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Sailor et Lula de David Lynch : Critique du film

C. A. Fondateur

Adapté du roman de Barry Gifford Wild at heart: the story of Sailor and Lula, le film nous conte la virée sombre et violente d’un jeune couple passionné, Sailor Ripley et Lula Fortune, vivant d’amour et d’eau fraîche et fuyant un monde tordu et hostile, à travers les routes américaines du désert jusqu’à la Nouvelle Orléans. L’amour triomphera-t-il du mal ?

Cavale rock n’roll au royaume du magicien d’Oz

Dès l’ouverture du film sous forme d’un passage à tabac et de cervelle éclatée contre le mur, Lynch donne le ton. Cette histoire d’amour fou et pur entre le bad-boy au cœur tendre interprété par un Nicolas Cage inspiré, un cœur sauvage, fan de Lewis et à l’inoubliable veste en peau de serpent, et la copine sensuelle et souvent dévêtue, à la fois pleine de tourments et de grandeurs, campée par la sublime Laura Dern, ne sera pas une romance douce et tranquille, mais se déroulera, comme souvent chez le réalisateur, dans une Amérique de névrosés et de tarés en tout genre, hypersexuels et fascinés par la mort. Malgré un pitch simple, Lynch à travers cette romance  aux résonances shakespeariennes revisite à sa sauce le monde du Magicien d’Oz de Fleming. Sailor et Lula marchent inconsciemment sur la route aux briques jaunes tout en rencontrant les différentes créatures du Pays d’Oz. Et elles ne sont pas gentilles, loin s’en faut !

Le chemin risque d’être long et périlleux avant de passer de l’autre côté de l’arc-en-ciel. Nous avons entre autres la méchante belle-mère complètement schizophrène, obsessionnelle, et meurtrière, interprétée ou plutôt surjouée, par Diane Ladd, la sorcière qui veut la peau de Sailor, et qui lors de ses moments de crise, se barbouille le visage de rouge. Nous croisons une Isabella Rossellini magnifique et inquiétante.

Mais la palme du personnage déjanté revient sans contestation possible à Willem Dafoe, qui campe un Bobby Peru, vicieux et complètement allumé, un tueur psychopathe (assez éloigné néanmoins de Frank Booth, le psychopathe de Blue Velvet), comme en témoigne la scène mythique où il susurre des « Fuck me » aux oreilles de Lula. Heureusement, il y aura la bonne fée à la fin emblématique du film…

L’univers du conte est ainsi très distinctement identifiable (mains et ongles crochus sur boule de cristal, Marietta en cruelle reine de Blanche-Neige, bonne fée en deus ex machina etc…) et contraste avec cette débauche de violence et cette galerie de personnages tous aussi atypiques et macabres.

Sailor et Lula est un film romantique et surréaliste, qui nous conte la fuite explosive et torride de Sailor et Lula au sein d’un monde tordu et cruel. Une sorte de Roméo et Juliette trash, un road-movie qui constitue une fuite désespérée vers le bonheur et la liberté. A cela s’ajoute une réalisation totalement lynchienne qui propose une mise en scène de toute beauté et forcément complexe, sauvage, sombre, et onirique, avec ses délires visuels, ses nuances de couleur (on retrouve le rouge et le bleu), ses très gros plans sur les allumettes, la cigarette consumée, l’obsession du feu, et son montage énergique intelligent. Enfin, on ne peut ignorer une nouvelle fois une bo décapante et éclectique, faisant cohabiter un air romantique de Richard Strauss aux riffs endiablés de heavy métal de Powermad, « Wicked Game » de Chris Isaac sur la route du désert et le chant doux et passionné de Sailor « Love me Tender« . La composition d’Angelo Badalamenti, le compositeur fétiche du réalisateur, est comme toujours un véritable régal sonore.

Sailor et Lula est une œuvre incroyablement poétique et naïvement romantique, une love story sensuelle, qui remporta d’ailleurs la Palme d’or au 43ème festival de Cannes, un Lynch tout à fait acceptable, où la patte du réalisateur est bien visible. Lynch en explorant pour la première fois l’univers de la romance, a su mélanger les genres, du film policier, du thriller, à la romance amoureuse, du drame psychologique au road-movie traversé de pointes d’humour noir.

Mais voilà, un Lynch compréhensible est-ce compréhensible ? Le réalisateur se serait-il assagi depuis Blue Velvet ? Aurait-il cédé à la tentation du film commercial grand public et plus rationnel? Si ce film est un des plus accessibles de la filmographie de l’auteur, on est encore loin de l’onirisme surréaliste de Lost Highway ou de Mulholland Drive. Les amateurs de Lynch peuvent être légèrement déçus par cette romance endiablée, mais trop sage, qui n’atteint pas la hauteur de True Romance de Tony Scott ou encore de Tueurs nés d’Oliver Stone, (plus tard il est vrai), et qui traîne un peu en longueur dans la seconde heure du film. Ils savent que Lynch a fait mieux et fera bien mieux encore dans son approche expérimentale et psychédélique. Ils ressentent déjà les prémisses de Twin Peaks au niveau de l’ambiance et de la bande-son. Sailor et Lula est un beau film mais inégal, qui constitue néanmoins une porte d’entrée idéale dans la filmographie de l’auteur. A voir ou revoir en VO absolument. 

Synopsis : Sailor et Lula, deux jeunes amoureux, fuient Marietta, la mère de la jeune fille qui s’oppose à leur amour. Elle envoie une série de personnages dangereux et mystérieux à leur poursuite. L’amour peut-il triompher de toute cette violence ? 

Sailor et Lula : Bande-annonce VOST

Fiche Technique : Sailor et Lula

Titre américain : Wild at Heart
Réalisation: David Lynch
Scénario: David Lynch d’après Barry Gifford
Distribution: Nicolas Cage, Laura Dern, Willem Dafoe, Crispin Glover,Harry Dean Stanton, Isabella Rossellini, Diane Ladd
Date de sortie : 24 octobre 1990
Genre : Comédie dramatique
Durée : 2h7min
Directeur de la photographie: Frederick Elmes
Compositeur: Angelo Badalamenti
Monteur: Duwayne Dunham
Production: Steve Golin, Sigurjon Sighvatsson, Monty Montgomery
Distributeur (France): Mission