Les Moissons du Ciel est le deuxième film du cinéaste américain Terrence Malick et devint l’une des pierres angulaires de son œuvre. Le film contient toutes les obsessions du réalisateur, son amour pour une vision du cinéma iconoclaste qui ne cesse de vouloir trouver la grâce dans les prémisses de l’horizon de vastes plaines et son idée que l’état de nature est suivi de la culture matérialiste de l’humain.
Dans une Amérique qui voit son visage changer de reflet, entre cette nature apaisante et la mécanisation du travail des moissons, cette beauté du monde comme origine de tout qui finit par être éclaboussée par le sang de nos marasmes : c’est le miroir d’un pays qu’on découvre les yeux ébahis. Avant que Terrence Malick ne radicalise sa manière de filmer, fasse fi de contrainte, et donne matière à l’abstraction de sa caméra omnisciente, dans The Tree of Life ou Knight of Cups, le cinéaste trouvait un doux équilibre entre le classicisme de sa réalisation et la poésie singulière et inoubliable de son cadre.
Dans sa retranscription même de la nature, il y a quelque chose d’apaisant, de voir une caméra se fondre dans son décor, et de ne faire qu’un avec un environnement qui ressemble à un fébrile jardin d’Eden: un paradis qui ne pourra empêcher l’humain de se déchirer. Mais alors que cette nature, ces plaines tranquilles qui voient sur elles tomber le vent et faire siffler des champs de blés qui s’étendent à foison, va voir éclore les ambitions d’âmes en peine et des amours contrariés. A l’image de cette bande originale incroyable d’Ennio Morricone, Terrence Malick n’est pas qu’un simple documentariste: son objectif n’est pas de filmer pour décrire, mais au contraire, pour faire ressentir. Comme dans son premier film, La Balade Sauvage, dans un monde mouvant et destructeur, il est question d’amour et de liberté. L’amour a-t-il sa place dans ce monde aliénant et individualiste où le quotidien des uns et des autres devient de plus en plus morne et solitaire ? Alors quand on trouve l’être aimé, l’être dans lequel on arrive à se regarder avec délectation, on a du mal à résister et à laisser s’échapper cette seule chance de liberté et de passion.
Derrière ce mélodrame, se cache un film lyrique et mélancolique qui épouse les émotions de l’histoire plutôt que ses moments clés. Les Moissons du Ciel est un grand film sur les choix, le sacrifice, sur les questionnements existentiels et notre position entre le bien et le mal. Un jeune couple va essayer d’avoir les faveurs d’un riche propriétaire, ce dernier étant atteint d’une maladie qui l’approche inéluctablement d’une mort certaine. Pendant que les uns veulent sortir de la misère et écrire une page de leur histoire dans la douceur du confort, les autres veulent s’extraire de leur solitude, trouver une raison de ne pas dépérir seul et de voir leurs efforts réduits à néant. Les Moissons du Ciel est une grande fresque du cinéma, avec son attirail biblique, un western sans les armes, le genre de film rare, qui voit naître en lui une élégance magistrale: cette beauté incandescente du cadre qui marie avec perfection son ambivalence entre des panoramiques sur un paysage en mutation et des cadres plus resserrés sur des visages balbutiants.
Terrence Malick est un magnifique portraitiste, aussi naturaliste qu’expressionniste: il dessine autant les traits sinueux d’une nature maître de son enclos que ceux d’une humanité en friche, c’est un cinéaste qui aime décrypter le monde, son origine: le corps est un organisme qui ne fait qu’un avec son environnement où l’infiniment petit et l’infiniment grand se rencontrent autant qu’ils se détruisent. Cette beauté, cette naïveté naturaliste, cette limite entre l’enfer et le paradis, ce regard sur la bonté de chacun et sur des destins brisés, font que Les Moissons du Ciel restent une œuvre d’un rare pessimisme où les rivières conduisent les espoirs vers le néant.
Bande Annonce – Les Moissons du Ciel
Synopsis: En 1916, Bill, ouvrier dans une fonderie, sa petite amie Abby et sa sœur Linda quittent Chicago pour faire les moissons au Texas. Voyant là l’opportunité de sortir de la misère, Bill pousse Abby à céder aux avances d’un riche fermier, qu’ils savent atteint d’une maladie incurable…
Fiche Technique – Les Moissons du Ciel
Réalisation : Terrence Malick
Scénario : Terrence Malick
Interprétation : Richard Gere, Brooke Adams, Sam Shepard
Musique : Ennio Morricone
Photographie : Nestor Almendros
Décors : Robert Gould
Montage : Billy Weber
Sociétés de distribution : Solaris Distribution
Durée : 1h35 minutes
Genre : Drame
Dates de sortie : 1er janvier 1979