Les dix personnalités qui ont marqué le cinéma en 2018

Roberto Garçon Redacteur sur le MagduCiné

Tandis qu’un américain a planté le drapeau américain une nouvelle fois sur la lune, un autre a signé une œuvre contestataire sur le pays derrière le drapeau. Alors qu’un réalisateur mexicain a montré la divinité beauté des monstres, un Français a relevé la nature monstrueuse des humains. Un jeune acteur polyglotte se fraie un chemin vers le succès en même temps qu’une célèbre chanteuse se révèle être une excellente actrice. Qui a marqué le cinéma cette année ? Le Mag du Ciné vous livre sa sélection des dix artistes qui ont façonnés le 7ème art en 2018.

L’ordre des personnalités dans la liste n’est pas significatif.

1. Timothée Chalamet

L’énorme succès qu’a connu Timothée Chalamet avec la sortie de Call Me By Your Name est arrivé par surprise et de manière fulgurante. A l’affiche de plusieurs films depuis 2014, celui qui interprétait le jeune frère oubliable dans Interstellar crève l’écran dans le film de Guadagnino. Il y incarne un adolescent vivant sa première idylle pendant un été aussi intense et sensuel qu’éphémère. Avec cette performance bouleversante on l’imaginait presque gagner un oscar pour le meilleur acteur, début 2018, mais celui-ci fut remporté par l’immense Gary Oldman. Il tentera à nouveau sa chance en 2019, puisqu’il est à nouveau nommé, cette fois pour sa performance dans Beautiful Boy. En l’espace de quelques semaines, le jeune homme de 22 ans, fut adulé à un tel niveau qu’il a attisé la haine et l’agacement d’une autre partie du public. Alors, talent certain ou effet de mode ? Ses prochaines performances nous le diront, une chose est sûre, Chalamet s’est imposé dans le paysage cinématographique et on le verra encore sur les écrans dans les années à venir. Il est annoncé au casting du prochain film de Wes Anderson mais aussi du très attendu et redouté Dune, de Villeneuve.

Perrine Mallard

2. Lady Gaga

Voici peut-être la révélation de l’année ; en tout cas, concernant ses talents d’actrice. Car si Lady Gaga est depuis plus de 10 ans déjà une égérie musicale, artiste accomplie qui compte parmi les idoles les plus fantasques de ce vingt et unième siècle, l’année 2018 aura révélé au grand jour que l’étendue de son talent excédait largement le domaine de la chanson. Grâce à Bradley Cooper qui lui offre le premier rôle de A Star is Born, c’est une grande actrice qui est indéniablement née, sans doute même partie pour aller décrocher moults récompenses (et peut-être un Oscar, qui sait…). Incarnant un personnages aux antipodes de celui que la diva s’est elle-même créé en devenant Lady Gaga, c’est-à-dire en abandonnant l’extravagance et le pimpant pour une sobriété et une mise à nue totales, elle est la raison première du succès de ce film qu’elle sublime de sa voix inimitable, en plus d’en avoir écrit une bonne partie de la bande-originale. De quoi montrer à ceux qui ne la connaissent pas ou ne l’aiment pas qu’elle a gagné en maturité, soulignant elle-même que ce personnage l’a changée véritablement, au-delà du tournage. Mais quand on s’intéresse un minimum à l’artiste, ce tournant n’est pas étonnant : fan de cinéma depuis sa tendre enfance, quand elle voulait encore devenir actrice, Lady Gaga avait déjà procédé à un virage stylistique certain avec Joanne, son dernier album datant de 2016, qui illustrait la maturité musicale et comportementale que la jeune femme avait atteinte. 2017 eut La La Land et son Emma Stone solaire, 2018 a A Star is Born et sa Lady Gaga lunaire. Quand cinéma et musique se mêlent, au moyen de prestations aussi flamboyantes, il y a de quoi fondre d’admiration.

3. Gilles Lellouche

Après une année 2017 qui l’aura vu briller dans tous les genres (comédie potache avec Rock’n’Roll ou Le Sens de la Fête, drame avec le Plonger de Mélanie Laurent et le HHhH de Cédric Jimenez) quitte à frôler la surdose, on avait un peu envie de voir Gilles Lellouche s’effacer. Ça tombe bien, puisque le bougre nous as pris au mot quitte à oser enfin repasser derrière la caméra en nous proposant un Full Monty à la française : Le Grand Bain. Exit la pole dance, Robert Carlyle et l’humour anglais et place ici à une brochette de quinqas prêt à laisser leur dignité au vestiaire pour se jeter à corps perdu dans la natation synchronisé masculine. Ça n’a l’air de rien mais en faisant ça, on en vient à reconsidérer l’attention, la précision et somme toute le talent du bonhomme qui ne sacrifie jamais ses personnages sur l’autel du rire et nous donne à voir un propos pour le moins intime sur la dépression et ce besoin qu’ont les gens de se relever et de s’imposer des défis. En tout cas, ça a eu le mérite d’être clair puisque Lellouche, sans doute ragaillardi par l’expérience, a embrayé sur une comédie ou il se fait éclipser par son grand pote Guillaume Canet (L’Amour est une Fête) et un drame sur l’adoption (Pupille) ou sa bonté a vite fait de l’imposer en un incontournable du cinéma français. Un vrai caméléon en somme mais qui fait du bien.

Antoine Delassus

4. Vincent Lacoste

Cette année, l’acteur a été à l’affiche de pas moins de trois films. Loin d’avoir écœuré son public, il a surpris dans des registres très différents. Vincent Lacoste se promène de films en films, dans des univers opposés dans lesquels il trouve parfaitement sa place. Il a ainsi rejoint la liste des acteurs passés par le cinéma de Christophe Honoré. Il a su y distiller de la pudeur et de l’enfantillage à la fois. Aux côtés de Thomas Lilti, il est revenu hanter les bancs de la fac et refaire un tour dans l’univers de la médecine, avec une nonchalance rien qu’à lui. Et enfin, il a tenté la maturité avec un pur drame, Amanda. Pourtant, Vincent Lacoste a gardé sa jeunesse avec la bouille de ses débuts, tout en s’imposant dans le paysage du cinéma français, sans pour autant perdre une certaine candeur dans son jeu. L’acteur moderne est peut-être celui qui, comme Vincent Lacoste, enfile des costumes, sans besoin de devenir super-héros, mais en imprimant une douce chaleur, un flegme inimitable qui font grandir ses personnages avec lui. L’année prochaine, il fêtera d’ailleurs ses 10 ans de cinéma !

Chloé Margueritte

5. Lukas Dhont

Après avoir réalisé trois courts métrages, Lukas Dhont a signé en 2018 son premier film, Girl. Le scénariste et réalisateur belge de vingt sept ans y raconte le combat de Lara, une adolescente née dans un corps de garçon rêvant de devenir danseuse étoile. Choisi dans la sélection « un certain regard » du Festival de Cannes, Girl a obtenu la caméra d’Or ainsi que la Queer Palm. Lukas Dhont aborde le thème du transgenre avec une grande pudeur et une sensibilité touchante. Il ne s’aventure pas sur le terrain du conflit familial, déjà traité dans Billy Elliot, mais sur la lutte courageuse et les émotions complexes d’une jeune fille à l’équilibre psychologique fragile, incarnée par l’exceptionnel Victor Polster. Prête à tous les sacrifices pour suivre sa thérapie hormonale, se faire opérer tout en s’entraînant durement pour intégrer une prestigieuse école de danse, Lara sera confrontée au regard des autres et à ses propres limites, malgré le soutien total de son père. 2018 aura ainsi marqué la découverte de Lukas Dhont, un jeune cinéaste talentueux, filmant à pleur de peau, dont on attend l’évolution avec grand intérêt.

Ariane L. Emmanuelle

6. Bertrand Mandico

Nous servant son extase organique depuis un certain temps déjà sous la forme de courts-métrages écumant les festivals, Bertrand Mandico a enfin franchi le pas du long-métrage en 2018. Avec Les Garçons Sauvages, le réalisateur y cultive toutes ses obsessions pour accoucher d’un cinéma transgenre dans tous les sens du terme. Une œuvre d’une puissance formelle inouïe convoquant nombreuses influences allant de Sa Majesté des mouches à Querelle de Fassbinder pour nous emmener au cœur d’un voyage initiatique au cœur des sens et de l’identité. Un cinéma français « autre » dont il devient l’un des chefs de file en compagnie de son acolyte Yann Gonzalez qui lui offrira un rôle dans son giallo Un couteau dans le cœur. Deux auteurs à la démarche similaire qui se verront cohabiter dans l’anthologie Ultra Rêve au cours de laquelle Mandico nous transportera avec Ultra Pulpe au sein d’une réflexion foisonnante sur le cinéma et l’amour, tout en dépeignant un univers d’une richesse plastique infinie en moins de 40 minutes. Avec deux essais marquants, 2018 aura été placée sous le signe de Bertrand Mandico qui a enfin pu éclore aux yeux du grand public tel une fleur turgescente.

Maxime Thiss

7. Xavier Legrand

Avec Bertrand Mandico, Xavier Legrand est le cinéaste français qui a marqué l’année 2018, faisant partie de ceux qui prouvent à tout le monde que le cinéma français est vivant et rempli de créativité. Car Jusqu’à la garde est l’un des grands moments de cinéma de l’année. Faisant suite au très bon court métrage Avant que de tout perdre, ce premier film est d’une maitrise totale. Il n’est jamais évident de voir une œuvre aussi bien mélanger le cinéma de genre et les enjeux sociaux qui découlent de l’environnement dépeint. D’un film sur les violences conjugales, Jusqu’à la garde aurait pu se trahir rapidement et enfoncer des portes déjà ouvertes depuis longtemps, malgré l’utilité évidente du message. Sauf qu’avec sa mise en scène, sa narration qui déploie les questionnements, Xavier Legrand voit le monstre se dessiner petit à petit pour jouer sur les codes du thriller horrifique.Le talent de Xavier Legrand est de nous faire ressentir l’inéluctabilité de cette peur, et que la repentance de cette violence n’était qu’un feu de paille. Commençant comme une introspection sociale, une étude de cas familiale, Jusqu’à la Garde finit en trombe, à la lisière du cinéma de genre, comme un film d’horreur qui n’a rien à envier aux mastodontes. Et nous avons besoin de cinéaste tels que Xavier Legrand, qui comme Bertrand Bonello, a autant à dire sur la France que sur le cinéma.

Sébastien Guilhermet

8. Guillermo Del Toro

Enfin ! C’est le premier mot qui nous vient à la bouche quand on regarde la vague de prix qui a récompensé Guillermo Del Toro pour The Shape of Water. Avec ce film, le réalisateur mexicain, papa notamment du magnifique Labyrinthe de Pan et des deux Hellboy, signe un conte superbe qui magnifie les monstres. Son amour pour les créatures, inhérent à son cinéma, atteint ici son apothéose en livrant une œuvre universelle qui parle autant de la nature humaine que du 7ème art. Dans son film, les marginaux sont les héros de l’histoire. A l’image de ses protagonistes, Del Toro a beaucoup évolué en marge d’Hollywood ne trouvant pas confort dans les productions calibrés et dénués d’âme. Alors quand il reçoit la reconnaissance de ces pairs à travers un Lion d’Or à la Mostra de Venise et quatre Oscars dont celui du meilleur film, on ne peut que s’en ravir ! De par son approche gothique et fantastique sur le cinéma, le réalisateur a souvent eu du mal à pouvoir exprimer sa vision. En tient pour exemple son projet de film sur Pinocchio pour lequel il n’a jamais réussi à trouver les financements. Après son succès mondial, le projet est désormais en route..chez Netflix ! Peut-être un petit doigt d’honneur aux studios ? En tout cas, on est preneur de tous les endroits où le réalisateur pourra continuer à partager sa poésie et son art.

Roberto Garçon

9. Ryan Gosling

Après une année 2017 record, enchaînant La La Land (pour lequel il décroche un Golden Globes et une nomination à l’Oscar, le sublime Song to Song et Blade Runner 2049, Ryan Gosling ne s’est pourtant pas absenté des plateaux de tournage. Avec un seul projet, il a réussi à monopoliser l’attention : First Man, 3e long-métrage très humaniste de Damien Chazelle. Gosling se retrouve habité par le personnage de Neil Armstrong, dans un film qui montre toute la dévotion d’un homme pour une cause, quitte à sacrifier sa personne et celles qui l’aiment. Mais l’année de Ryan Gosling ne s’est pas arrêté au cinéma. L’artiste, devenu réalisateur et auteur, compositeur, s’exerce désormais dans la photographie. Aux côtés de l’ONG Enough Project et du militant congolais Fidel Bafilemba, il capture des instants de vies torturées, montrant la souffrance de ce pays africain, à travers une histoire sur la colonisation brutale. Le livre Congo Stories a déjà récolté un florilège d’éloges de la part des critiques, faisant définitivement de Ryan Gosling un artiste aux multiples facettes.

Louis Verdoux

10. Spike Lee

 Après un long passage à vide, marqué par quelques polémiques idiotes (clash avec Clint Eastwood et Tarantino) et quelques films « mineurs », Spike Lee est revenu en force cette année avec Blackkklansman, présenté comme la charge anti-trump que l’on attendait, et récompensée d’un grand prix à Canne. Petite revanche pour celui qui ne s’est toujours pas remis de voir la palme d’or 89 lui passer sous le nez (le nom de Wim Wenders, président du jury de l’époque, serait encore gravé sur la batte du cinéaste, selon la rumeur). Prenant à bras le corps le climat post Charlottesville et la montée en puissance du suprémaciste blanc, Lee rappelle qu’il ne craint personne sur le terrain de la farce anti-raciste black power, et qu’il n’a pas son pareil pour croquer la mascarade du meltingpot américain. Même si Blackkklansman n’est pas son film le plus intéressant (même les sous estimés Chi-raq et Old Boy ont plus de valeur cinématographiques), le retour de l’enfant terrible du cinéma afro-américain fait tout de même plaisir, car s’il n’évite pas quelques portes ouvertes, le cinéaste n’en reste pas moins l’un des grand observateur des tensions communautaires qui agitent notre époque. Peut-être que le monde change, et que Spike Lee obtiendra enfin la place qui lui revient parmi les plus grand réalisateurs du XXIe siècle.
Vincent B.