mènent à rien si ce n’est à perdre l’once d’humanité qu’il nous reste dans de telles crises. Tu ne tueras point conte d’abord la mort de l’Homme avec un grand H. Car quand les êtres se déchirent à ce point, l’Homme est déjà mort. Mais non satisfait de dresser un constat négatif sur l’intervention des américains dans la Seconde Guerre mondiale, Gibson prend le prisme de Desmond Doss. Un héros qui marquera avec héroïsme sans jamais se prêter aux faits d’armes, si chers à être glorifiés dans les films de guerre américains. C’est finalement une citation de l’épisode de Star Wars 8 qui nous éclaircit sur le cœur de Tu ne tueras point. On ne va pas gagner cette guerre en combattant ceux que l’on déteste mais en sauvant ceux qu’on aime.

Roberto Garçon