Connu pour avoir scénarisé plusieurs scénarios de Scorsese (Taxi Driver, Raging Bull, La Dernière Tentation du Christ), Paul Schrader retrouve enfin le chemin de la Croisette. À peine sorti de sa trilogie de la rédemption (First Reformed, The Card Counter, Master Gardener), le cinéaste se penche à présent sur la mélancolie d’un vieil homme sur son lit de mort dans Oh, Canada. Ses confidences sont ainsi étalées dans une ultime interview, celle qui défait les vérités et les mensonges racontés.
Synopsis : Un célèbre documentariste canadien, Leonard Fife, accorde une ultime interview à l’un de ses anciens élèves, pour dire enfin toute la vérité sur ce qu’a été sa vie. Une confession filmée sous les yeux de sa dernière épouse…
Dans les premières minutes, nous découvrons un ancien élève (Michael Imperioli) de Fife préparer religieusement le décor de cette rencontre, tout en cherchant le bon étalonnage pour que les lumières des projecteurs mettent en joue un documentariste engagé de renom. Si le cadre semble cosy à première vue, Leonard a bien la conviction qu’il s’agit de sa dernière chance de se confesser. Les caprices sont monnaie courante dans les instants critiques. La phase terminale cancéreuse que le documentariste affronte le pousse ainsi à délivrer tous les secrets, imprégnés de culpabilité.
L’interview de la mort
Tout un pan de l’histoire de Leonard est un amalgame de récits entrelacés et réfutés par ses proches, notamment sa femme Emma (Uma Thurman). Si elle semble incarner l’image de son âme sœur depuis toujours, la trajectoire de Leonard est pourtant jonchée d’incertitudes. Détient-il seulement la vérité de son parcours ? Est-il prêt à faire la paix avec les mensonges qu’il a construits tout ce temps ? Quelle que soit sa réponse, il était au moins certain que son lien étroit avec le Canada facilite la communion avec les fantômes de son passé.
Dans cette intrigue au ton solennel, et structurée en flashback, Richard Gere et Jacob Elordi se partagent le premier rôle en fonction de l’époque. Le cinéaste se permet toutefois des tentatives audacieuses en effaçant les frontières temporelles. Cela ne dure malheureusement que le temps de quelques plans d’une réelle tendresse, avant que tout s’effondre dans le labyrinthe mental dans lequel le spectateur est amené à traverser. Loin d’avoir opté pour les transitions vertigineuses que Florian Zeller a choisies pour mettre en scène son The Father, le cinéaste américain préfère des coupes nettes au montage. Techniquement séduisant et irréprochable, en jouant avec le format de l’image, le type de caméra, la palette de couleurs, Schrader capte peu à peu les dilemmes cornéliens de Leonard, dont cette profonde lâcheté qu’il a tu au recensement militaire à la fin des années 60. Avant cela, nous découvrons un père de famille à la dérive et rapidement arraché à son Massachusetts natal. Ses seules envies sont de fuir ses échecs et de retenter sa chance plus loin dans le nord.
Les derniers jours d’un condamné
Si Leonard Fife n’est pas le héros de sa propre histoire, il devient un personnage de fiction par défaut. En hommage à l’auteur du roman d’origine, Russell Banks, décédé l’an passé, Schrader met le doigt sur la nostalgie d’une époque où l’on pouvait purger toutes ses peines et ses regrets d’un coup de volant. En regardant dans son rétroviseur, il se remémore et n’a de cesse de réécrire son passé au fur et à mesure qu’il entre en contradiction avec la figure angélique qu’on se fait de lui. Dommage que cette vision soit assez incompatible avec le portrait de carrière du cinéaste, bien qu’il reconnaisse l’existence de chemins de traverse.
Nous sommes toutefois assez loin de frôler la mort cérébrale dans Oh, Canada, une fable lacrymale qui lance Paul Schrader sur la route de la démence. Il sera de la responsabilité des spectateurs de recoller les morceaux d’une vie confuse, mais bien servie par l’interprétation de ses comédiens. S’il n’y a pas l’ombre d’une Palme d’or de ce côté, le jury ne sera sans doute pas insensible à cette œuvre singulière et à double tranchant.
Oh, Canada est présenté en Compétition au Festival de Cannes 2024.
Fiche technique
Réalisé par : Paul SCHRADER
Année de production : 2024
Pays : États-Unis
Durée : 1h35