Les débuts de Viggo Mortensen à la réalisation ont été marqués par la pandémie, ce qui a conduit, en 2021, à la sortie tardive de sa chronique douce-amère Falling. En 2024, l’américano-danois convoque une nouvelle fois le souvenir de sa mère dans un western épuré et mystique. Jusqu’au bout du monde sillonne les grands classiques de l’Ouest, ici berceau des maux des États-Unis, du fascisme au suprématisme jusqu’à l’exploitation de la terre. Il en émane un classicisme intemporel, sublimé par le regard féminin, pacifiste et affranchi de Vicky Krieps.
Synopsis : L’Ouest américain, dans les années 1860. Après avoir fait la rencontre de Holger Olsen (Viggo Mortensen), immigré d’origine danoise, Vivienne Le Coudy (Vicky Krieps), jeune femme résolument indépendante, accepte de le suivre dans le Nevada, pour vivre avec lui. Mais lorsque la guerre de Sécession éclate, Olsen décide de s’engager et Vivienne se retrouve seule.
Jusqu’au bout du lyrisme
Pour ses premiers pas en tant que réalisateur, Viggo Mortensen s’était montré prometteur. Falling revisitait le genre très théâtral du mélodrame, s’appuyant sur différentes temporalités et des thèmes intimes et florissants. Et bien qu’on lui ait reproché l’excès typique du premier film, le comédien s’était révélé être un excellent directeur d’acteurs. Aussi, il a offert à Lance Henriksen (l’androïde Bishop de Aliens) un grand rôle, lui qui avait longtemps été relégué à un cinéma de seconde zone. Pour sa nouvelle excursion derrière la caméra, Viggo Mortensen renouvelle sa signature atypique et confirme avec délicatesse son statut d’auteur.
Dans Jusqu’au bout du monde, l’acteur iconique et artiste protéiforme se consacre de nouveau à la question de l’unité temporelle. Contrairement à son récit mémoriel Falling, qui souffrait de répétitions et d’un dispositif parfois rigide, Mortensen conduit ici savamment son mécanisme temporel. Grâce à un découpage somptueux, les différentes temporalités sont instinctives et se corrèlent subtilement. En tandem avec son directeur de la photographie, Marcel Zyskind, Mortensen crée une mise en scène opératique discrète, et y fait surgir la poésie par une véritable attention aux détails et aux parallèles. C’est le cas d’une tombe au présent : autrefois un simple trou creusé, où se jettent les amoureux transis, puis transformé en un parterre de fleurs en plein désert, reflétant ainsi le caractère vivace et intarissable de Vivienne Le Coudy. Interprétée par la renversante Vicky Krieps, l’actrice germano-luxembourgeoise signe ici son meilleur rôle depuis l’envoûtant Phantom Thread.
Les morts ne souffrent pas
S’ouvrant sur un chevalier subliminal tiré des comptines de sa mère et les tonalités singulières de sa bande originale, Mortensen revisite les mythes dans un western à la fois intemporel et mémoriel. Sans concessions, le film expose la violence inhérente à la Jeune Amérique (et bien au-delà). Il dépeint avant tout sa justice corrompue et l’intolérance prévalant à l’aube de la guerre civile. En réalité, des communautés asiatiques oubliées au pianiste mexicain molesté pour une mélodie unioniste, jusqu’au viol de sa personnage principale, The Dead Don’t Hurt (de son titre original) confronte sans équivoque les zones d’ombre de cette jeune nation et le traitement réservé aux immigrants.
Par la même, Viggo Mortensen célèbre une résistance pacifique en sublimant ces contrées sauvages. Des paysages filmés dans de majestueux décors naturels de l’Ontario à la Colombie-Britannique, en passant par Durango au Mexique. Dans cette œuvre paisible, la réponse à la violence ne réside pas dans la vengeance propre au genre, mais dans la puissance du langage. Surtout, le véritable tour de force de ce western romantique réside dans ce choix de mettre en lumière son personnage féminin, sa vision et ses ripostes, se séparant temporairement du charismatique cow-boy scandinave interprété par le cinéaste.
À la fin, Jusqu’au bout du monde demeure, avec ses motifs, sa candeur solennelle face à la brutalité et sa croyance intimement pacifique, magnifié par deux acteurs au sommet et à l’alchimie rare.
Bande-annonce – Jusqu’au bout du monde
Fiche Technique : Jusqu’au bout du monde
Réalisation : Viggo Mortensen
Scénario : Viggo Mortensen
Production : Viggo Mortensen, Regina Solórzano et Jeremy Thomas
Musique originale : Viggo Mortensen
Distribution : Metropolitan Filmexport
Mexique – Canada – Danemark – 2024 – 129 mns
Avec Viggo Mortensen, Vicky Krieps et Solly McLeod
Sortie le 1er mai 2024