Due à la dessinatrice Suisse Lidia Mathez, cette BD est celle qu’elle a conçue pour obtenir son diplôme au Centre d’Études professionnelles de Vevey. Un petit roman graphique, son premier, à placer entre de nombreuses mains, tant son message explicite et bien amené peut servir de déclic salvateur pour un nombre non négligeable de jeunes qui ne comprennent pas leur mal-être.
Visiblement la dessinatrice met en scène sa propre expérience pour apporter aux autres des éléments qui peuvent leur permettre de s’en sortir également. Effectivement, son témoignage est édifiant. Lidia se représente à l’âge de dix-huit ans. De son entourage, nous verrons sa meilleure amie Leslie, son copain Antony et sa mère. Sa vie de famille n’est évoquée que tardivement, en particulier car, ayant atteint sa majorité, elle se sent relativement autonome, au point d’envisager avec sa meilleure amie, une sortie en boîte. Mais, elle n’arrive pas à se défaire de cauchemars récurrents. En boîte de nuit, son malaise personnel ressort également quand, soudain isolée, elle vit très mal les tentatives de rapprochement physique des hommes qui l’entourent. D’ailleurs, on sent qu’avec son copain, c’est un peu la même chose : elle le voit régulièrement, ils échangent des textos, se tiennent par la main, mais elle retarde le moment de passer à l’étape supérieure qui passe par l’intimité physique. Et sa copine Leslie ne peut pas spécialement l’aider car son seul copain remonte à lorsqu’ils étaient… en primaire. Le souci, c’est que Lidia ne comprend pas ce qui la bloque. Ses sensations désagréables passent également par des moments lorsqu’elle s’endort la nuit, et qu’elle éprouve une sensation de chute sans fin. Lorsqu’elle se réveille, elle explique « Je ne comprends pas où je suis, mais je sens des regards se poser sur moi. Je suis paralysée. Je ne peux pas respirer. Je ne peux pas fermer les yeux ni me couvrir le visage. Quand enfin j’arrive à fermer les yeux et que je les rouvre, ils ne sont plus là. »
Le malaise : identification et traitement
On sent un peu venir le type de problème rencontré par Lidia, mais peu importe car son objectif est surtout de faire sentir, au travers son expérience personnelle, que des traumatismes peuvent être refoulés, ce qui ne les empêche pas de faire leur effet, insidieusement. C’est par un vrai travail sur elle-même et en recherchant des témoignages, que Lidia finit par comprendre d’où vient son malaise. Et c’est là où je suis un peu réticent, car elle présente cela comme possible sans aide extérieure, ce qui n’est certainement pas une règle commune, bien des cas nécessitant le recours à un psy, un professionnel qui sent vraiment le malaise et ne cherche ni à le comprendre d’emblée ni à l’évacuer sans autre forme de procès. Cela passe par un vrai travail d’investigation, du dialogue et du temps pour enfin parvenir à la prise de conscience. Ce que la BD fait comprendre à juste titre, c’est que la prise de conscience de l’origine du mal-être ne l’efface pas pour autant. Mais, prendre conscience de ce qui s’est passé permet de mieux vivre avec des mauvais souvenirs (la remontée à la conscience est un travail douloureux et pénible, d’où la nécessité d’un accompagnement dans la plupart des cas). Cela passe à mon avis par l’évacuation de la notion de culpabilité. En effet, et Lidia Mathez le met bien en évidence, ce qu’elle a subi n’est pas de sa faute. Elle était trop jeune et vulnérable, aussi bien physiquement que psychologiquement, pour trouver un quelconque moyen de se défendre, se protéger.
Une BD de qualité
Graphiquement, cette BD est une très bonne surprise, avec une belle maîtrise narrative et un sens de la mise en scène déjà très affirmé qui passe par la variété toujours judicieuse de taiile et forme des vignettes. La dessinatrice affiche un style très élégant et bien léché, parfaitement mis en valeur par un noir et blanc de qualité agrémenté par quelques nuances de rose, touche typiquement féminine qu’elle assume parfaitement et qui atténue l’aspect anxiogène de ce qu’elle raconte. On sent que Lidia Mathez cherche à dédramatiser son histoire pour faire sentir à son lectorat que ce par quoi elle est passée pour s’en sortir est accessible à d’autres. On sent que son art l’a aidée et qu’elle fait en sorte que sa mauvaise période soit rejetée dans le passé, ce qui lui permet désormais d’envisager une vie normale, avec tout ce qu’elle a envie de faire en tant que jeune fille de son temps. Une BD qui fait la part belle aux sensations, le texte n’étant jamais envahissant. De ce fait, elle se lit assez rapidement et permet au besoin une exploration en profondeur.
Embrasse-moi, Lidia Mathez
La Joie de lire, janvier 2023