Phantom Thread, drame intimiste étonnant aux accents hitchcockiens, expose la relation tumultueuse et passionnée entre un haut couturier londonien perfectionniste, M. Woodcock, et une jeune serveuse, devenue mannequin, au tempérament venimeux. Pour son dernier film, où la fusion amoureuse s’opère par un jeu pervers de pouvoir et de manipulation, Daniel Day-Lewis livre une nouvelle performance magistrale.
L’annonce de la fin de carrière du prodigieux acteur Daniel Day-Lewis, oscarisé à trois reprises, suscite bien des regrets dans le monde du cinéma. On ne pouvait cependant espérer de plus beaux adieux de la part de cet artiste exceptionnel, taillé presque sur mesure pour le rôle de Reynolds Woodcock. Phantom Thread est sa seconde collaboration avec le réalisateur Paul Thomas Anderson, après l’inoubliable et sanglant There Will be Blood.
Habitué à incarner des hommes torturés, Daniel Day-Lewis s’est toujours impliqué corps et âme dans ses interprétations, en se préparant pendant de longs mois et en vivant même à l’image de celui qu’il doit incarner. Ainsi, sur le tournage de My Left Foot, il refusait de quitter le fauteuil roulant de son protagoniste. Sur celui de Lincoln, il demandait à chacun de l’appeler « Président ». Pour Phantom Thread, il s’est imprégné de l’existence de grands couturiers d’époque, a appris à coudre et à reproduire des modèles. C’est précisément cette méthode d’identification totale à ces personnages, sans aucune prise de recul, qui rend l’acteur si impressionnant, tout en l’atteignant également personnellement.
Bien que Daniel Day-Lewis envisage à l’avenir de se consacrer à la production et à la réalisation, cette très probable dernière occasion de l’admirer sur grand écran donne une dimension supplémentaire à Phantom Thread. Toujours phénoménal, l’acteur britannique reste un des favoris dans la course aux Oscars 2018. Verdict le 4 mars.
Avec Phantom Thread, son huitième film, Paul Thomas Anderson quitte les États-Unis pour le Londres des années 1950. Il s’inspire de la vie du couturier Cristobal Balenciaga, obsédé par son propre travail, en y ajoutant l’idée d’une romance complexe et venimeuse avec une muse bien mystérieuse.
Toute l’organisation de la maison et du travail de M. Woodcock fonctionne comme une pendule réglée à la seconde près. Reynolds, le créateur, dessine les modèles de vêtements féminins et supervise les défilés. Ses habitudes, qui doivent être scrupuleusement respectées, font de lui un véritable maniaque, parfois proche du dictateur. Éternel célibataire, il n’entretient que de courtes relations avec des jeunes femmes recrutées temporairement en qualité de mannequin. Sa grande sœur, Cyril, se charge de l’organisation matérielle et financière, ainsi que du personnel. Enfin, l’équipe de couturières travaille jour et nuit pour réaliser dans les délais les œuvres de Woodcock.
L’arrivée d’Alma, une jeune serveuse rencontrée par hasard, va progressivement bouleverser les innombrables routines quotidiennes bien rodées du grand couturier. Frontalement projetée dans un monde totalement inconnu, elle est bien décidée à le façonner par elle-même plutôt qu’à s’y soumettre. De la cuisson des asperges, scène mémorable du film, aux soirées surprises, en passant par le niveau sonore du petit déjeuner, la vie de Woodcock se transforme à un point tel qu’il ne la reconnaît plus. La muse, source d’inspiration et de création, s’impose paradoxalement comme une cause de destruction de l’univers de l’artiste.
Loin d’être une simple admiratrice, elle n’hésite pas non plus à remettre en question les choix artistiques de son compagnon, à le provoquer en cassant ses habitudes, et à le rappeler à l’ordre lorsqu’il ne lui porte pas assez d’attentions.
La ressemblance d’Alma avec la célèbre Rebecca d’Alfred Hitchcock est indéniable, qu’il s’agisse de son entrée soudaine dans la haute société, de son désir de diriger la Maison malgré la présence d’une ennemie potentielle, la sœur de Reynolds, ou de l’idée d’une surprise qu’elle veut faire à son amant avec la complicité de Cyril. Cette dernière, intrigante et proche d’une Mrs. Danvers, se confronte à Alma pour préserver sa propre influence sur le couturier.
Ce lien avec Hitchcock est renforcé par une atmosphère de huis clos à suspense. Alma et Reynolds ont chacun l’art de parfaitement cacher leur jeu. L’ancienne serveuse, complexée par son physique imposant, semblant innocente et fragile, se révèle somptueuse dans les robes du couturier et bien plus forte et intelligente qu’on aurait pu l’imaginer. A l’inverse, M. Woodcock, cherchant constamment à prouver aux autres sa puissance et sa résistance, n’échappe pas à de nombreuses faiblesses physiques comme mentales.
Toutefois, Phantom Thread reste le récit d’une passion, tantôt néfaste, tantôt bénéfique aux personnages. Le couple s’aime infiniment, mais à sa manière particulière, perverse, voire sadomasochiste. A force d’admiration comme de confrontation, deux individus de milieux et de tempéraments totalement différents, luttant pour s’imposer réciproquement, se retrouvent dans une position d’égalité et d’union parfaites. Chacun accepte de devenir la créature de l’autre : Alma en servant de modèle, à l’instar d’une véritable poupée à détailler et à habiller, Reynolds en acceptant de se retrouver à la seule merci d’une compagne aux petits soins. C’est donc par l’abandon total de soi, à la dépendance complète de l’autre, au risque de se perdre, que la fusion amoureuse s’opère.
De façon surprenante, l’humour parvient aussi à se frayer un chemin dans le récit, pourtant profondément dramatique. Les névroses de Woodcock, les provocations outrancières d’Alma et le fonctionnement même du couple, détonnant et radical, instaurent une pointe de comique aussi subtile que savoureuse.
Au delà de son intrigue amoureuse, Phantom Thread ne néglige pas l’univers de la haute couture et présente des costumes somptueux. Les créations de Mark Bridges, qui a déjà travaillé sur les autres films de Paul Thomas Anderson et sur The Artist, permettent parfaitement de s’imprégner du style et de la mode de cette époque. Par ailleurs, la musique de Jonny Greenwood, également nommé aux oscars, participe beaucoup à l’atmosphère froide et cloisonnée de l’histoire.
Grâce à Phantom Thread, Paul Thomas Anderson enrichit son œuvre d’un film original et ambitieux sur la passion, au traitement innovant et à la mise en scène toujours impeccable. Sa dissection méthodique d’un amour vénéneux constate que si les sentiments nous font tous souffrir, l’amour demeure le seul mets empoisonné qui se consomme sans modération.
Phantom Thread – Bande annonce
Phantom Thread – Fiche technique
Réalisateur : Paul Thomas Anderson
Scénario : Paul Thomas Anderson
Interprétation : Daniel Day-Lewis (Reynolds Woodcock), Vicky Krieps (Alma), Lesley Manville (Cyril), Camilla Rutherford (Johanna), Brian Gleeson (Dr. Hardy)
Musique : Jonny Greenwood
Photographie : Paul Thomas Anderson
Montage : Dylan Tichenor
Costumes : Mark Bridges
Producteurs : Daniel Lupi, Megan Ellison, Paul Thomas Anderson, Joanne Sellar
Maisons de production : Annapurna Pictures, Focus Features, Perfect World Pictures
Distribution (France) : Universal Pictures International France
Récompenses : 2 nominations aux Golden Globes 2018 (meilleur acteur dans un film dramatique, meilleure musique), 6 nominations aux Oscars 2018 (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleure actrice dans un second rôle, meilleurs costumes, meilleure musique)
Budget : $ 35 000 000
Durée : 130 min
Genre : Drame
Date de sortie (France) : 14 février 2018
États-Unis – 2017