FEFFS 2014 – Chronique du 14 Septembre : Spéciale Masterclass Tobe Hooper
Lors de cette première incursion au Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg, l’événement de la journée était bien évidemment la venue du maître Tobe Hooper, venu présenter son mythique Massacre à la Tronçonneuse en version restaurée 4K. L’occasion pour le festival d’organiser une masterclass avec le réalisateur texan. Ce dernier se prêtera au jeu d’une leçon de cinéma animée par Jean-Baptiste Thoret, enseignant et critique cinématographique (Simulacres, Panic et Charlie Hebdo). C’est un homme fragile, presque affaibli qui vient sur scène. Devant une foule qui l’acclame sans cesse, Tobe Hooper se lève difficilement de son siège et lève sa main avec fébrilité. Tout le long de cet entretien qui durera un peu moins de 2h, ce vieux barbu de 81 ans évoquera son parcours avec hésitation, balbutiant sans cesse, impressionné par le cadre du festival. Il se lâchera davantage vers le milieu de l’entretien, lâchant son venin sur le système hollywoodien et c’est un homme fier mais bourré de regrets qui nous sera dévoilé.
Cela se sent, Tobe Hooper est un homme modeste qui entre en scène avec son charme de réalisateur décontracté, arborant une chemise jaune froissée. On sent le personnage cool qui a des tonnes de choses à nous dire. Entouré de deux traductrices, cette masterclass démarre par un hommage à ses meilleurs films, à sa vision du monde et le public ne cesse d’applaudir celui qui en 1974 a littéralement choqué le monde. Le questionneur revient sur le thème du masque que Tobe incorpore à chacun de ses films, de même qu’il témoigne d’un attachement particulier à l’aspect historique et politique de son pays. Très tôt dans l’enfance, Tobe Hooper est un homme qui présente une vraie relation avec le cinéma. Il déclarera avoir « appris le langage du cinéma avant d’apprendre à parler ». Ses parents divorcent et il se retrouve chez sa mère, perturbé par cette séparation. Il comblera ce manque de relation parentale par une consommation intensive de films de tout horizon au point que sa mère lui en fait le reproche, estimant qu’il ne ferait rien de sa vie dans cette situation. Il évoque cette consommation de films car ces derniers lui permettaient d’éprouver toute une gamme d’émotions par le simple biais de l’image et d’une subtile alchimie avec le son. C’est un passionné qui n’attendra pas longtemps avant d’obtenir sa première caméra en 8mm. A seize ans, il filme sa propre version de Frankenstein avec cette caméra. Une pellicule qu’on ne retrouvera certainement plus jamais. A cet instant, le natif de Austin évoque ses films préférés, à savoir Chantons sous la Pluie de Stanley Donen (1952), La Chose d’un Autre monde de Christian Nyby (1959) ou Le Jour où la Terre s’arrêta de Robert Wise (1951). Il cite également Antonioni et Fellini. Ses références le poussent à continuer dans cette voie. Par le biais du cinéma, il souhaite élever les gens vers une vraie réflexion, une vraie émotion qu’il estime bénéfique pour faire évoluer les choses. Nous sommes dans les années 1960, Tobe Hooper est un hippie avec des rêves.
Bande-annonce : La Chose d’un autre monde
Bande-annonce : La Chose d’un autre monde VOST
« This is Texas. We don’t mess with Texan »
A cet instant, Jean-Baptiste Thoret en profite pour faire passer un extrait vidéo. Il s’agit de la vidéo de l’assassinat du Président Kennedy. Cet extrait sert à amorcer la discussion autour du passé documentaire de Tobe Hooper ainsi que de l’impact de la guerre, de la politique et du cinéma dans sa vie. Des traumatismes et névroses parsemés dans sa filmographie. De cet archive découle un mélange d’horreur et de documentaire brut qui sera la pierre fondamentale de la mise en scène de Massacre à la Tronçonneuse, dix ans plus tard. Tobe Hooper racontera qu’il avait été réalisateur de petits films d’information à visée politique pour une boîte de production et qu’on lui avait demandé de suivre l’affaire. Il a notamment assisté à la mort de Lee Oswald avec son caméraman, et déclarera qu’il a été bousculé par les services secrets. Il parlera de sa région natale, et de cette époque où les Rednecks se baladaient arme à la main en pleine rue, à n’importe quelle moment de la journée et parfois aux alentours des écoles. Avec dérision, il s’exclamera « This is Texas. We don’t mess with Texans ». Pour rester dans la politique et le contexte de l’époque, un extrait de Eggshells, le premier long métrage de Tobe est présenté. Le film n’a bénéficié que d’une petite distribution en 35mm sur certains campus américain. D’ailleurs, personne dans la salle n’a vu ce film mais il permet à Tobe d’en dévoiler certains aspects précis comme une mise en scène entre le documentaire et le psychédélique, l’expérimental.
Dans la partie documentaire, il l’évoque comme du cinéma vérité qui capte des moments de vie chez les hippies. Il déclarera qu’avoir vécu avec eux pendant neuf mois l’a complètement changé. Il est devenu très proche de la nature, a réalisé des vidéos de défense contre les destructions forestières orchestrées par McDonald’s. Pour lui, Eggshells est une manière d’analyser la contre-culture de l’époque. Il s’indignera sur le mouvement hippie, déclarant que seul 20% des hippies souhaitaient véritablement changer les choses, le reste n’était qu’hypocrisie et suivre l’air du temps. Pour lui, cette période illustrait cette volonté de se libérer des conventions pour être créatif. Aujourd’hui, il trouve que les hippies sont devenus des « yuppies », des jeunes cadres et ingénieurs haut placés dans la hiérarchie du capitalisme. Le questionneur évoque les prémices de Massacre à la Tronçonneuse, à savoir les motifs, les plans, les décors qui orchestre trois ans avant, la grammaire visuelle de Tobe Hooper. Le réalisateur déclare avoir été très fier d’avoir pu tourner ce film, de l’avoir achevé et de le faire projeter à quelques personnes intéressées.
Bande-annonce : Leatherface
Plus l’entretien avance, et plus Tobe évoque ce désir de l’enfance, celui d’être un vrai réalisateur à Hollywood comme l’ont été ses références. Il veut faire ce cinéma. L’expérience de Hollywood et la maturité lui ont appris à regretter ce désir. Avant de revenir à Hollywood, Tobe Hooper nous avoue que l’horreur n’était pas son genre de prédilection, et qu’il préférait davantage la fantasy. Il s’est tourné vers le cinéma d’épouvante car il savait que c’est un genre qui n’a pas besoin de casting, ni d’effets titanesques. Il faut juste du choc, il faut que cela marque le spectateur. Et il s’estimait capable de proposer cela. L’extrait le plus célèbre de Massacre à la Tronçonneuse est présenté. Tonnerre d’applaudissements. Les deux hommes sur scène évoquent le rapport à l’horreur dans une Amérique qui n’hésite pas à montrer frontalement des images chocs à la télévision. Rien n’était épargné, l’horreur était accessible à l’heure du repas par le biais de son simple téléviseur. Pour Tobe, son film est un « documentaire sur l’Amérique » et sur celui qui regarde ce genre d’images.
Il revient sur Leatherface et dit s’être inspiré de Frankenstein, « le monstre le plus opérationnel » pour montrer la brutalité et l’émotion d’un garçon qui a vécu dans un contexte familial chaotique et bourré de violences. Le réalisateur a du faire comprendre le comportement d’un enfant en difficulté à l’acteur qui interprète Leatherface. Il lui a fait passer deux jours dans une école pour enfants difficiles afin de s’inspirer de ces réactions du quotidien de ce genre d’établissement. Les acteurs n’étaient pas au courant du look de Leatherface. Pour chacun, c’était une surprise effroyable et attendu par Tobe. Il fallait augmenter la tension et chaque détail comptait pour faire ressentir cela sur le jeu des acteurs. Tobe Hooper s’amuse en évoquant le fameux « cliche de la panne d’essence » sauf que lors du tournage, même l’équipe s’est retrouvé en panne de gasoil. Le film fût tourné pendant la Crise du Pétrole en 1973. Avec un peu d’amertume, Tobe Hooper avoue regretter que les gens n’aient pas saisi l’humour macabre du film. L’aspect comique a été oublié au profit de son aspect brut. Le réalisateur texan évoque sa famille. Les repas avec tout le monde étaient toujours très animés, bourrés d’amertumes. Chacun s’envoyait des piques et cela rendait les repas aussi oppressants qu’amusants. Il nous évoque la présence de trois sourdes lors de ces repas, et avoue avoir envié ces filles malentendantes quand il devait se coltiner les propos cyniques de toute sa famille. L’humour noir selon Tobe Hooper.
Bande Annonce : Massacre à la tronçonneuse
Extrait de la suite de Massacre à la Tronçonneuse, Tobe Hooper confie s’être attelé à faire de ce film une séquelle plus loufoque et marrante. Il y a injecté tout son humour, tout en posant des réflexions sur la Guerre du Vietnam. Comme Jean-Baptiste Thoret tient à l’expliquer, ce film est davantage du côté de la critique, du pamphlet contre le Vietnam et le gouvernement américain. Il est d’autant plus amusant que Tobe Hooper ne souhaitait pas réaliser cette suite mais que personne d’autre ne souhaitait le faire. Il a donc accepté mais en faisant le film comme il l’entendait. Il a travaillé avec Tom Savini, et s’est juré de ne pas contourner la censure d’où le fait qu’il ait à fond joué la carte du gore. Il dira « Les gens voulaient du sang, alors j’allais leur en donner ». L’entretien s’attarde quelques instants sur le casting et cette surprise de voir Dennis Hopper au casting. On y voit un lien subliminal avec le film Easy Rider où le hippie joué par Hopper assassiné à la fin du film par les texans reviendrait prendre sa revanche dans le second opus de Massacre à la Tronçonneuse. Les liens subtils, métaphysiques et rocambolesques du cinéma. Tobe confie avoir toujours voulu travailler avec lui. Ils se rencontrèrent un jour dans le même restaurant, Tobe est allé l’aborder et lui a directement posé la question, Denis Hopper répondant oui après un long moment d’hésitation. Et la suite fût lancée. C’est aussi simple que ça.
Bande-annonce : The Funhouse
Dernier extrait présenté, celui du film The Funhouse / Massacre dans le Train Fantôme, un film qui commente le genre slasher et qui retourne à la base du cinéma, le cirque. Tobe Hooper dit avoir réalisé ce film pour combattre un trauma de l’enfance, la peur du carnaval. Il injecte toujours autant d’humour, et assume pleinement son statut de parodie. Difficile d’en douter tant il se moque allègrement d’Hitchcock et de son Psychose dans une scène de la douche qui lance le film sur de bonnes festivités comiques. Tobe Hooper révèlera avoir rencontré Stanley Kubrick sur le plateau de Shining. D’abord éjecté du plateau, Stanley s’est précipitamment dirigé vers la sortie pour aller à la rencontre de Tobe Hooper et l’embrasser littéralement. Stanley Kubrick était un fan de Massacre à la Tronçonneuse. Avant de raccourcir l’entretien, Jean-Baptiste Thoret posera cette question ultime « Quel est le film qui vous a le plus comblé dans votre désir d’être réalisateur ? ». Ce à quoi Tobe répondra :
« Je suis très fier de ce que j’ai réalisé mais je ne suis pas sûr d’avoir fait ce film. Mon désir d’être un réalisateur hollywoodien a disparu. Tous ces énormes budgets ont écrasé toute la créativité des auteurs et des gens comme moi. Je veux être un réalisateur européen maintenant ».
Déclaration finale émouvante pour un réalisateur qui a été bouffé par le système hollywoodien. On regrettera une assez mauvaise organisation du timing pour cette masterclass, la moitié du temps étant traduite de manière inégale entre les deux traductrices. Poltergeist, ou le projet Djinns n’ont pas été évoqué mais au moins on ressort de cette masterclass avec le sentiment d’avoir découvert un nouveau Tobe, un homme frustré par Hollywood mais honoré par son parcours.
Merci Tobe Hooper pour ce beau moment de confidence et merci pour cette restauration de votre chef d’œuvre. Vous avez marqué le cinéma d’épouvante. Si Hollywood vous a oublié, l’Histoire du Cinéma, elle, ne vous oubliera pas. Et nous non plus.