Présenté en compétition au Festival International du Film d’Amiens (FIFAM), A piece of sky (Drii Winter) de Michael Koch est un drame poignant au cœur d’un village de montagne, une alliance magnifique entre nature et humanité où les liens entre les Hommes sont intenses, où l’animal a une place centrale. Un récit de corps, de mort aussi, mais surtout de saisons.
Trois saisons en enfer
Présenté par la vice-présidente du FIFAM comme un film qui commence par un gros plan sur une pierre et qui déroule ensuite un drame dans un village de montagne, avec des gros plans sur les hommes et la nature, A piece of sky n’est que cela : un élan d’humanité, un tableau de maître, porté par des voix prémonitoires, par une destinée tragique et contrainte au travail du corps, sans cesse renouvelé au fil des saisons. A piece of sky est une tragédie sublime. Dans cette première scène, plan d’une pierre, immuable, posée là pour des années, on voit aussi des voitures et motos serpenter la vallée, grimper la montagne. Le regard est autant porté sur la nature que sur les hommes qui la peuplent, la travaillent. Le titre original du film Drii Winter, autrement dit trois hivers, renvoie autant à la temporalité du film qui voit défiler trois hivers (dont l’un, joyeux, ne sera pas montré, juste évoqué), qu’à la place des saisons dans une vie de montagne. Michael Koch, qui signe ici son 2e film salué à la Berlinale, raconte autant la vie, les gestes, que l’histoire tragique d’Anna et Marco.
Sublime nature
A piece of sky est d’abord le récit de l’histoire d’amour entre Anna et Marco, sur laquelle tout le village semble avoir un avis. Par quelques plans simples, le réalisateur en dresse le portrait : un amour pudique, mais fort, qui est ancré dans le quotidien de la montagne. Marco est un bloc, mais il est aussi un personnage doux, attentionné. Quant à Anna, elle est sans cesse dans l’action, en mouvement. C’est presque aussi simplement que Michael Koch introduit le drame dans une scène de mariage, lors d’une danse intime, très belle entre les deux amants devenus légitimes, Marco s’éloigne, quitte la salle et les bras d’Anna, il semble malade. Ajoutez à cela un chant (par une chorale aux allures de chœur antique) prémonitoire et vous avez les ingrédients de A piece of sky qui prend le temps de raconter, de regarder. D’ailleurs, c’est souvent celui qui regarde qui est filmé, un peu à la manière de la Jeanne de Bruno Dumont, car l’importance des corps, du paysage, de la nature est soulignée par l’intensité des regards. A la manière dont il avait filmé la pierre dans sa scène d’ouverture, Michael Koch filme les visages en gros plans, donnant soudain une intensité nouvelle à leurs sentiments. Eux qu’il montre si petits face à la montagne prennent soudain un sursaut d’humanité. Michael Koch joue donc de ces regards, de cette intensité, mais aussi du décalage. Souvent ses plans commencent par un élément particulier, une insistance sur une fenêtre, un couloir, un objet, comme pour mieux raconter par le détail, l’enjeu d’une scène. C’est ainsi une fenêtre ouverte qui annonce la mort, mais aussi l’ouverture vers un ailleurs.
Corps tragiques
Dans ce jeu d’équilibriste, la durée des plans compte beaucoup car elle offre un autre rapport au temps, aux saisons aussi. Il y a des gestes immuables, des moments qui reviennent comme en écho (notamment la scène des foins qui sont envoyés vers la montagne et réceptionnés d’abord par Marco) et il y a les réactions de Marco qui changent brutalement, qui viennent tout bouleverser. Dans ce rapport au temps, c’est aussi le lien entre les êtres qui est raconté, leur rapport aux bêtes, que ce soit dans l’affection ou dans la mort. L’animal est autant montré comme un produit pour certains, que comme un être qui compte. Corps des animaux et corps des hommes se confondent. « Les corps étaient fondamentaux pour moi, j’ai essayé de les mettre en scène de manière à les faire parler », déclare le réalisateur dans un entretien pour Arte. Souvent, une scène avec un animal annonce comme en écho la vie des hommes, ainsi lorsqu’une vache est saillie par un taureau, il ne faut pas dix minutes à Michael Koch pour faire dire à un homme du village « alors, c’est quand qu’il te fait un enfant? », en évoquant Marco devant Anna. Le réalisateur va alors tenter de déterminer, par l’entremise de ses personnages, ce qui compte vraiment. Il va alors distinguer le matériel, à l’aide notamment des patins à glace offerts par Marco à la fille d’Anna (qui l’appelle « papa ») et que l’enfant espère amener avec elle après sa mort, aux gestes, aux sentiments. C’est eux que Marco va garder pour lui pour plus tard. C’est pourquoi ces scènes en apparence banales deviennent les rudiments de la tragédie. Quelque chose de violent se noue alors, quand Marco sombre, mais le film offre à ce couple un nouveau souffle et c’est alors que A piece of sky prend une ampleur romanesque d’une grande intensité. Sublime.
A piece of sky : Bande annonce
A piece of sky : Fiche technique
Synopsis : Anna et Marco mènent une vie tranquille jusqu’à ce que, peu après leur mariage, Marco apprenne qu’il est atteint d’une tumeur cérébrale maligne. En raison de la maladie, ce dernier perd progressivement le contrôle de ses actes. Ces changements soudains de comportement, initialement perçus par Marco comme « libérateurs », s’avèrent rapidement difficiles à gérer pour Anna…
Réalisation : Michael Koch
Scénario : Michael Koch
Interprètes : Michèle Brand, Simon Wilsler, Josef Aschwanden
Photographie : Armin Dierolf
Montage : Florian Riegel
Production : Pandora Film Produktion, Arte
Durée : 2h16
Genre : Drame
Date de sortie : prochainement
En compétition au FIFAM 2022, récompensé à la Berlinade 2022 (mention spéciale).
Allemagne – 2022