Dans un cycle « Obsession » comment ne pas évoquer Obsession par Brian De Palma ? Pour justifier ce titre qui correspond parfaitement (alors que le réalisateur envisageait initialement « Déjà vu »), de nombreuses obsessions se font jour tout au long du film et prennent une place fondamentale dans l’intrigue.
La première de ces obsessions est celle de l’amour, très fort, entre Michael Courtland (Cliff Robertson) et sa femme Elizabeth (Geneviève Bujold), parents d’une adorable petite fille, Amy, image de sa mère en modèle réduit pour compléter le tableau à peu près idyllique d’une famille heureuse. Mais, rapidement (dans la narration), émerge l’obsession de maintenir cette situation plus fragile que prévue. L’élément (fortement) perturbateur est celui de l’argent. En effet, la famille vit de façon aisée, dans une belle maison à la Nouvelle Orléans (nous sommes en 1959), Michaël étant un promoteur immobilier sur le point de réaliser un projet très lucratif avec son associé Bob (John Lithgow), si proche de la famille qu’Amy l’appelle oncle Bob. Les Courtland fêtent leurs dix ans de mariage par une magnifique réception où, descendue d’un escalier monumental, Amy demande à danser avec son père.
Les choix d’une vie
La réussite familiale attire l’attention et, juste après la réception, la mère et la fille sont kidnappées. Michaël reçoit une demande de rançon. Désespéré (obsédé par son amour), il ne pense qu’à satisfaire les ravisseurs et ne voit pas la machination qui se trame, à tel point qu’il ne se demande même pas qui peut bien être derrière le kidnapping. A l’obsession amoureuse, on peut donc ajouter l’obsession pour la réussite sociale et son corolaire : l’obsession pour l’argent qui anime tous ceux qui entourent Michaël. Ce sont ces obsessions qui font tout déraper : la vie amoureuse de cette famille ainsi que le kidnapping qui se termine très mal, puisque Michaël perd aussi bien sa femme que sa fille ! La suite de sa vie, il la passe à culpabiliser, là aussi une véritable obsession. Pourquoi a-t-il décidé de prévenir la police et de lui faire confiance, en ne payant pas la rançon ? C’est à partir de ce choix que tout dérape : voir la scène où les ravisseurs annoncent à Amy qu’aux yeux de son père, elle ne vaut rien. On imagine le poids d’une telle affirmation dans l’esprit d’une fillette de neuf ans dans une situation aussi dramatique…
Bis repetita
Après le drame, aux yeux de Michaël, sonné, plus rien n’a d’importance. Il refuse même de finaliser le projet en cours avec Bob au parc de Ponchartrain. Cet endroit, il le réserve pour une stèle à la mémoire d’Elizabeth et Amy, élément fondamental pour lui et donc pour le film. En effet, cette stèle, il la fait construire en marbre et à l’image de l’église où il a rencontré Elizabeth à Florence (Italie) : autre modèle réduit. D’ailleurs, on voit cette église dès le générique de début, avec l’utilisation d’un zoom très lent qui nous permet de bien la détailler. Elle est bâtie sur une petite hauteur, symbolique de l’élévation d’âme qu’elle représente. Pour Michaël, elle symbolise la force de son amour. Or, dans un mouvement de caméra dont il a le secret (la caméra est très mobile pendant tout le film), Brian de Palma nous fait passer de 1959 à 1975 avec Michaël, autour de la stèle. En 1975, il décide de retourner à Florence, accompagné par Bob. Évidemment, un pèlerinage à l’église s’impose. Là, stupeur, perchée sur un échafaudage (soit toujours plus haut), Michaël observe une jeune femme : le portrait craché d’Elizabeth ! L’inconnue travaille à la restauration d’une fresque d’un peintre de la Renaissance, un certain Daddi (entendre daddy, même si le peintre existe vraiment). Michaël comprend que le destin lui offre une deuxième chance, qu’il décide d’emblée de jouer à fond. Mu par son obsession pour Elizabeth, il entreprend d’approcher Sandra…
De Palma n’a peur de rien
Les commentateurs de ce film se concentrent généralement sur les nombreuses références hitchcockiennes qu’on y trouve. De Palma confie lui-même que c’est suite à une projection de Vertigo qu’il a conçu l’idée du film avec Paul Schrader (crédité du scénario). L’histoire y fait référence, ainsi qu’à d’autres films du maître du suspense, comme Rebecca, mais aussi Une femme disparaît et Spellbound ainsi que Le crime était presque parfait. Mais tout ceci n’est qu’un jeu de cinéphile que le réalisateur dépasse largement, puisque Obsession (1976) peut être apprécié sans tenir compte de ces allusions. L’aspect thriller est une telle réussite que le film supporte et mérite largement plusieurs visions, eu égard à la richesse des thèmes explorés. Nous avons ici une réflexion sur les valeurs qui animent un homme qui au début affiche aussi bien la réussite sociale et matérielle que sentimentale et familiale. Les réflexions féminines ne sont pas négligées, puisque nous avons droit à un extrait du journal intime d’Elizabeth ainsi qu’à l’évolution progressive des pensées d’Amy. Au thème de la deuxième chance viennent s’ajouter ceux de la vengeance et de l’amour filial. Les décors sont à la hauteur, puisqu’à la Nouvelle Orléans nous avons droit au bateau avec roue à aubes. Bien entendu, la part belle est faite à la ville de Florence, avec le magnifique intérieur de l’église Santa Miniato et ses fresques colorées, ainsi qu’à de belles scènes mettant en valeur des quartiers connus et moins connus de la ville dans des éclairages bien choisis. Tout cela pour dire que la mise en scène du réalisateur (alors peu connu) est de premier ordre, avec des choix toujours judicieux dont celui de l’écran large bien utilisé. L’atmosphère brumeuse et le peu de dialogues de nombreuses scènes sont à l’unisson de la musique signée Bernard Hermann (autre référence à Alfred Hitchcock), pour créer une ambiance proche du rêve, même s’il s’agit en fait d’un cauchemar. Ajoutons à tout cela le choix de Geneviève Bujold pour un double rôle qu’elle assume à merveille, convaincante en mère de famille et charmante en étudiante attardée. On note en particulier ses grands yeux et son nez retroussé. Surtout, on reste sidérés par cette séquence folle où De Palma la fait passer de l’âge adulte à l’enfance par un « simple » mouvement de caméra, moment limite grotesque, mais qui fonctionne et donne au film une saveur particulière. D’ailleurs, la séquence finale est à l’image de tout ce que De Palma ose ici, avec un éclairage brumeux, le ralenti qui permet de faire sentir la bouleversante succession des émotions, pour finir avec la caméra tournant jusqu’à l’ivresse autour d’un duo retrouvé miraculeusement.
De Palma vs Hitchcock
Même si ici (et par la suite) De Palma fait de nombreuses références à Hitchcock, il se contente d’allusions pour faire œuvre personnelle, grâce à une remarquable maîtrise technique. Aucun détail n’est laissé au hasard et chaque scène a son importance dans un film au minutage très raisonnable (1h38). Enfin, De Palma tire parti d’un beau casting. Et même si Cliff Robertson n’a pas l’aura d’un Cary Grant ou d’un James Stewart, il contribue également à la réussite d’Obsession. Malgré une réputation inférieure à celle d’Hitchcock, De Palma fait partie des réalisateurs qui comptent dans l’Histoire du cinéma.