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Le phénomène des remakes : une histoire de gros sous ?

Mais un remake c’est quoi ? La question se pose, tant ce terme peut envelopper bien d’autres pratiques que celle classique dite de refaire, et non de refaisage, qui est « une opération consistant à laisser tremper les peaux dans des cuves contenant le tan pendant un mois à un mois et demi ». On fait les vannes qu’on peut.

Un phénomène aux formes diverses

Commençons par le commencement (original ça), avec la première entreprise de remake de l’histoire du cinéma. Celle-ci date de 1904 avec The Great Train Robbery de Siegmund Lubin, qui est un remake du film homonyme de Edwin Stanton Porter, sorti l’année précédente. Le contexte est amusant, car le film de Porter est le plus connu du fait de son innovation, ayant permis un grand succès à l’époque. En plus de cela est créée la même année une nouvelle loi sur les copyrights censée éviter le genre de situation qui va arriver.

Le problème, c’est que cette loi ne couvre pas la propriété intellectuelle, ce qui a permis à Lubin de tranquillement faire son propre film quasiment à l’identique, le tout en surfant sur le succès de celui de Porter. Ce ne fut d’ailleurs pas la dernière affaire du genre, menée par l’appât du gain offert par l’idée de recopier littéralement un film au lieu d’en créer un original, dont le succès ne serait pas garanti. Des débuts sympas donc.

D’une origine malhonnête à la naissance d’un mythe

Le mari de l’indienne sorti en 1918 et réalisé par Cecil B. DeMille est quant à lui le premier « vrai » remake légitime et guidé par une volonté qui n’est plus seulement pécuniaire mais artistique. Le film original de 1914 est d’ailleurs lui aussi l’œuvre de Cecil B. DeMille et sera le premier long-métrage hollywoodien de l’histoire, entrainant des suites de son succès le financement de nombreux autres films ainsi que la naissance de la Paramount Pictures. A noter que le premier film tourné à Hollywood date de 1910, soit avant l’arrivée des studios : il s’agit d’un court-métrage de D. W. Griffith du nom de In Old California. Enfin, DeMille réalisera une dernière adaptation de son film en 1931, afin d’offrir une version parlante du film qui lui a permis de passer du théâtre au cinéma et ainsi de lancer sa carrière de réalisateur à succès.

Un problème de son

Cette dernière forme de remake, à savoir celle de passer du muet au son, a connu un destin particulier du fait de l’Europe. En effet, la période 1926-1934 n’a pas offert que de simples films américains que l’on refait avec du son, mais aussi un problème culturel majeur, celui des dialogues dans un monde en tour de Babel. Forcément, chaque marché se retrouve concentré sur lui-même, tant le public bilingue se fait rare. Alors, comment faire ?

Des versions semi-muettes ou « adaptées » aux marchés visés furent rapidement mise en place avec des ajouts de cartons, de sous-titres, et en coupant certains passages afin de ne pas trop sous-titrer car le public n’aime pas entendre une langue qu’il ne comprend pas. Ce fut par exemple le cas pour Innocents of Paris de Richard Wallace, sorti en 1929. Le problème de ce procédé est qu’il sent vite la bricole et le chatterton, il faut donc offrir quelque chose de plus propre, en commençant donc le travail d’adaptation dès le tournage. Il faut de vraies versions pouvant satisfaire pleinement les différents publics, il faut des remakes.

Une collaboration Hollywood-Europe…

Dès lors, une idée vient en tête, pourquoi ne pas faire des versions multiples d’un même film, en le tournant dans différentes langues ?  Pour cela il faudrait des acteurs et des réalisateurs locaux selon les versions, afin d’offrir au public un produit fidèle à sa culture. Le choix est donc fait de garder un même scénario comme tronc, avec les mêmes décors pour chaque version, et de faire un film à peu de chose près le même film, mais adapté selon les langues.

Titanic de 1929 et réalisé par Ewald Andre Dupond disposera de trois formes : une anglaise, une allemande, et une française, réalisée par Jean Kemm. Les versions supplémentaires des films étaient tournées après, avec une mise en scène généralement plan pour plan par rapport à la version originale.

Ce stratagème fut négocié entre Hollywood et les grands acteurs du cinéma européen, principalement la France et l’Allemagne, afin de permettre une universalisation de productions artistiques qui sans cela ne pourraient passer leurs propres frontières (le pognon). Plus sérieusement, le phénomène éphémère des versions multiples a permis certaines adaptations très intéressantes, passant d’une simple copie, à un film véritablement différent.

Le Tunnel de Kurt Bernhardt de 1933 illustre parfaitement cela : en français, l’ingénieur motivant les ouvriers à terminer leur ouvrage, malgré les sabotages, est joué par Jean Gabin, figure populaire et populiste qui apporte ainsi un sentiment de camaraderie proche des films syndicalistes de Gueule d’amour. Dans la version allemande en revanche, le même personnage est incarné par Paul Hartman dont le ton cassant et autoritaire pousse à l’obéissance au chef, et ce malgré un texte identique.  Ce procédé est gagnant-gagnant entre Hollywood et l’Europe, chaque parti pouvant bénéficier de ce travail en commun à raison d’un partage des coûts de production.

…avant la mainmise américaine

Cela n’empêchera cependant pas Hollywood de s’imposer dès les années 30 comme le leader mondial du marché audiovisuel, en se permettant des remakes transnationaux de films européens, principalement français, du fait d’une excellente réputation du cinéma hexagonal en termes d’idées et de récits.

L’une des raisons de la prise de pouvoir américaine est la chute des studios Gaumont et Pathé-Nathan qui participe à la fuite de cerveaux européens qui a lieu au début des années 30. Ces derniers se dirigent vers un horizon leur offrant plus de moyens et une plus grande visibilité, ainsi, accessoirement, qu’une opportunité pour certains de fuir le nazisme. Ainsi, ce sont des réalisateurs européens prometteurs qui sont conviés, comme Jacques Tourneur, Fritz Lang, Otto Preminger ou encore Billy Wilder.

Des producteurs européens, comme les frères Robert et Raymond Hakim, vivront eux aussi une aventure américaine en participant à la production de remakes transnationaux. Ce qu’Hollywood souhaite en définitif, c’est amener l’innovation du cinéma européen et plus particulièrement du cinéma parisien à Hollywood afin d’offrir quelque chose de neuf au public américain, tout en adaptant les scénarios aux mœurs locales du fait du Code Hays en vigueur depuis 1934.

Un retour en force avec le Nouvel Hollywood

Après que le Cléopâtre de 1963 a, malgré lui, enterré le cinéma américain avec une production de trois ans, un budget explosé et un Mankiewicz au bout du rouleau, le public ne suit plus et les studios ne savent plus ce qu’il veut. Ils se retrouvent, en effet, face à un public plus jeune et engagé socialement, que cela soit sur la question du racisme ou de la guerre au Vietnam : ces jeunes ne veulent plus de péplums ronflants toujours plus chers et gigantesques, ils veulent de l’authenticité et des personnages, bons ou mauvais, mais dans tous les cas foncièrement humains.

Cela tombe bien, la France connaît son âge d’or avec un cinéma social qui soulève des thématiques nouvelles et amène comme la fraîcheur d’une nouvelle vague. L’Italie n’est bien sûr pas en reste avec son renouveau entamé dès la fin des années 50.

Cette partie de l’article peut passer pour une tromperie car il s’agit plus d’une époque de grande influence (Le Voyou (1970) de Lelouch est, par exemple, une grande inspiration de Pulp Fiction) que d’une véritable période de remakes pour le cinéma américain. Ce dernier doit d’abord retomber sur ses pattes en se créant une nouvelle identité, avant de penser à refaire les films qui l’inspirent.

Ce sera cependant le cas à partir des années 80, période où les studios reprennent la main sur le cinéma grand public, et ce au mépris du cinéma indépendant. Ayant profité des décennies précédentes pour obtenir les droits sur bon nombre de films européens, ils peuvent désormais les exploiter, pour le meilleur et pour le pire.

Pour conclure

La mécanique du remake est en somme un procédé ancien et globalement très filou. Hollywood en est le principal instigateur et bénéficiaire, dans un objectif pécuniaire et quelquefois artistique. Aujourd’hui encore, les remakes pullulent, notamment dans les genres de la comédie et de l’horreur, avec plus ou moins de succès. Le phénomène a cependant su offrir de bonnes surprises, résultant généralement de bons metteurs en scène guidés par une envie de bien faire, comme L’armée des Douze Singes (remake de La Jetée de Chris Marker, 1962), Le Convoi de la peur (remake de Le Salaire de la peur d’Henri-Georges Clouzot, 1953) ou encore Certains l’aiment chaud (remake de Fanfaren der Liebe de Kurt Hoffmann, 1951).

Les remakes ne sont pas forcément de mauvaises choses, ce sont cependant leurs exécutions qui ont pu donner au public une mauvaise image du procédé. Cela l’a amené à être vu comme une fainéantise et un choix de la facilité de la part des studios, ce qui est historiquement vrai, mais bon, « Nobody’s Perfect ».

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