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La gastronomie dans la série Hannibal de Bryan Fuller

Sur la série Hannibal de Bryan Fuller, nous pourrions parler de bien des choses : de la représentation du serial killer, de la relation presque mystique entre Will et Hannibal, du charisme froid et magnétique de Mads Mikkelsen, de l’anarchie psychologique de certains personnages, ou même de la mise en scène et de la violence matérialisée par la série. Pourtant, au travers du maniérisme feutré de la réalisation et de l’élégance mortifère de son protagoniste principal (Hannibal Lecter), la gastronomie et son illustration prennent une part importante de l’oeuvre. 

Hannibal Lecter, psychiatre manipulateur et cannibale à ses heures perdues, aime avoir des invités dans son antre, des ouailles qu’il peut divertir tel un artiste qui offrirait ses services et aguicherait ses talents au monde des aveugles. Ce divertissement qui se met sur son 31, pouvant être comparé au concert d’un chef d’orchestre, passe par des grands banquets à l’élégance et au raffinement qui dépassent les frontières. Au delà de sa bonne tenue en société, bourgeoise ou noble, Hannibal Lecter cuisine comme personne un ingrédient qui lui est propre : la chair humaine pour la marier avec la grande gastronomie. Et dans la manière que la série a de concevoir la cuisine, il y a la naissance d’une sensation organique, presque charnelle, une sorte d’érotisme culinaire, loin de La Grande Bouffe. La faim n’est pas celle qui se consomme, qui s’éructe, mais celle qui se mérite, qui se réfléchit. Il y a quelque chose de noble voir presque d’anachronique à voir un homme célébrer l’humain et sa chair avec la plus grande des finesses alors qu’il vit dans un monde individualiste et consumériste.

Et sans s’en rendre compte, les invités mangent avec délectation, ce qu’ils pensent être de la viande animale, alors qu’ils sont en train de mâcher le corps des victimes de ce cher Dr Lecter. Ces diners mondains sont un apparat pour Hannibal Lecter, qui peuvent prendre de nombreuses significations. Alors que nous pourrions penser nous trouver par moments dans un clip sophistiqué fabriqué pour la prochaine émission Top Chef, la série de Bryan Fuller aime esthétiser la préparation, la cuisson et la tenue de ces instants culinaires, nous montrant toute la minutie du cuisinier qu’est Hannibal. Il aime être le maître de cérémonie, sentir la satisfaction des autres, humer l’odeur qui s’échappe des plats et ressentir une alchimie entre lui et le reste de l’humanité. Pour l’une de ses convives, sa cuisine est un « spectacle » à elle seule. 

C’est presque dichotomique de voir une attirance si intime pour l’art gastronomique, faire de sa pulsion morbide et meurtrière une festivité qui rassemble tout le monde, et de ce fait, faire de l’intimité quelque chose de grandiloquente, outrancière et tangible aux yeux et aux sens de tous. Sa singularité, sa criminalité, il aimerait les partager, les faire comprendre et démontrer leurs beautés. A l’image du fil conducteur qui anime la saison 2, Hannibal est en recherche d’un partenaire, d’une âme qui saisirait ses nuances et serait alimentée par les mêmes envies : manger différemment mais être bon aux yeux des gens. Ces banquets sont à l’image du costume étroit et parfaitement taillé du personnage : une arme de séduction pour pouvoir un jour, se mettre à nu devant l’être aimé.

D’où l’osmose précaire entre la manipulation et l’appartenance à un cadre social : garder le contrôle tout en se projetant vers l’autre. S’amuser de la violence humaine, se l’approprier mais chercher ce que recherche presque tout le monde : trouver l’âme soeur. Avoir le pouvoir et l’arrogance de la tromperie face à la cupidité de l’homme. Derrière la vocation qu’ont ces diners à faire parler la « haute » société, et à voir les personnages discuter à propos d’allusions existentielles ou d’affaires de meurtre, ces « festins » ont aussi pour but de dévoiler au spectateur le domaine du prédateur et de le voir se confronter à ses proies, qu’elles soient dans l’assiette ou confortablement assises.

Dans cette gastronomie, c’est la nature qui reprend ses droits sur l’humain. Comme il aime l’expliciter dans certains épisodes, il dit ne pas aimer la cruauté ni « la souffrance inutile », comme si la chair humaine était un comestible respectable et qu’il fallait l’honorer, afin que la pulsion meurtrière puisse trouver la voie de la rédemption. Tout est une question de respect et d’échelle de valeurs. Durant les trois saisons de cette série, il est presque rare de voir Hannibal en action, tuer ses victimes. La série est gore, nous montre les corps et la mort, mais pas l’action même du meurtre, excepté dans ce climax effroyable de la saison 2. De ce fait, le rapport entre Hannibal et ses victimes est plus enrichissant dans la cuisine que sur une scène de crime.

Aussi espiègle en charmante compagnie que sur son lieu de travail analytique, il voit la cuisine comme un art, digne de fédérer et d’honorer la vie ou de ritualiser la mort. Ses instruments modernes, ses recettes et ses archives, sa connaissance du corps humain et de l’anatomie, son goût pour la mise en scène, ces grandes tables jonchées de plats aussi exquis les uns que les autres décrivent presque à eux seuls une partie de notre personnage, très singulier. Cette nourriture qui nous est dévoilée de manière aussi romanesque, est à l’image d’Hannibal : un entre deux, entre la terreur et la finesse. Et c’est l’une des parties les plus passionnantes de la série. 

Bande Annonce – Hannibal