analyse-apocalypse-series-2019

De Chernobyl à War of the worlds en passant par Good Omens : apocalypses en séries

En cette année, dans les séries que nous proposaient les différentes chaînes et plates-formes, nous avons pu assister à des catastrophes nucléaires, l’arrivée d’un antéchrist, la chute du système bancaire ou à des invasions extraterrestres. En bref, en 2019, l’apocalypse débarquait sur nos petits écrans.

Le nucléaire

Depuis le cinéma apocalyptique des années 50, on sait que cette tendance à préfigurer la fin du (ou d’un) monde est intimement liée à la peur d’une population face aux menaces dont elle se sent la cible. C’est ainsi que les films de cette époque (mais aussi les séries, en tête desquelles on peut trouver la mythique Quatrième Dimension) ont pu avoir un effet sinon cathartique, du coup annonciateur.
C’est d’ailleurs avec l’évocation d’un de ces films les plus célèbres, Le Jour où la Terre s’arrêta, de Robert Wise, que débute le pilote de The Project Blue Book, et cela permet de planter l’ambiance. Si la série peut facilement être rapprochée de sa glorieuse consœur X-Files, planter l’action dans l’Amérique parano du MacCarthysme a un avantage majeur : assimiler la peur d’une invasion extraterrestre et celle des Bolchéviques. Et c’est bien cela que la série réussit le mieux : reconstituer cette ambiance qui préfigure la guerre nucléaire, dans une Amérique où chacun construit son abri anti-atomique et où des fausses villes sont créées dans le désert pour tester les effets des déflagrations atomiques.
Cette peur de l’apocalypse nucléaire apparaît sous plusieurs formes. De nos jours, ce n’est plus vraiment la terreur d’être bombardé par des États ennemis qui prédomine : la puissance nucléaire civile fait bien plus peur et cristallise, autour d’elle, les craintes climatiques de notre époque. C’est ce que l’on retrouve dans la série allemande Dark, dont la saison deux, plus encore que la précédente, tourne autour de la centrale de Winden. Une saison deux qui se présente comme un compte à rebours avant l’apocalypse nucléaire annoncée. En filigrane, la série traite bel et bien de la peur de cette énergie incontrôlable, ainsi que du sujet des déchets et de leur enfouissement. Cette saison deux est marquée par la présence, dans les ruines futures de la centrale, d’une substance noire énigmatique, inquiétante et instable. Le sentiment de tragédie liée à l’utilisation du nucléaire est encore accentué par le fait que l’on sait très vite quels personnages vont mourir ; le jeu sur les différentes chronologies permet de connaître l’avenir et donne une impression de fatalité qui va planer sur toute la saison. A cela s’ajoutent les images choc de la première saison, avec les cheptels morts ou les cadavres d’oiseaux qui parsèment les champs. La forêt elle-même est ravagée. La catastrophe dont parle la série concerne toute la nature aussi bien que les humains.
Parmi les autres séries qui traient d’un sort commun entre les humains et la nature, il faut noter la série DC Swamp Thing. Lorsque le pilote débute, des médecins du CDC sont convoqués dans une petite ville proche des marais pour une épidémie qui touche la population. Une maladie qui semble transformer les humains en végétaux. Et plus la (seule et hélas unique) saison avance, plus on comprend que le sort des humains est lié à celui du marais lui-même : la nature est attaquée, et l’humain en souffre.

Processus hors de contrôle

Bien entendu, en cette année 2019, si l’on parle de tragédie nucléaire, tout le monde songe à l’exceptionnelle série diffusée par HBO, Chernobyl. En cinq épisodes d’une heure, la série nous replonge, grâce à un travail de reconstitution qu’une qualité rare, dans l’ambiance de l’URSS des années 80. L’un des tours de force de la série est de nous faire vivre l’horreur nucléaire dans toute son étendue. Le premier épisode est, à ce stade, digne des meilleurs films d’épouvante : les humains sont attaqués par une force d’autant plus redoutable qu’elle est invisible, et la réalisation parvient à rendre palpable cette horreur nucléaire. C’est toute la fin d’un monde qui est décrite ici. Les humains, les animaux, la nature, tout est touché par cette apocalypse due à la prétention de certains hommes. Les images de fumée noire s’élevant du réacteur parviennent à matérialiser cet ennemi destructeur implacable.
Une fois de plus, la peur qui s’exprime ici, c’est celle d’un processus initié par les humains et qu’ils ne peuvent plus contrôler, d’une force qui les dépasse alors qu’ils pensaient la maîtriser. Dans ce désastre, le sort de la nature est, une fois de plus, lié à celui des humains, ce qui donne cette scène remarquable où des « exterminateurs » doivent tuer les chiens et chats errants.

Faiblesses humaines

Ce qui prédomine dans tout cela, et qui unit sans doute ces différentes apocalypses, c’est l’idée de la faiblesse d’humains incapables de faire face au danger, que ce soit celui qu’ils ont créé ou l’inconnu qui leur arrive. Dans ce contexte, la référence à la Guerre des mondes, le fameux roman de H. G. Wells, devenait une évidence. Le roman nous plonge au cœur d’une invasion martienne anéantissant littéralement des humains qui resteront, à tout jamais, incapables de trouver une riposte adéquate. Les humains, transformés en gibier, ne peuvent que fuir devant le danger.
Le roman connaîtra cette année deux adaptations quasi-simultanées, une en trois épisodes pour la BBC, l’autre en une dizaine d’épisodes, diffusée sur Canal +. Dans les deux séries, l’une fidèle et l’autre modernisée, on retrouve cette image d’une humanité tétanisée, placée face à ce qu’elle a toujours refusé de voir : sa faiblesse, ses limites. La série de Canal + insiste sur la ré-organisation des survivants : nous sommes donc plutôt dans un cadre post-apocalyptique. Mais la mini-série britannique nous montre vraiment des personnes tentant de survivre aux attaques des tripodes géants, dans un contexte où les structures étatiques sont au mieux défaillantes, au pire inexistantes.
Il est intéressant de constater qu’il s’agit, là aussi, d’un point commun entre nombre de ces séries. La fin d’un monde est liée à l’incurie ou à la chute des États ou des gouvernements. Dans Swamp thing, le CDC, seule organisation gouvernementale, est incapable d’enrailler réellement l’épidémie car elle ne peut en cerner l’origine. Dans War of the world, le gouvernement britannique reste toujours tellement confiant dans la force technologique et militaire de l’empire qu’il refuse de voir le danger. Et la série Chernobyl insiste bien entendu sur les multiples carences d’un gouvernement soviétique qui ne parvient même pas à avoir des informations fiables sur ce qui se passe sur son territoire. La chute du monde, c’est aussi celle des États.

Fin de l’Occident ?

C’est là qu’intervient, bien évidemment, une autre des séries phares de cette année, Years and years, qui raconte la chute du monde tel que nous le connaissons, la chute du modèle libéral anglo-saxon. Menaces nucléaires, boycott des Etats-Unis, effondrement du système bancaire, montée des populismes, crise des migrants… La série imagine ce qui pourrait se passer si l’on poussait le plus loin possible une certaine logique présente en Occident actuellement. Et, une fois de plus, il s’agit de se placer du côté de ceux qui essaient de survivre au chaos. Car finalement le résultat est le même : défaillance des services gouvernementaux, individus livrés à eux-mêmes dans un environnement de plus en plus hostile, etc. Alors que beaucoup de propos alarmistes sont tenus régulièrement sur les médias, la série met en images les peurs socio-économico-politiques les plus prégnantes actuellement. Un procédé similaire est employé plus récemment dans la série française L’Effondrement, sur Canal +.

Finalement, toutes ces séries ont un point commun : elles mettent en scène des peurs actuelles, qu’elles soient écologiques, sociales, politiques ou technologiques. Elles les incluent dans des récits à des fins cathartiques, ou éventuellement en guise d’avertissement. Mais l’apocalypse peut même être comique. C’est ce que nous assure la série Good Omens, adaptée du roman de Terry Pratchett et Neil Gaiman. L’apocalypse que nous avons là est intemporelle, c’est celui qui clôt la Bible, le combat final entre le Bien et le Mal. Ici, un ange et un démon, tous deux sur terre depuis l’origine du monde, s’allient pour contrecarrer les plans de leurs hiérarchies. Ils cherchent l’antéchrist, dans une course-poursuite délirante et pleine de références. Une apocalypse drôle et inventive, ça repose un peu en attendant la fin du monde…