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The Crown : les joyaux sont éternels

Kyuzo Rédacteur LeMagduCiné
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Dès sa première saison en 2016, The Crown s’est hissée au sommet des séries dramatiques contemporaines. Si l’intérêt du public pour les têtes couronnées a participé à son succès rapide, d’indéniables qualités d’écriture, de mise en scène et d’interprétation lui assurent la pérennité de ses audiences sur Netflix. Autant d’atouts que The Crown met au service d’une réflexion sur le rôle intemporel de la famille royale outre-Manche. Au point, pour la fiction, d’entrer en collision avec la réalité qu’elle imite…

En 2006, The Queen spéculait sur les jours difficiles qu’affronta la reine d’Angleterre au lendemain de la mort de Diana, la « Princesse des cœurs ». Le film était un écrin idéal au thème privilégié des conventions bousculées de son réalisateur Stephen Frears, qui s’illustre par exemple dans Les Liaisons dangereuses ou Tamara Drewe. Mais une autre petite musique s’entendait dans The Queen, permettant à la thématique de Frears de se développer : le conflit entre les traditions portées par la Reine et l’opinion publique qui exigeait une attitude modernisée après la mort de Diana. Cette petite musique, le cinéaste la devait à son scénariste Peter Morgan : ce dernier la transforma en symphonie 10 ans plus tard avec The Crown. Comme son nom l’indique, la série aux quatre saisons (six sont prévues) se concentre sur la nature du pouvoir de la Couronne britannique. Et plus encore, sur le conflit que ce pouvoir immémorial connaît, sous l’ère d’Élisabeth II, avec le renouvellement des valeurs de la société.

Temporel et intemporel

Au Moyen-Âge, la Couronne administre l’autorité temporelle aux côtés du pouvoir spirituel, d’essence intemporel, qui fige les valeurs parfois d’un siècle à l’autre. Mais à l’accession d’Élisabeth II au trône en 1953, la démocratisation du pouvoir exécutif et le désenchantement religieux provoquent que la royauté porte désormais la notion d’intemporalité au sein d’une société changeante. Peter Morgan adopte cet angle pour focaliser sa narration sur les décalages et frictions incessants de la monarchie avec son temps : le couronnement télévisé d’Élisabeth où les caméras côtoient les vieilles pierres de Westminster, la princesse Margaret (sœur de la monarque) confrontée à son désir de mariage impossible avec un divorcé, l’éventuelle infidélité du prince Philipp relayée par la presse, etc. Cette matière dramatique culmine avec Diana, jeune femme de son époque, appréciée (voir adulée) par le peuple pour sa proximité avec lui, ce qui la singularise dans l’inaccessible famille royale.

Les relations d’Elisabeth II avec ses Premiers ministres successifs sont autant d’occasions de confronter les prérogatives intemporelles et temporelles. Surtout quand le tour vient pour Margaret Thatcher, lors de la saison 4, de prendre les rênes du gouvernement. Face à la souveraine, convaincue qu’elle doit simplement « rester en vie (stay alive) » durant son règne, et que les crises « s’arrangent toutes seules (have a way of correcting themselves) », la Dame de fer incarne le mouvement et la modernité. L’épisode L’Épreuve de Balmoral montre ainsi une Thatcher confuse dans le manoir écossais de la monarchie, ne comprenant rien aux traditions de ses hôtes et pestant de perdre un temps précieux pour réformer le pays. Au terme de son récit, Morgan expose un gouffre plus large que jamais entre les deux positions, les Windsor d’un côté dans leur manoir hors du temps, et « Maggie » à Londres avec un cabinet qu’elle a rajeuni au forceps.

Le pouvoir et son double

Par mimèsis avec son modèle, The Crown repose donc sur une singularité forte puisqu’au contraire de la plupart des séries politiques, le personnage central d’Élisabeth II ne cherche pas à bousculer l’ordre établi mais bien à le maintenir envers et contre tout. Une autre inspiration du réel distingue la création britannique. De la même façon que la monarchie renouvelle ses figures de génération en génération, Peter Morgan change les interprètes de ses personnages royaux toutes les deux saisons afin de couvrir les cinquante ans d’histoire prévus. Si le créateur évite par-là de lourdes obligations de maquillage à ses acteurs, le procédé permet en outre d’explorer des sensibilités différentes qui collent avec les différents âges des personnes incarnées. Ainsi, l’éthérée Claire Foy rend compte d’une jeune Élisabeth contrainte d’arborer une bien lourde couronne, quand la plus affirmée Olivia Colman souligne l’assurance prise au fil des ans par la souveraine.

The Crown trace également un parallèle avec la monarchie grâce à l’imparable classicisme de sa réalisation, auquel s’ajoutent des récurrences narratives au fil des saisons. Par exemple, Peter Morgan use régulièrement de séquences musicales où il oppose à distance deux personnages, avant de les confronter dans une scène dialoguée de résolution. Le spectateur de The Crown se surprendrait parfois à vouloir un peu de folie, de dérèglement, dans une mécanique si bien rodée, alors même qu’il l’apprécie en partie pour cette constance. Il s’apparente alors au sujet de la royauté, à la fois satisfait de la résistance au changement de l’institution et dans le désir contradictoire de la voir évoluer.

Singer l’original occasionne néanmoins que The Crown entre en conflit avec lui. En effet, combien de spectateurs considèrent gravés dans le marbre certains de ses développements anhistoriques, voire mensongers ? De façon similaire au cinéma américain qui transforme la mémoire collective de certaines guerres, la série se pose en rival des livres d’histoire, ce pour le frisson d’audience du diffuseur. La problématique est d’autant plus sensible que la scénarisation de la mort de Diana est encore à venir dans une prochaine saison. Avec un tel évènement aux multiples zones d’ombres, l’interprétation qu’en fera The Crown pèsera dans les cœurs et les esprits. Le double sera alors, un peu, le pouvoir lui-même.

The Crown  saison 1 – Bande-annonce

The Crown – Fiche technique

Création : Peter Morgan
Interprétation : Claire Foy, Olivia Colman, Matt Smith, Tobias Menzies, Vanessa Kirby, Helena Bonham Carter
Quatre saisons de dix épisodes chacune disponibles en mai 2022
Durée moyenne d’un épisode : 50 minutes
Genre : drame, biopic
Pays : États-Unis, Royaume-Uni
Diffusion : Netflix

Rédacteur LeMagduCiné