Interview Paul Schrader : le grand cinéaste s’est prêté au jeu des questions-réponses pour LeMagduCiné
Le scénariste-réalisateur Paul Schrader est venu à Cannes présenter son film Dog Eat Dog, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs. CineSeriesMag a réussi à obtenir une interview exclusive du Roi Schrader, l’auteur de Taxi Driver, Raging Bull, La Dernière Tentation du Christ, entre autres, réalisateur et scénariste de Blue Collar (1978), d’Hardcore (1979), American Gigolo (1980), La féline (1982), d’Affliction (1998), ou encore du récent The Canyons (2014) qu’il a réalisé sans en avoir écrit le scénario.
Merci pour ce film. Hier, après la projection, vous avez dit que ce film était une « blague », une farce…
Eh bien… Je suppose que si on doit raconter une blague, ça n’est pas très drôle, non ?! Vous savez… Il n’est pas à prendre au sérieux… C’est très difficile de prendre ce film au sérieux. J’ai essayé de faire une « crime-comedy », pour… vous savez… Cette époque particulière et difficile que nous vivons, et il me semblait que c’était le genre de film que nous devions faire.
Dans ce film, il y a des éléments difficiles, durs, il y a les policiers qui tuent des innocents… C’est un film très critique contre l’Amérique, ses armes, non ?
Oui, je le pense, mais je pense qu’il serait faux de le prendre comme un film sur l’état. Évidemment nos films, nos vies sont quelque part politiques (…) mais c’est plus un film à propos des films que sur la société.
À propos de l’utilisation de la couleur, hier vous avez dit vouloir faire quelque chose de différent des autres films mais au début du film vous utilisez la couleur de manière homogène…
Oui ! Il y a la pièce rose et la salle de bain bleue. Puis ça vient au noir et blanc. Et à la fin du film, c’est à nouveau complètement une couleur fantaisiste.
Mais pourquoi êtes-vous revenu à une utilisation de la couleur plus réaliste dans la majorité du film ?
Je ne sais pas, je veux dire… J’ai juste essayé de faire quelque chose d’intéressant… Je ne sais pas… Peut-être que j’ai fait ça pour proposer autre chose !
Je ne sais pas si je peux vous poser cette question, mais allons-y : Quel a été le budget du film ?
Eh bien ! C’est une question difficile parce que dans le monde d’aujourd’hui, les banques s’effondrent… Donc certaines personnes vous diront que le budget était de sept millions, mais c’était probablement plus bas (…) mais le film a coûté sept millions.
C’est un budget très bas.
Oui, c’était le pari, nous avons tourné le film en vingt-trois jours.
C’est un film très indépendant.
Oui en effet !
Nicolas Cage devait jouer le personnage fou.
Oui, je veux dire… La première fois que j’ai terminé le script, j’ai dû lui envoyer, je pensais qu’il allait vouloir jouer Mad Dog mais il voulait jouer Troy. Alors Willem a dû jouer Mad Dog.
Et avec Willem Dafoe, comment cela s’est-il passé ?
Eh bien j’ai fait un certain nombre de films avec lui, et je le connais. Nous sommes amis. Alors… Donc… Je l’ai envoyé à Nic’ parce que je voulais retravailler avec lui après la mauvaise expérience que nous avons eu (NDRL : la dépossession de leur film The Dying of the Light – La sentinelle –, par les studios en 2014), puis j’avais besoin d’un second acteur. Une combinaison de Nic’ et Willem me paraissait être bonne.
Quand vous faites un long-métrage, vous réalisez toujours un film de genre, un thriller, un film policier… Je pense à Affliction, à The Canyons… Mais derrière le genre, il y a un discours sur les fantasmes de l’Amérique.
Oui, je veux dire… L’Amérique, de manière extraordinaire, a construit un bloc après la deuxième guerre mondiale parce qu’il était vraiment le seul pays qui s’est tenu debout après la guerre. Nous avions tout l’argent, nous avions toutes les industries, nous avions toutes les machines, et on est juste passé au-dessus du monde. Et beaucoup de gens pensaient que c’était parce que nous étions meilleurs mais ça n’était pas la raison, c’était juste que tous les autres attendaient leur tour. Quand les autres pays se sont relancés, l’Amérique a juste laissé tomber. Les gens ont commencé à se mettre en colère, les gens pensaient que c’était la faute de quelqu’un.
Vous avez dit faire un film sur le cinéma. The Canyons en parlait aussi. Quel est votre but ? De détruire le fantasme du cinéma et de nous ramener à sa réalité ?
Je ne suis pas sûr que ce soit dans cet esprit. Évidemment, je fais des films à propos des films, à propos de ma propre vie, et c’est difficile pour moi de faire un film en oubliant les références, de voir un film sans me mettre à penser à d’autres. (…) Mais The Canyons a été un film sur «l’après-cinéma». Il était pensé pour l’Internet, c’est pourquoi nous avons eu des cinémas vides. Et les créanciers ont juste dit que c’était là que le film n’allait pas être montré. Donc, c’est pourquoi il y avait de ça dans le film.
Vous allez faire un nouveau film avec Nicolas Cage ?
Non non non, je ne pense pas. Le prochain avec qui je veux travailler est Ethan Hawke.
Ce sera un thriller ?
Non, ce sera un film à l’opposé de celui-là (NDLR, Dog Eat Dog), ce sera un film très introspectif, un film silencieux. Ce sera un film du genre de Birdman. Nous allons complètement dans une autre direction.
Pour revenir à Dog Eat Dog, vous vouliez faire une comédie ?
Eh bien je ne pensais pas aller jusque là. C’est devenu de plus en plus exagéré. Je ne l’avais pas écrit comme une comédie. C’est marrant vous voyez… Ces gars…
Vous avez été complètement libres à la réalisation, au montage aussi, vous avez fait tout cela avec votre instinct, votre instinct de folie mais vous avez dû le réfléchir aussi.
Eh bien, vous devez planifier, vous ne pouvez évidemment pas faire un film spontanément. Vous devez construire des décors, vous devrez trouver des lieux… Mais j’ai réuni une jeune équipe de nouveaux dans le cinéma, afin d’avoir cette sorte de sensibilité autour de moi.
Après avoir présenté le film, vous nous avez paru complètement libre, déchaîné !
Oui, vous ne savez certainement pas combien de « bottages de cul » ont été commis !
Et vous revoilà à Cannes, quarante après Taxi Driver…
Oui ça fait du bien, d’avoir cette grande rédemption après cette mauvaise expérience (NDLR, The Dying of the Light), et c’est agréable d’être ici, vous savez.
Et maintenant ?
Après ces derniers jours, je serais content de ne rien faire ! Si on m’y autorise.
Alors merci à vous !
Merci à vous !
Notre entretien avec le Roi Paul Schrader prit fin sur ces remerciements réciproques. Aussi, si vous ne connaissez pas beaucoup ce génial cinéaste, nous vous conseillons de vite de le découvrir.