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Le Grand Sommeil : quand Morphée fait trop bien son travail

J’ai depuis longtemps une fascination pour la ville de Los Angeles, véritable terre de cinéma dont la représentation peut aller d’une simple comédie policière à un film jouant justement avec l’aspect cinématographique et artificiel de la ville afin d’en révéler les plus sordides secrets. En ce sens, outre les David Lynch, Michael Mann ou Paul Thomas Anderson viennent la base du patrimoine « Angeleno » (ou Los Angélienne mais c’est moche), le film noir. Et quoi de mieux que de parler de l’un des plus marquants d’entre eux, avec Bogie dedans en plus de ça.

Synopsis : le détective privé Philip Marlowe est embauché par le général Sternwood, car ce dernier souhaite retrouver des photos compromettantes concernant sa fille cadette, Carmen. L’intrigue se verra cependant chamboulée à plusieurs reprises, notamment dû au fait de la présence de Vivian, la grande sœur de Carmen.

Merci les puritains

Pourquoi ce titre ? Afin d’introduire la notion de « Code Hays » qui est une autorité appliquée de 1934 à 1966 aux films américains et devant permettre d’offrir un spectacle grand public et non-offensant envers l’Église et plus généralement les mœurs. Les raisons de son application sont multiples, avec en premier lieu la présence de nudité et l’incitation au crime que promotionneraient certains films ; plus globalement, c’est la liberté de ton générale qui dérange. Finie donc la représentation crue et réaliste de la misère sociale de l’époque ou la représentation « choquante » de couples métissés (sérieusement ?) au profit de la niaiserie d’un bon vieux Frank Capra, que j’apprécie malgré tout.

Et ce qui est pourtant grandiose avec le « Code Hays », c’est que toutes ses contraintes ont poussé les auteurs à se tourner vers des formes métaphoriques afin d’exprimer ce qu’ils ne peuvent montrer directement, comme le pense Billy Wilder. La fin du « Code Hays » amènera au Nouvel Hollywood, avec Bonnie and Clyde d’abord, puis Easy Rider la même année qui ne sont pas vraiment des films rentrant dans les critères de vertu des années 1930.

Mais dans le cas du Grand Sommeil, le problème est tout autre ; ici cette censure concerne deux gangsters importants dans la compréhension du livre qui s’avèrent être gays. Or, étant donné que les gays sont enfants du Malin, il est impensable de les montrer à l’écran. Le résultat final demande donc de redoubler d’attention afin d’arriver à suivre ce qui se passe.

Un récit à tiroirs : l’étagère magique

Alors oui, Le Grand Sommeil, ou Wielki Sen sur mon blu-ray polonais, peut paraître au premier visionnage comme très complexe avec beaucoup de noms et de péripéties rendant le suivi de l’histoire difficile. Et même si le roman de Raymond Chandler est déjà réputé pour sa complexité, l’adaptation d’Howard Hawks pâtit du « Code Hays », demandant une certaine attention afin de saisir tous les éléments de l’intrigue en constante évolution.

Le Grand Sommeil perd donc son spectateur comme il a su perdre son réalisateur et même, son écrivain. Se distinguent cependant assez facilement deux grandes parties avec la résolution de l’enquête suivie de l’implication personnelle de Marlowe dans les affaires de la famille Sternwood, dont Vivian est la raison principale. Il n’en reste pas moins que le film ne fait pas d’effort à être compris, à tel point que les acteurs ne comprenaient même plus à qui leurs dialogues faisaient référence.

L’apogée du film noir

Et pourtant, quel bonheur ! Le film dispose d’une ambiance hypnotique nous entraînant avec Marlowe dans ces nuits pleines de mystère. Tous les clichés du film noir sont ici respectés et magnifiés : le détective privé pince-sans-rire (joué par Bogart donc compte double) qui joue avec une jeune femme fatale cachant quelque chose de plus que le fait qu’elle sera avec lui à la fin, le tout dans une nuit presque constante dont l’air est bercé par la fumée des cigarettes et les arômes du whisky. Évidemment, il est nécessaire de s’attarder sur le duo Bogie-Bacall qui s’était rencontré déjà chez Hawks, à l’occasion du Port de l’Angoisse, un « ersatz » de Casablanca pour certains mais un vrai bon film pour moi. L’alchimie entre les deux ne fait qu’accentuer ce jeu du chien et du chat se tournant autour qui a été de nombreuses fois imité mais jamais égalé.

Concernant l’aspect technique, j’avoue que j’avais trouvé le Rio Bravo d’Howard Hawks sympathique sans plus, et son Impossible Monsieur Bébé insupportable. Mais ici, tout est parfait (sacrée analyse). Plus précisément, la mise en scène immerge lentement par ses mouvements de caméra dans cette histoire confuse, la rendant pourtant à la fois mystérieuse et attirante. La photographie ainsi que la réutilisation de certains décors permettent une familiarisation avec la diégèse du film et ainsi la création d’une sorte de bulle temporelle, dans cette nuit qui n’en finit pas. Et que dire de la musique de Max Steiner, comme un plaid chaud dans cette atmosphère envoutante. J’aime bien ce film.

Bande-annonce :

Fiche technique :

Genre : film noir
Réalisation : Howard Hawks
Scénario : William Faulkner, Leigh Brackett, Jules Furthman, Raymond Chandler (auteur du roman)
Photographie : Sid Hickox
Casting : Humphrey Bogart, Lauren Bacall, John Ridgely, Martha Vickers
Pays d’origine : Etats-Unis
Durée : 114 minutes
Année de sortie : 1946

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