festival-cannes-2024-affiche-cloture-palmares
© Shochiku Co., Ltd. – Rhapsodie en août d’Akira Kurosawa (1991) / Création graphique © Hartland Villa

Cannes 2024 : Clôture et palmarès

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma
Dernière mise à jour:

Le sable de la plage Macé s’est refroidi, les parasols et les transats sont rangés, les palmiers respirent mieux, les terrasses se sont vidées, les festivaliers ont déserté la Croisette et la 77e édition du festival de Cannes a baissé le rideau ce samedi 25 mai 2024. Clap de fin après une douzaine de jours à rebondir d’une salle à l’autre. Retour sur les nouveaux lauréats d’une sélection éclectique et engagée.

Avec un démarrage compliqué pour une sélection pourtant aguichante, la compétition officielle a tout de même permis à plusieurs artistes de se distinguer. Au lendemain du triomphe de Black Dog à Un Certain Regard, de même pour Vingt dieux, qui s’est vu attribuer un prix jeunesse pour son audace et sa sincérité, l’heure du palmarès a sonné. Camille Cottin rempile pour rythmer une soirée forte en émotion et en suspense. Sa présentation est guidée par l’homme qui a remporté le plus grand pari cinématographique à la fin des années 70, avec une saga venue d’une galaxie très lointaine. Sous les partitions de John Williams et de Joe Hisaishi, la cérémonie a vu défiler plusieurs icônes du 7e art pour enfin récompenser les efforts des compétiteurs.

Des palmes et des cannes

La Caméra d’Or, qui récompense le meilleur premier film, revient à Armand. Présenté à Un Certain Regard, il s’agit d’un huis clos dans un établissement scolaire porté par Ranate Reinsve, déjà aperçu dans Julie (en 12 chapitres).

Puis, juste après une blague assez gênante pour le plaisir de démontrer un mauvais usage de Chat GPT, Laurent Laffitte est venu remettre le prix du meilleur scénario à The Substance de Coralie Fargeat, porté par Demi Moore et Margaret Qualley. C’est le sursaut que l’on attendait avec impatience dans le ventre mou du Festival, et nous avons été gâtés par sa générosité. Le body horror est à l’honneur dans ce portrait acerbe du showbiz, où les femmes cinquantenaires sont éjectées de la scène. Sanglant, absurde et hilarant, ce film ne laisse personne indifférent et prouve que son audace paie malgré des longueurs qui ne l’ont pas empêché d’être auréolé.

Kōji Yakusho a donné de sa personne dans le rôle d’un nettoyeur de toilettes publiques au Japon l’an passé (Perfect Days). C’est avec un immense honneur qu’il revient sur scène pour célébrer la brillante performance du quatuor féminin d’Emilia Pérez, un prix d’interprétation féminine partagé entre Karla Sofía Gascón, Zoe Saldana, Adriana Paz et Selena Gomez. Avec la transidentité comme point de départ, nous aurions pu croire que le film ne fait que surfer sur une tendance. Il n’en est rien. En rythme ou en opposition, ces interprètes ont su défendre une œuvre qui raconte en quoi le changement d’apparence n’a rien de monstrueux, contrairement au conte morbide de Coralie Fargeat.

Jacques Audiard est ensuite venu compléter le tableau avec un prix du jury mérité, remis par Xavier Dolan. Sa comédie musicale a pris l’ascendant sur les autres films de la compétition, grâce notamment à une mise en scène qui valorise l’émotion des personnages. Dans Emilia Pérez, les comédiens principaux ne sont pas tous rodés aux chorégraphies sophistiquées. Audiard préfère les plans serrés sur leurs visages inquiets et émerveillés.

Quant à la meilleure performance masculine, Mélanie Laurent nous rappelle d’abord le sens de l’humanité dans un élan lyrique, avant que Jesse Plemons reçoive les louanges d’un public conquis. Si Kinds of Kindness n’a pas été à la hauteur de son prestige et de son étude du libre-arbitre, nous pouvons néanmoins reconnaître une belle palette de jeu dans ces trois tableaux.

Dans une ambiance solennelle, le prix spécial du jury a été attribué au film iranien Les Graines du figuier sauvage. Un prix de cœur, afin de ne pas échauffer les esprits autour du drame que vit l’Iran actuellement, ainsi qu’une partie de l’équipe du film qui n’a pas pu suivre le même chemin d’exil que Mohammad Rasoulof. L’écriture est implacable dans ce huis clos familial. Les femmes y haussent le ton, surtout les plus jeunes, les plus enclins au changement et qui portent fièrement l’étendard d’une révolution en marche. Ce film raconte ainsi la position inconfortable d’un gouvernement qui a peur pour sa propre sécurité. De même, le cinéaste ne manque pas de finesse pour rappeler la nécessité d’inverser les rapports de force pour enfin jouir d’une liberté, autrefois régulée, voire prohibée.

Wim Wenders a ensuite remis le prix de la mise en scène. Grand Tour, de Miguel Gomes, en a bénéficié à notre grande surprise. Son histoire d’amour en deux temps raconte la fuite et la chasse de deux cœurs brisés à travers, notamment, l’Asie du Sud-est. Si nous n’avons pas totalement été convaincus par ce voyage en terre inconnue, nous pouvons lui reconnaître un certain charme dans la mélancolie, porté par Crista Alfaiate et son rire singulier. Reste que d’autres cinéastes, moins adeptes de la voix off et de la théâtralité à l’écran, auraient également pu être mis en avant.

Vient le Grand Prix, décerné à All We Imagine as Light. Cela fait déjà une trentaine d’années que le cinéma indien n’avait pas concouru pour la Palme. Le prix remis par Viola Davis est synonyme d’indulgence à l’égard de Payal Kapadia, car sa première fiction aurait gagné à épouser le format documentaire jusqu’au bout. Il reste toutefois plaisant de ne pas dramatiser plus qu’il en est le misérabilisme. Le film préfère donc s’attarder sur les dilemmes que les femmes, en quête d’émancipation, connaissent avec leurs amis, leurs parents et leurs enfants.

Un tour de force

Avant de conclure le grand rassemblement cinéphile, il reste un emblème du Nouvel Hollywood auquel il convient de rendre hommage. Père de Star Wars, créateur d’Indiana Jones aux côtés de Steven Spielberg, George Lucas succède à Meryl Streep en recevant une Palme d’or d’honneur des mains de son « antithèse » (selon ses dires) Francis Ford Coppola. Ses premiers pas à Cannes, il les a faits avec THX 1138 à la Quinzaine des réalisateurs. Hier soir, son apparition témoigne d’une riche carrière qui a bouleversé la manière de produire et de penser les blockbusters. L’héritage qu’il laisse derrière lui est immense, traversant plusieurs galaxies et plusieurs générations.

À défaut de film programmé en clôture, la Palme d’or a été projetée au terme de la cérémonie. Greta Gerwig et sa séduisante équipe ont choisi de remettre le Graal des cinéastes au film de Sean Baker, Anora.  Plongé dans le monde de la nuit, avec des rencontres hasardeuses ou presque. Versant dans la comédie noire qui rappelle le ton des frères Coen, le film dresse le portrait-robot d’une Amérique corrompue et d’une sexualité parfois trompeuse.

C’est avec une immense joie que le Festival s’achève. Non seulement pour la découverte d’étoiles montantes du cinéma, mais aussi pour pouvoir rattraper les heures de sommeil perdues qui se sont accumulées tout au long de la Quinzaine. Nous sommes enfin sortis du vortex cannois que Camille Cottin a si bien décrit en ouverture.

À l’année prochaine sur la Croisette pour de nouvelles aventures cinéphiles.

Responsable Cinéma