Inexorable : L’insoutenable légèreté de la destinée

Berenice Thevenet Rédactrice LeMagduCiné

Après Alléluia (2014) et Adoration (2019), le cinéaste belge Fabrice Du Welz clôture sa trilogie sur l’amour fou, en sortant Inexorable. Ce polar familial et tortueux s’affiche aux confins de diverses influences, allant de Rohmer au mythe d’Œdipe.  Il n’en fallait pas plus pour faire d’Inexorable le nouveau chef de file du thriller belge.

L’inexorable ascension d’un cinéaste

Alléluia. Adoration. Inexorable. Il est des mots qui en disent long en faisant court. Si ces trois termes semblent a priori avoir peu de choses en commun, ils constituent, néanmoins, les trois points cardinaux d’un triptyque cinématographique. Voilà bientôt vingt ans que le cinéaste belge Fabrice Du Welz dynamite l’art des frères Lumière.

Dès ses débuts, le réalisateur imposait un univers où la violence la plus crue côtoie une esthétique soignée. On se souvient de son premier long Calvaire (2004). Cette antithèse absolue de Délivrance (1971) de John Boorman avait été suivi par le classique Vinyan (2008) et le musclé Colt 45 (2014) qui évoquaient respectivement le tsunami de 2004 et la descente aux enfers d’un jeune policier.

La même année sort Alléluia, le premier volet d’une trilogie centrée sur la passion destructrice entre des êtres que tout oppose (ou presque). Il aura ensuite fallu attendre cinq ans, après un passage discret à Hollywood avec Message from the king (2017), pour que le cinéaste dévoile le deuxième volet de sa saga. Adoration sort, en effet, en 2019, et évoque, lui aussi, l’amour fou et impossible entre deux adolescents. Inexorable clôt, en somme, une histoire de cinéma débutée il y a presque une décennie

L’œuvre s’inscrit dans la lignée des deux précédents films. Fabrice Du Welz s’intéresse de près aux relations humaines minées par des passions autant impossibles qu’inavouables. Inexorable ne déroge pas à la règle. L’intrigue se déroule telle une tragédie en cinq actes. Tout y est : de l’élément perturbateur à l’évènement déclencheur de la crise, de la malédiction à la violence intrafamiliale. Inexorable s’affirme comme le film de la maturité. L’œuvre installe à elle seule Fabrice Du Welz dans la droite lignée d’un Sophocle kafkaïen.

Œdipe, Racine et les autres

 Inexorable est une œuvre qui ne craint pas le paradoxe. L’intrigue se (dé)voile d’emblée au public. Un.e habitué.e des polars pourrait être déçu.e. L’histoire n’échappe, en effet, pas aux poncifs du genre. Les Bellmer emménagent avec leur fille Lucie dans un immense château, situé au cœur de la forêt belge. Marcel Bellmer (Benoît Poelvoorde) est un célèbre écrivain. Il est, entre autres, l’auteur d’Inexorable. Le roman a d’ailleurs été édité par sa femme Jeanne (Mélanie Doutey), héritière de la richissime et non moins sélecte maison d’édition Drahi. Un jour, leur chien Ulysse disparait brusquement. Ce dernier est retrouvé par Gloria (Alba Gaïa Bellugi), une jeune fille fraichement arrivée dans la région.

Formulée de cette façon, l’histoire paraît quelque peu téléphonée. On devine aisément que l’équilibre familial – qui semblait jusqu’ici infaillible – sera mis à mal par l’arrivée de la jeune fille. Dès le début, l’atmosphère du film est tendue, cristallisée par un conflit latent qui ne demande qu’à éclore. Quelque cloche dans ce portrait de famille un peu (trop) parfait pour être honnête. L’intrigue tombe sciemment dans un certain nombre de stéréotypes. De l’écrivain mélancolique en panne d’inspiration à la femme délaissée par son mari : chacun des personnages incarne à lui seul une sorte de cliché cinématographique. Nous avons plus affaire à des topoï littéraires qu’aux stéréotypes des téléfilms de début d’après-midi. Les rapports de pouvoirs intrafamiliaux sont scrutés à la loupe.

Nous sommes plus chez Racine ou Sophocle que chez Corneille. La fatalité est ici inexorable. Marcel et Gloria sont les Œdipe et Antigone 2.0. Comme eux, ils cherchent à réparer, voire à consommer l’impossible. Comme eux, ils pensent pouvoir changer le court des choses. Comme eux, ils ont la vanité de croire qu’ils sont maîtres de leur destinée. En 2022, pour Fabrice Du Welz, bien que nous ne croyions plus trop aux dieux, la tragédie est toujours goujate, lâche et désespérée.

Un thriller bien inspiré

 Inexorable est un film né sous les auspices de plusieurs influences. Il y a bien sûr celle de la tragédie grecque. On pourrait aussi parler de l’ambiance kafkaïenne du film, tout droit sortie du Locataire (1976) de Roman Polanski. On pense notamment à un plan en particulier où Fabrice Du Welz s’autorise une surimpression aussi significative que spectaculaire. Il y a quelque chose de résolument lynchien dans le décor. L’immense forêt belge n’est pas sans rappeler celle qui entoure le village de Twin Peaks (1990). Si le film connaît ses classiques, il s’accorde également le privilège de l’inventivité. Fabrice Du Welz esthétise ouvertement le polar. Le grain de l’image (d)étonne avec l’intrigue en lui donnant une couleur picturale.

Ce choix renforce paradoxalement les codes du thriller. Les personnages sont isolés. La beauté ainsi que le soin accordé aux images rendent les évènements d’autant plus inquiétants. Peu importe que l’on ait (déjà) tout compris. L’essentiel n’est pas dans l’anticipation mais dans la vision des choses. On a beau savoir, l’angoisse est à son comble, et ne cesse de grandir au fur et à mesure que le film avance. L’inéluctable est aux portes de la famille Bellmer et elle ne peut rien contre lui. Le cinéaste prend ainsi un malin plaisir à jouer avec les nerfs de son public.

A quoi bon regarder un film si l’on connaît déjà la fin me direz-vous. Eh bien parce que le cinéma n’est affaire que de déjà-vu ou de déjà su. Il faudrait, en outre, regarder Inexorable en ayant toujours en tête les mots d’Éric Rohmer : « Le cinéma ne dit pas autrement les choses. Il dit autre chose. »

Bande-annonce – Inexorable

Fiche Technique – Inexorable

Réalisation : Fabrice Du Welz

Scénario : Fabrice Du Welz, Joséphine Darcy Hopkins et Aurélien Molas

Photographie : Manuel Dacosse

Montage : Anne-Laure Guégan

Musique : Vincent Cahay

Distributeur : Koch Media

Pays : France, Belgique

Genre : thriller

Durée : 1h38

Dates de sortie : 6 avril 2022

 

 

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3.5