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« Brian De Palma » : confidences d’un ambassadeur du Nouvel Hollywood

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud proposent chez Carlotta une réédition actualisée de Brian De Palma, un livre d’entretiens permettant de creuser plus avant la personnalité, le parcours et les obsessions d’un réalisateur emblématique du Nouvel Hollywood.

Brian De Palma est-il le héraut marginal du Nouvel Hollywood ? Moins en vue que Martin Scorsese ou Steven Spielberg, moins impliqué dans les affaires que Francis Ford Coppola ou George Lucas, le réalisateur de Scarface vit modestement – malgré sa richesse – et refuse généralement de se confier. Il se méfie des journalistes et des critiques de cinéma, de ceux qui l’ont trop souvent égratigné comme de ses zélateurs les plus infatigables. Il n’a plus tourné de films depuis Passion, sorti en 2012. Seul l’oubliable Domino : La Guerre silencieuse, en VOD, est venu troubler cette longue interruption. Il a déserté Hollywood depuis plus longtemps encore, puisque Mission to Mars, son dernier tournage américain, date de 2000 ! Qu’importe, Brian De Palma l’affirme lui-même : un cinéaste a atteint l’apogée de sa carrière avant d’avoir soufflé ses soixante bougies. Sa plus grande peur est d’ailleurs de réaliser son Complot de famille, c’est-à-dire un chant du cygne en bruit de crécelle.

C’est cet homme complexe, entier, porteur d’une certaine idée du cinéma que Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud, respectivement journaliste au Monde et collaborateur à la revue Positif, ont rencontré à plusieurs reprises – malgré les réticences de l’intéressé et en usant parfois de subterfuges – afin de mener à bien un livre d’entretiens au long cours, éclairant tant le personnage que sa carrière.

Confidences
L’échange qui s’ouvre entre Brian De Palma et les deux auteurs permet non seulement de passer en revue la filmographie du cinéaste américain, mais aussi d’alterner les focalisations comme on changerait d’échelle de plan : un plan d’ambiance familial, un plan d’ensemble hollywoodien, un plan américain sur la filmographie et les obsessions du réalisateur, un gros plan sur ses influences – d’Alfred Hitchcock à Michael Powell –, des inserts sur des thèmes aussi divers que le Diable, le porno amateur, le plan-séquence ou la guerre en Irak.

Sur la bande-son d’un film, Brian De Palma déclare ceci : « Le problème avec la musique classique c’est que neuf fois sur dix, le spectateur connaît le morceau que vous utilisez et ça lui donne de l’avance sur vos images… » A contrario, l’exemple à imiter, celui qui lui vient immédiatement à l’esprit, c’est le couple Hitchcock-Herrmann, et notamment leur collaboration à l’occasion de Psychose. Ailleurs, il s’exprime sur les rapports difficiles entre Sean Penn et Michael J. Fox sur le tournage d’Outrages : « Sean n’a pratiquement pas adressé la parole à Michael ! […] Michael, qui est vraiment un chic type, a vraiment été révulsé par l’attitude de Sean. […] Juste avant une prise, Sean est allé vers Michael et l’a étalé… » Sur Peter Biskind et son ouvrage critique Easy Riders, Raging Bulls, il livre sans ambages : « Biskind est allé interviewer nos ex ou des scénaristes ratés qui nous en voulaient d’avoir réussi. Et je pense qu’il n’a rien compris. […] Pour Biskind, tous les réalisateurs de notre génération sont des artistes au bout du rouleau qui se sont détruits à force d’excès. […] Biskind a très mal relaté certains événements dans son livre… » Après avoir longuement évoqué John Travolta, il résume Blow Out en ces termes : « Blow Out raconte l’histoire d’un type très cynique qui va jusqu’à mettre en danger la vie d’une fille pour prouver qu’il a raison. Il provoque la mort d’une fille innocente et qu’est-ce que ça lui rapporte à l’arrivée ? Rien. Ironie du sort, il se sert de son cri pour sonoriser un film d’horreur minable, qui devient une sorte de métaphore de toute son expérience. »

De quel cinéma De Palma est-il le nom ?
Étape par étape, film par film, Brian De Palma s’épanche sur son métier, sur sa manière de filmer, de penser et façonner un long métrage. Il cite au fil des pages plusieurs sources d’inspiration – Hitchcock, Kubrick, Ford, Powell, Hawks –, se plaint des idées fausses véhiculées à son endroit – un misogyne qui ne ferait que copier les réalisateurs classiques, et surtout Hitchcock –, raconte la préparation minutieuse de ses tournages, décrit Wes Anderson comme un « formidable styliste », loue le travail de Quentin Tarantino avec les « structures narratives », mais regrette en revanche que les nouvelles générations de cinéastes aient été biberonnées à MTV et en soient ressorties avec un « goût des histoires très linéaires et du montage effréné ».

Toutes ces confidences sont accompagnées d’illustrations splendides, intimes ou de tournage, fournies par Brian De Palma ou son frère Bart. Un index très riche aidera par ailleurs le lecteur à retrouver certains commentaires portant sur des films, des cinéastes ou des comédiens bien précis.

Brian De Palma, Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud
Carlotta, novembre 2019, 320 pages

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