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Mission Impossible : Dead Reckoning part.1 : Le monde a changé

Guillaume Meral Rédacteur LeMagduCiné

Tom Cruise et Christopher McQuarrie n’aiment pas se faciliter la vie. Quinze ans de collaboration auraient pourtant tendance à transformer les aventuriers les plus téméraires en promeneurs du dimanche. Pas eux : la pente doit être toujours plus raide que la précédente et le sommet un peu plus éloigné de la terre ferme. Or, pour la première fois, cette quête de dépassement perpétuel joue en leur défaveur avec Mission Impossible : Dead Reckoning, première partie d’un dyptique qui regarde ses ambitions en contre-plongée.

Double Impact

La chose est suffisamment rare pour être soulignée : chaque film siglé « Tom et McQ » s’est avéré plus abouti que le précédent. Jack Reacher, c’est déjà mortel, mais moins bien que Rogue Nation, lui-même dans le manche de la cuillère de Fallout. Une pyramide au sommet de laquelle on peut rajouter Top Gun : Maverick sans rien retirer à son réalisateur Joseph Kosinski, quand on connaît l’omniprésence de McQuarrie en coulisses du Tom Cruise Cinematic Universe depuis Valkyrie.

Certes, l’honnêteté commanderait de ne pas omettre les dos d’âne qui ont émaillé leur chemin de cinéma commun, quand McQ ne s’occupait pas des affaires derrière la caméra (Jack Reacher : Never go back ou La momie). Mais rétrospectivement, chaque échec constitua une étape nécessaire sur la pente ascendante d’un duo qui jouit aujourd’hui d’un statut aussi singulier que privilégié. Celui d’une principauté autonome en territoire hollywoodien, une entité juridiquement indépendante capable de faire prévaloir  son droit coutumier sur les lois fédérales des majors.

Quel autre projet que Dead Reckoning aurait pu imposer la poursuite de ses prises de vue en pleine explosion pandémique, au prix d’un protocole sanitaire qui provoqua l’envolée d’un budget déjà élevé et alors que toute l’industrie était à l’arrêt ? Quel autre acteur-producteur aurait pu mettre ses bijoux de famille sur la table et tordre le poignet de la Paramount qui voulait sortir Top Gun : Maverick directement en streaming ?

Rogue Nation

Tom Cruise et Christopher McQuarrie, ce sont des processus de création de films d’art et essais conjugués avec l’infrastructure des studios. Le commandement bicéphale d’un bateau pirate composé des meilleurs professionnels dans leurs domaines respectifs (que seraient les cascades de Cruise sans Wade Eastwood pour en faire une réalité ?).

Exemple parfait de ce cosmos parfaitement aligné, Mission Impossible : Fallout. On pouvait craindre que McQuarrie ne brade la franchise sur l’autel de l’air du temps, en revenant derrière la caméra. Résultat ? Une mission impossible à prendre en défaut. De ses morceaux de bravoure qui s’inscrivent d’office dans la légende du cinéma d’action, à la brillance avec laquelle McQuarrie joue le jeu de l’univers étendu sans sacrifier la fluidité rectiligne d’un récit qui n’avance qu’en marche avant toute.

Sans oublier Tom Cruise, qui s’inclinait devant son public depuis le nouveau sommet qu’il venait de gravir. Le plus grand performer du monde rendait aux faiseurs de rois ce qui appartient aux spectateurs. C’est pas tous les jours qu’une montagne pose un genou à terre. On craignait l’épisode de trop, Tom Cruise réalisait son Impitoyable à lui. Rien que ça.

Et on ne reviendra pas sur Top Gun : Maverick plus que de raison. Sinon que le triomphe absolu et à tous les niveaux du film fit passer Cruise – et dans son ombre McQuarrie – à un stade supérieur de la force. La dernière star du cinéma américain devint le « sauveur » (dixit Steven Spielberg lui-même) de l’industrie sur ce côté-ci du rideau de fer, celui qui redonna sens à l’expérience en salle qui ne distinguait toujours pas la lumière du jour après la pandémie.

Même les montagnes se touchent

Bref, plus rien ne semblait ni impossible, ni infaisable pour le Messie et son prophète. « Tom et McQ » ne pouvaient que continuer à marcher sur l’eau, et Mission Impossible : Dead Reckoning part.1 ne pouvait que dépasser les précédents. On n’en attendait pas moins en tous cas. Et c’était sûrement trop.

Trop d’attentes, trop d’espoirs de lendemains encore plus merveilleux qu’hier. Trop d’ambitions aussi, peut-être, d’un point de vue tant logistique (voir la complexité affolante des scènes d’action) que narratif. Car pour le coup, les idées de Cruise et McQ s’avèrent cette fois un peu trop larges pour leurs épaules. C’est dire la taille des idées ! Enfin, surtout celles de McQuarrie, en fait. Explications.

Cette fois, la MIF (pour Mission Impossible Family) affronte une menace comme le monde et le cinéma n’en ont (presque) jamais connu : une IA, sujet d’actualité s’il en est. Ici, l’Apocalypse s’appelle l’Entité. Tentaculaire, dévorante, exponentielle. Un pouvoir surpuissant, incontrôlable, doté de sa volonté propre,  qui suscite autant la peur qu’elle attise les convoitises. À charge pour Ethan Hunt et son équipe de faire une nouvelle fois cavaliers seuls contre tous pour débusquer l’anneau de pouvoir et le détruire dans les flammes de la montagne du destin.

La communauté de l’IA

La référence au Seigneur des anneaux n’est pas une coquetterie de style. L’ampleur du scope et de la quête sont ceux d’un Peter Jackson, et le concept propre à McQuarrie, fasciné depuis Usual Suspects par l’omniscience du mal. Celui qui se trouve partout et nulle part à la fois, dont l’absence sursignifie la présence, qui corrompt les cœurs et les esprits et s’imprime dans l’image et la rétine. Keyser Söze dans Usual Suspect, la dictature nazie dans Valkyrie, le Zek dans Jack Reacher, Solomon Lane dans Rogue Nation… Et maintenant l’Entité, donc, dans Dead Reckoning, son Sauron à lui, le Graal cauchemardesque du monde d’après. La quête d’une vie de cinéma qui prend possession du film, comme l’Entité s’empare du réseau mondial.

Or, c’est là que Mission Impossible Dead Reckoning commence à couper les ponts avec la franchise. Il s’agit d’un film de cinéaste, moins en termes de style que de thématique. Autrement dit, Christopher McQuarrie ne réalise pas un Mission Impossible de Tom Cruise, comme c’est le cas avec tous les réalisateurs qui se sont attelés à l’exercice. C’est Tom Cruise qui joue dans un Mission Impossible de Christopher McQuarrie. Comme si l’acteur/producteur avait refilé les clés de sa bicoque à son BF. La preuve ? La fameuse cascade en moto de Cruise, survendue comme LE climax du film, qui s’avère finalement une péripétie parmi d’autres du climax. Pas anecdotique, mais pas de quoi en faire tout un foin non plus.

Altered Carbon

Le constat est assez symptomatique de la place occupée par Ethan Hunt dans un film qui ne tourne plus nécessairement autour de lui. C’est plutôt au personnage de Haley Atwell, nouvelle venue dans la saga, qui découvre ce monde et ces codes que l’on connaît par cœur avec des yeux de néophyte, que revient l’honneur d’incarner le point de vue du spectateur. Une excellente idée de scénariste (et un superbe choix de casting) qui résume bien la situation : Tom Cruise n’est plus souverain en son royaume et cherche un peu sa place. Comme Néo finalement qui devait retrouver la sienne après avoir découvert qu’il n’était pas l’élu dans Matrix Reloaded.

Là encore, comparaison n’est pas raison, mais pas usurpée pour autant. McQuarrie casse le moule de la franchise et les acquis du spectateur à son égard, comme les Wachowski ont pu le faire sur le diptyque Reloaded/Revolutions. Fallout devait bien marquer la fin d’un cycle, et de Mission Impossible dans les règles de l’art et du Cruise Control. « Le monde a changé » ne cessent de répéter les personnages, et dans celui-ci. Éthan Hunt ne se situe plus au centre du game. À l’instar de sa première entrée dans le champ, suggérant que le personnage est désormais devenu un homme de l’ombre.
Au fond pourquoi pas, les crimes de lèse-majesté constituent un moyen de réinvention comme un autre. Mais on émettra quelques réserves sur la façon dont McQuarrie nous fait passer dans le monde d’après.

Vertical Limit

Notamment en débullant, c’est-à-dire en inclinant la moitié de ses plans pour tordre le réel à l’aune de sa nouvelle menace. Sur le fond ça se tient, sur la forme c’est moins évident. N’est pas Brian De Palma qui veut. Les dutch angles ressemblent moins à un parti-pris forgé sur la longueur qu’à une solution qui s’est imposée pour parer à l’urgence d’un tournage sous haute tension sanitaire. D’autant plus à l’aune d’une direction artistique moins élaborée que ce à quoi nous ont accoutumé les MI.

Le déficit esthétique de l’ensemble n’a rien de rédhibitoire en soit et pourrait même se mettre au crédit de la production, qui a affronté une pandémie mondiale vent debout au pire moment possible. Mais c’est aussi révélateur d’un film traversé d’idées souvent supérieures à leur exécution. Les scènes de baston s’avèrent moins bien conçues qu’elles ne sont pensées, le retour de personnages issus des épisodes précédents est un chouia déceptif et l’IA elle-même se révèle finalement à peine plus retorse que Solomon Lane dans Rogue Nation et Fallout.

Pourtant, McQuarrie réussit par à-coups à incarner son mal immanent et à métastaser l’image et l’inconscient du spectateur par son évocation. Notamment à l’aune de sa capacité à transformer un texte ardu et monstrueusement dense en plaisir de mise en scène immédiat. Mais Dead Reckoning est un film qui fonctionne par fulgurances davantage que par blocs, alterne entre les sommets de la saga et ses plats reliefs. En l’occurence, une IA qui n’existe que lorsqu’on parle d’elle. Revoir les précédents films de la saga pour comprendre que McQuarrie a déjà rencontré beaucoup plus de réussite sur ce point.

Nobody does it better

Entre deux temps morts, la franchise y trouvera néanmoins de quoi nourrir ses highlights.  Notamment un guet-apens vénitien qui permet à McQuarrie de s’approcher plus près qu’il ne l’a jamais fait de l’abstraction des formes, et où le pas de course légendaire de Tom Cruise prend des accents d’un lyrisme d’autant plus déchirant qu’il est pour la première fois voué à l’échec. Tom Cruise, encore et toujours la clé de voute de la saga… Même quand elle commence à ne plus être tout à fait la sienne. Mais peut-elle vraiment se le permettre ?

Car au fond, c’est peut-être le vrai problème du film : Cruise n’est pas à la place qui devrait être la sienne, et sa persona n’est plus engagée dans l’histoire comme avant. Et de fait, Dead Reckoning n’a pas grand-chose à ajouter sur l’Odyssée de l’Atlas du cinéma américain. Oui, il semble effectivement se faire rattraper par la patrouille plus qu’auparavant. Oui le film brandit le combat de l’acteur contre la digitalisation du Blockbuster à travers celui de son personnage contre l’IA… Mais bon, rien de neuf sous le soleil. Top Gun : Maverick en parlait déjà, et en mieux car Cruise était aussi le sujet du film. En comparaison, ce Dead Reckoning a des allures d’interlude.

Au fond Tom Cruise ne peut être que roi dans son propre royaume, et tant pis pour la politique des auteurs. Le sort de la franchise est plus que jamais lié au sien, et la semi-déception de ce Dead Reckoning part.1 fournit une réponse à la question qui se pose depuis Protocole Fantôme : Mission Impossible sans Tom Cruise, c’est niet.
À voir si le deuxième volet entérinera une sortie de scène qui semble inéluctable (voire nécessaire), ou trouvera le moyen de remettre une pièce dans la machine. « Le monde a changé, M. Hunt » : après ce Reloaded, Mission Impossible : Revolutions ?

Bande-annonce : Mission impossible : Dead Reckoning, partie 1

Fiche Technique : Mission impossible : Dead Reckoning, partie 1

Titre original : Mission: Impossible – Dead Reckoning Part One
Réalisation : Christopher McQuarrie
Scénario : Christopher McQuarrie, d’après l’œuvre de Bruce Geller
Casting : Tom Cruise (Ethan Hunt), Hayley Atwell (Grace), Rebecca Ferguson (Ilsa Faust), Simon Pegg (Benji Dunn), Ving Rhames (Luther Stickwell), Vanessa Kirby (Alanna Mitsopolis)…
Direction artistique : Marco Furbatto
Décors : Gary Freeman
Costumes : Jill Taylor
Photographie : Fraser Taggart
Montage : Eddie Hamilton
Musique : Lorne Balfe
Production : Tom Cruise, Christopher McQuarrie et Jake Myers
Production déléguée : David Ellison, Dana Goldberg et Don Granger
Budget : 290 millions de dollars
Genres : espionnage, action
Durée : 163 minutes
Dates de sortie :
France : 12 juillet 2023
États-Unis : 14 juillet 2023
Sociétés de production : Paramount Pictures, Skydance Prods
Distribution France : Paramount Pictures France

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